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Mirrors

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 27 juin 2011

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La Flèche d’Or, un samedi après-midi frais et pluvieux. Alors que les papys de Modern English sont partis dîner, les Mirrors se prêtent aux séances photos des médias rock de la capitale au-dessus de la voie de chemin de fer abandonnée de Paris et sous les balances des deux autres groupes prévus ce soir ; Flying Turns et Destin.
Vifs d’esprits, jeunes et assez matures pour avoir choisi de passer du rock indie de Mumm-Ra, ex-groupe de deux des membres fondateurs, au son très architecturé et stylisé de Mirrors aujourd’hui, James New et Ally Young sortent boire une bière sur la terrasse de la Flèche d’Or pour une interview où il ne faisait pas bon être hésitant sur son vocabulaire Anglais ! Si James Arguile et Josef Page ne sont pas réputés pour être très bavards, ce n’est pas le cas des deux autres membres de Mirrors qui vont vite asséner un débit digne d’une tireuse de pression dans un Pub Anglais un soir de match...

Vous êtes deux membre du groupe à avoir joué dans la formation Mumm-Ra avant Mirrors ; James New et James Arguile. Votre ancien groupe évoluait plus dans le rock que la synth-pop, comment en êtes-vous venus à Mirrors et ce son si personnel ?

James : Mumm-Ra était animé par un style assez traditionnel de songwriting et de mélodie rock. Puis, nous sommes vite arrivés à saturation je crois et nous avions encore beaucoup de choses à dire et à jouer, différemment. Nous étions allés assez loin à notre goût concernant le rock et la musique électronique hantait nos esprits, de plus en plus. Nous sommes de la génération électro et c’est une musique que nous avons toujours écoutée et toujours voulu essayer. Mais quand on est dans un groupe d’indie rock, on ne peut pas tout mélanger et il faut choisir un style et essayer de s’y tenir. Mais, finalement, le process d’écriture reste le même qu’avec Mumm-Ra ; seuls les sons qui gravitent autour de Mirrors changent.

À quelle famille électronique apparteniez-vous ? Quels sons écoutiez-vous plus jeune ?

James : Ma première expérience de musique électronique fut sans doute Kraftwerk. Nous étions à Berlin pour un concert avec Mumm-Ra et je suis tombé sur des disques de remixes des années 90 de Kraftwerk. Je savais que c’était ce vers quoi je voulais aller question sonorités. Puis, j’ai écouté toute leur discographie de départ des années 70/80 mais aussi tout ce qui se faisait comme musique ambient ou new age à cette époque, que ce soit en Angleterre ou en Allemagne. Nous n’aimons pas l’idée d’une musique électronique qui serait trop « clinique ». Ce sont les idées qui ont conduit à l’acte de naissance de Mirrors.
Ally : En ce qui me concerne, malheureusement, je ne viens pas d’une famille très intéressée par la musique. Les seuls disques présents chez moi étaient de Simply Red et The Beatles ! Mais c’est sûrement ce manque de musique chez moi qui m’a poussé à justement vouloir en jouer et ingurgiter tout ce que je n’avais pas pu pendant mon enfance. Aucun de mes deux parents n’était spécialement portés sur les arts mais ma sœur et mon frère le sont aussi finalement maintenant.

Votre musique nous ramène inévitablement vers la new wave et les années 80s en général ; quelles sont vos influences majeures au sein de ce mouvement ?

James : New Wave ? Années 80s ? On ne nous l’avait jamais faite celle là (rires) ! Nous qui n’étions même pas nés à cette époque, nous avons écouté toutes sortes de groupes car, étant vierges d’influences, nous n’avions pas connu ce mouvement et ses courants. En fait, nous n’avons pas retenu tel ou tel courant des années 80s ; tout nous plait dans cette période que nous considérons bien plus inventive que celle que nous vivons actuellement. C’est un peu cliché, mais c’est vrai.
Ally : C’est, de toute façon, un perpétuel recommencement ; dans vingt ans, des kids ressortiront les Libertines qu’ils n’ont jamais connus et se laisseront influencer par leur musique. Dès qu’un mouvement a un impact culturel, il rentre dans l’histoire. Et l’électro ou est un des derniers grands mouvements dans l’histoire de la musique. Le Krautrock, qui était essentiellement fait des prémices de l’électronique, a donné naissance à la new wave, puis la britpop et même le dubstep. J’ai l’impression que ces grands courants de mouvements n’existent plus maintenant.
James : Le dubstep a sûrement été la dernière mouvance musicale inventive qui a touché les gens.

 

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La grande différence entre notre époque et les années 80s ne se situe-t-elle pas également dans le fait que les groupes étaient alors très engagés politiquement et socialement ?

James : Absolument ! Spécialement à la fin des années 70s, le punk en est la preuve. Je suis entièrement d’accord.

Depuis vos débuts, vous jouez avec une certaine esthétique dans vos clips et vos mises en scène. Est-ce pour vous aussi important que votre musique ?

Ally : Oui, je crois. C’est quelque chose dont James et moi avons discuté dés le départ. Nous voulions créer un groupe qui soit plus que quatre musiciens sur scène. Le fait que nous portions des costumes et des cravates, que nous chorégraphions nos prestations scéniques et que nous passions en arrière plan des courts métrages faits pour nos titres, apporte un plus à l’expérience globale. Prends ce soir par exemple ; nous sommes à Paris et il va sûrement y avoir cinquante ou cent groupes en live dans toute la ville. Pourquoi venir voir Mirrors dans ce cas-là ? Peut-être parce que notre show est plus théâtral et plus préparé que les autres ?
James : Cela apparaîtra peut-être un peu présomptueux de notre part mais je pense réellement que faire partie d’un groupe ne peut être considéré comme un hobby et qu’il faut donner plus que la musique au public qui se déplace. Il faut s’investir personnellement dans sa musique.
Ally : Si tu considères ta musique sérieusement, ça se reflète dans le plaisir que prend le public à venir te voir.
James : Et, inversement, tu peux facilement énerver le public si tu ne mets pas toute ton âme dans ton set. Dans nos têtes, même la musique pop n’est pas quelque chose de si facile et ne doit pas l’être. Nous nous considérons d’ailleurs comme un groupe pop. Un groupe pop avec des challenges et des limites placées assez hauts.
Ally : Il y a cinquante ans, les groupes devaient tout faire eux-mêmes et leur image ou communication, comme on le dit maintenant, ne dépendaient que d’eux. Aujourd’hui, avant même que le concert soit fini, tout es déjà sur Internet, uploadé sur YouTube ou Dailymotion ! C’est pour cela que nous essayons de garder une part de mystère et de contrôle sur nos images pour ne pas tout livrer, tout donner de Mirrors trop rapidement et, parfois, pas à notre avantage.
James : Les groupes d’aujourd’hui devraient faire attention à mieux contrôler l’image qu’ils véhiculent et garder un peu d’intrigue les concernant. Tu mets seulement deux titres en ligne et une photo et tu crées le buzz. De toute façon, la musique seule est ennuyeuse ! Tu as enregistré ça (rires) ?

A propos de pop, votre musique est qualifiée de pop noire. J’ai lu que cela viendrait de la lecture de certains auteurs maudits du 19ème siècle comme Baudelaire ou Rimbaud ?

James : Je ne savais pas cela, mais c’est très flatteur pour nous ! En fait, nous serions plutôt influencés par le manifeste Dada et leurs œuvres (ndlr : le fameux Cabaret Voltaire en Suisse) ; il y a peut-être un rapport avec cela ? L’idée de départ est simpliste, nous sommes un groupe de musique pop. L’image et le style que nous véhiculons ont fait le reste et ainsi est venue cette qualification de pop noire.

Ce courant dont vous êtes les représentants ne descendrai-t-il pas de la cold wave des années 80s ?

James : Oui. Possiblement. En tout cas, nous sommes amateurs de ces groupes de cold wave. Mais nous aimons penser que Mirrors évolue dans sa propre bulle dans le sens où les groupes des années 80s n’avaient tout simplement pas la même technologie pour ce qui est des capacités des instruments électroniques. Nous sommes capables de créer de gros sons de guitares ou d’instruments à cordes avec nos machines aujourd’hui.
Ally : Souvent on nous renvoie à des groupes comme Depeche Mode et l’album Speak And Spell, mais, écoute le à nouveau, les sonorités sont très différentes.
James : Nous avons une écoute personnelle de nos compositions et le public en a sûrement une autre. Si ma mère écoute nos titres, elle les renverra à coup sûr à ses souvenirs d’Orchestral Manœuvre In The Dark et c’est logique. Mais, Maman, s’il te plait, essaie de dépasser ton passé et écoute toute l’inventivité de ton fils (rires) !

 

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À propos d’OMD, j’ai eu la chance de vous écouter au Casino de Paris en fin d’année dernière, juste avant vos aînés...

James : Ah oui ? Et comment était-ce ? Nous n’avons pas vu ce concert après coup et pour nous, c’était tellement bizarre de jouer devant des gens assis dans ce beau théâtre, si sages et concentrés. C’était le concert le plus bizarre que nous ayons fait !

Comment avez-vous rencontré OMD ? Êtes-vous allés vers eux ?

Ally : Non. Ils nous ont demandé de les accompagner pendant leur tournée ! C’est une occasion très rare de nos jours. Ils ont pu écouter certains de nos titres, ont demandé à nous rencontrer et nous ont proposé de les suivre. Mais il faut noter qu’au niveau management, cette politique ne plaisait pas forcément. Ils pensaient que nos styles étaient trop similaires et que nous passerions pour un groupe de reprises en première partie d’une formation si mythique en terme de synth-pop. Nous leur avons répondu « On s’en fout ! Faisons-le, ça va être sympa ! » et nous sommes partis trois semaines avec eux. Nous avons fait de bons concerts, découvert de très belles villes, rencontré de bonnes personnes. Mirrors : 1, Management : 0 (rires) !

Vous pensez que quand Andy McCluskey a écouté votre musique la première fois, il s’est senti replongé à ses débuts avec Orchestral Manœuvres In The Dark ?

James : Absolument. Nous le savons parce qu’ils nous l’ont dit !

Revenons à votre musique : vous n’utilisez aucun instrument classique ? Pas de guitare ou basse ?

Ally : Pas en live mais en studio, oui.
James : Mais ce ne sont pas des lignes mélodiques d’importance. Les guitares sont là pour accompagner la mélodie la plupart du temps.
Ally : Nous ne sommes pas My Bloody Valentine ! Nous n’utilisons pas des murs de sons de guitare par dessus l’électronique...

Pourriez-vous changer cela dans le futur ?

James : Sûrement. Un groupe qui n’évolue pas, s’enlise... Avec ce premier album, nous nous sommes imposés des codes, des réglementations comme un concept musical très carré et anguleux. Mais, déjà, nous sommes presque lassés de cette rigidité et sommes à la recherche d’un concept nouveau.
Ally : Un groupe se doit de changer souvent. Maintenant, je pense que nous devrions nous tourner vers des sons plus organiques, moins sophistiqués.
James : La discipline que nous nous sommes imposée et que nous avons tous aimé respecter, nous devons la casser. Et c’est quelque chose de motivant car, pour notre second album, nous serons toujours les quatre de Mirrors mais avec une nouvelle histoire à te raconter. Faire un Lights And Offerings part II serait nul. Qui voudrait écouter ça ? Moi je ne voudrais pas !

Vous avez signé chez Skint, label indépendant. Pourquoi les avoir choisis ? Grâce à leur expérience en musiques électroniques ? Parce qu’ils sont, eux aussi, de Brighton ?

Ally : Parce que nous avions besoin d’argent (rires) ! Ils sont venus avec un gros chèque et comme ils sont à Brigthon, nous n’avions pas à aller à Londres, que nous n’aimons pas (rires) !
James : Le fait d’être originaires de la même ville a certainement joué. Et puis, ils font partie des derniers labels indépendants, ce qui nous permet une traçabilité totale de tout ce qui se passe. Ce label comprend nos directions artistiques et le but que nous recherchons. Avec une major, il y aurait toujours en préambule, comme l'argent que nous allons rapporter, mais avec un indépendant, nous avons une grande liberté de mouvement.
Ally : Bien sûr, ils doivent gagner de l’argent eux aussi mais sans rompre avec leur intégrité. Une major n’aurait pas ces états d’âme !

Le nom Mirrors ramène à une notion de matière à l’apparence simple et transparente mais qui demande de nombreux éléments de base et beaucoup d’énergie pour sa création. Cela pourrait-il être un bon symbole pour votre groupe et votre musique ?

Ally : Nous aimions l’idée d’un seul mot, simple et clair, précis...
James : J’aime aussi l’idée du public se regardant lui même, sa propre réflexion dans le miroir !

James a dit un jour : « The ideal group would have visuals as part of their live experience. It would have things going on on pavements. It would play in the middle of a room »...

James : Où as-tu trouvé ça (rires) ? Je crois effectivement avoir dit ça... Ce soir nous allons être sur scène ; le public s’attend à quelque chose de plus ou moins similaire en terme de performance à ce qu’il voit généralement. Ce que j’ai voulu dire, c’est, lorsque c’est possible et ce soir ça ne l’est pas, fais quelque chose de différent, quelque chose de créatif et d’unique. Et s’il faut pour cela jouer au milieu d’une pièce... pourquoi pas ? Tout ce que ça demande, c’est de l’imagination.
Ally : Ce dont nous parlons c’est de ce que les groupes ne font plus aujourd’hui : innover. Ils viennent, ils jouent, ils sont payés et rentrent chez eux ! Ce n’est pas le cas de tous, évidemment...
James : Quand tu tournes, que tu pars faire des festivals... tu dois te renouveler et pas uniquement au niveau musical. Tous les quatre ou cinq mois, nous nous regardons jouer dans un miroir pendant une séance de réflexion que nous appelons « Un autre monde » et cela nous donne matière à réfléchir et à nous renouveler.

D’après vous, pourquoi voit-on réapparaître autant de nouveaux groupes d’électronique froide venus d’Angleterre, vingt-cinq ans après les mouvements new wave, cold wave et apparentés ?

James : Je ne pense pas qu’il y ait tant de groupes que ça venant d’Angleterre jouant la musique des années 80s. Ils en prennent des éléments et de la matière pour faire quelque chose de plus ou moins nouveau. Ce qui caractérise aussi les années 80s, c’est le fait que les groupes arrivaient à composer des titres très populaires mais qui étaient aussi créatifs, artistiques et novateurs pour l’époque. Ils avaient des influences mais la plupart offraient quelque chose de vraiment nouveau.
Ally : L’art ou les engagements des premiers Depeche Mode ou Human League restaient accessibles au plus grand nombre. Replaçons les faits dans le contexte de l’époque : l’Angleterre de 1977 et était en dépression et en récession, rentrait dans les années terribles du Thatchérisme et, ironiquement, il se passe presque la même chose aujourd’hui !

 

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Ces influences actuelles issues de la cold wave ou new wave manifestent-elles le besoin et la nécessité pour les artistes d’aujourd’hui d’être plus engagés artistiquement et, donc, politiquement ?

James : Ce serait vraiment bien de penser que c’est ce qu’il va ou ce qu’il devrait se passer mais le fait est que nous sommes tous de moins en moins engagés !
Ally : A l’époque, quand un artiste ou même un inconnu se rebellait contre la Couronne ou le Thatchérisme, tout le monde l’écoutait ou le remarquait car peu de gens avaient la possibilité de communiquer leur point de vue. Aujourd’hui, des millions de personnes dénoncent, révèlent et accusent sur leurs sites web, leurs blogs, leurs smartphones... et c’est devenu presque trop facile et donc moins pris au sérieux !

Channel four vous a consacré un documentaire diffusé en Angleterre il y a quelques jours. Comment cela s’est il concrétisé ? Qu’en avez-vous pensé ?

Ally : Oh oui ! J’ai adoré le sujet de ce documentaire (rires) ! Pour être sérieux, nous ne voulions surtout pas d’un sujet du genre : « Bonjour, nous sommes Mirrors ; je m’appelle Ally, je joue des claviers... ». Cela aurait été tellement ennuyeux !
James : Ils sont venus nous rencontrer en nous disant : Ok, on vient vous voir à Brighton et vous nous montrez les endroits que vous aimez, où vous avez débuté... J’ai répondu : Fuck that ! On va aller dans un champ, on ne va pas regarder la caméra, faire ce qu’on veut pendant vingt minutes et si ça ne vous plait pas, on ne le fait pas (rires) !

Vos looks, sur scène, contribuent à votre style et à votre esprit. Ils se rapprochent des tenues qu’aimaient porter Gary Numan et Kraftwerk. En Allemagne, ce style-là est très apprécié ; comment s’est passé l’accueil de Mirrors là-bas ?

Ally : Fantastique ! Au départ, nous n’étions pas sûrs de l’accueil là-bas parce que c’est un peu la patrie de la musique électro froide mais en fait, ils ont adoré ces jeunes Anglais qui se prenaient un peu pour leurs aînés d’outre-Rhin et qui, dans un sens leur, rendaient hommage.
James : Cela peut paraître réducteur de parler d’un groupe à travers ses tenues ou sa mise en scène mais, en fait, à l’origine, cela a toujours été un acte de rébellion. Je ne supporte plus les groupes qui pensent que pour jouer du rock il faut absolument porter un Skinny Jean, un tee shirt de marque, une coupe de cheveux hirsute... oubliant que si nos aînés l’ont fait, pour la plupart cela avait un sens social ou politique ; en aucun cas il n’était question d’une mode à suivre. C’est la musique qui faisait la mode alors !