logo SOV

The Pastels

Interview publiée par Amandine le 13 août 2013

Bookmark and Share
Seize longues années, c'est le temps qu'il aura fallu attendre pour écouter Slow Summits, nouvel album du groupe écossais le plus emblématique mais probablement aussi le plus sous-estimé : The Pastels. C'est donc avec un enthousiasme non dissimulé que nous avons rencontré Stephen McRobbie et Katrina Mitchell qui, malgré leur statut culte pour les amateurs de noise pop et de shoegaze, ont partagé avec nous un long moment, en toute simplicité, pour revenir sur ces années de silence, la création de leur propre label et leur vision très idéaliste.

Vous avez dû entendre cette question des dizaines de fois dans vos dernières interviews mais difficile de passer à côté : votre album précédent est sorti il y a maintenant seize ans et depuis, vous êtes restés relativement discrets. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui s’est passé pendant cette période ?

(Rires de Stephen et Katrina)
Stephen : Dans les années 90, après la sortie d’Illumination (en 1997, ndlr), Annabel a décidé d’arrêter l’aventure pour se concentrer sur le dessin et les arts graphiques, qu’elle pratiquait déjà depuis un bon moment. Nous avons eu besoin de prendre du recul, et donc du temps, pour savoir ce que le groupe allait devenir et comment nous allions y parvenir. Nous savions que nous voulions continuer à faire de la musique mais il fallait réfléchir à la meilleure façon de le faire.
Devions-nous recruter de nouvelles personnes pour le groupe ou jouer en comité restreint ? On s’est posé beaucoup de questions à cette époque. Ça a aussi été le moment où on a créé notre propre label et ça, ça a changé beaucoup de choses pour nous : nous avons produit des musiques pour des publicités puis nous avons fait la bande-originale du film de David Mackenzie, The Last Great Wilderness. David produisait son premier long-métrage et il avait déjà entendu ce que l’on faisait. Il est venu nous voir en disant qu’il serait ravi que l’on puisse collaborer à son projet en écrivant la musique. L’idée nous a plu ! Nous avons également écrit la musique pour des pièces de théâtre, bref, nous avons mené de nombreux projets. Parallèlement à tout cela, nous avions enregistré plusieurs sessions avec de nouveaux titres pour The Pastels, ça se passait plutôt bien mais nous n’avions pas la matière à sortir un nouvel album et, comme tout le monde le sait désormais, nous aimons prendre notre temps donc... Et puis, nous avons rencontré Tenniscoat et avons débuté la collaboration.
Katrina : Raconté comme ça, nous avons l’air d’avoir été débordés durant ces années, tu ne trouves pas ? (rires)

Je ne doutais pas du fait que vous aviez mené à bien de nombreux projets mais tout le monde attendait tellement ce nouvel album de The Pastels !

Stephen : Oui, mais notre devise, c’est que la musique n’est pas une course. Tout est toujours tellement rapide autour de nous. Ça ne me ressemble pas, je n’aime pas ça. J’ai besoin de prendre mon temps.

Vous avez décidé de créer votre propre label, Geographic, au début des années 2000...

Stephen : Oui, il y a treize ou quatorze ans déjà.

Qu’est-ce qui vous a motivés à démarrer ce projet ?

Stephen : C’était avant tout une opportunité. Nous avions réellement une idée du genre de disques que nous voulions faire et savions pertinemment que personne ne voudrait les produire. Nous savions aussi que nous n’étions pas les seuls dans ce cas donc créer un label, c’était à la fois produire nos propres disques et permettre à des groupes dans des situations comme la nôtre de tout de même avoir une sortie, ce qui aurait été inenvisageable auparavant. Nous ne sommes pas dans une vision de la musique compétitive et c’est ce qu’on te demande lorsque tu es dans un label : il faut vendre et pour vendre, composer des choses qui marcheront auprès du public. Cette vision est mauvaise, lacunaire et, surtout, déforme la démarche originelle des groupes. Nous ne voulions plus subir tout ça et être enfin tranquilles et libérés pour créer ce que nous avions envie de créer. Nous avons alors rencontré ce groupe japonais et avons décidé de produire leur album. L’aventure a alors commencé... Pour nous, Geographic (leur label, ndlr) fait de la musique à dimension humaine, peu importe le style. Nous essayons de sortir autant de disques que possible ces dernières années. C’est une extension de The Pastels à vrai dire et ce qui est génial, c’est que Domino, la maison de disques avec qui nous collaborons, est totalement d’accord avec ces principes, c’est pourquoi nous pouvons continuer à travailler avec eux, c’est une chance rare. Ceci dit, il est arrivé un moment où Katrina et moi nous sommes dit « Il faudrait peut-être prendre notre courage à deux mains pour terminer un disque de The Pastels au lieu de ne faire qu’en parler ! ».

Malgré tout, vous avez préféré continuer à réaliser des choses mais sous d’autres formes, notamment par le biais de ce split album avec Tenniscoat. D’où est venue l’idée de collaborer avec eux ?

Katrina : Nous les connaissions par le biais de Geographic, on avait déjà travaillé ensemble. Ils sont venus à Glasgow pour quelques concerts : ils étaient jeunes, excités de faire de la musique et d’être à Glasgow pour la présenter et la jouer. On a aimé cet engouement, cette fougue. Ils nous avaient préparé un CD regroupant tous leurs side-projects et ce qu’ils y faisaient. On a joué un peu ensemble, juste pour le plaisir et Stephen et moi les avons d’emblée trouvés fantastiques. Ils sont revenus plusieurs fois à Glasgow, en tant que Tenniscoat, pas avec leurs autres groupes et nous nous sommes beaucoup vus, avons joué de plus en plus ensemble et l’idée d’un split album est venue très naturellement je pense.
Stephen : Ils nous ont proposé d’enregistrer avec eux ; j’avais gardé un bon souvenir du moment où certains d’entre eux étaient venus enregistrer avec leur autre groupe pour Geographic et nous avons donc accepté. Ils ont beaucoup tourné en Europe, notamment en Scandinavie et chaque fois, ils faisaient un détour par l'Ecosse pour que nous puissions passer un moment en studio pour avancer sur ce projet.

Quand vous travaillez sur un side-project ou pour la bande-originale d’un film, est-ce différent du travail que vous menez pour un album de The Pastels ?

Stephen : Au début, c’était différent, mais au fil du temps, c’est devenu de plus en plus proche. Nous voulions montrer ce que nous pouvions faire et avions beaucoup d’ambitions. C’était l’excitation des débuts et on se rêvait à collaborer avec Ken Loach ou d’autres réalisateurs incroyables (rires). Ensuite, on est un peu redescendus sur terre. Finalement, quand nous avons travaillé avec David sur son film, on s’est retrouvés, malgré nous, dans une ambiance « Pastelsienne » alors que ce n’était pas du tout prévu et qu’au contraire, nous voulions nous démarquer ! Cette expérience a été un tournant pour nous à tous les niveaux : travailler avec ce réalisateur merveilleux, avec des acteurs formidables, pour finalement se retrouver à enregistrer un titre où Jarvis (Cocker, ndlr) chante ! C’était fantastique, au-delà de nos rêves des débuts !
Katrina : Tu oublies de dire qu’en plus, nous avons joué dans le film ! (rires)

Vraiment ? Je n’étais pas du tout au courant !

Katrina : Oui, il y a une scène dans le film où un petit groupe local joue une reprise de la chanson avec Jarvis justement et David Mackenzie trouvait drôle de nous demander de jouer ce rôle... C’était drôle.

Vous êtes polyvalents et, surtout, qui peut dire que seize années étaient trop longues entre vos derniers albums alors que vous vous êtes même essayés au cinéma !

(Rires) Stephen : Exactement, tu as tout compris. Nous sommes ce que l’on appelle des artistes complets !
Katrina : C’était une expérience incroyable car pendant plusieurs mois, nous avons été immergés dans l’univers du film.
Stephen : David a été très généreux avec nous car il nous a laissé une totale liberté même si, à certains moments, nous n’étions pas d’accord. Ça nous a donné envie de continuer à composer de cette façon et nous avons donc travaillé pour le théâtre. Notre vision de la musique et notre façon de composer s’est alors imbriquée avec ce que nous faisions avec The Pastels. Malgré tout, je pense que Slow Summits est plus immédiat que ce que nous faisons pour le théâtre ou le cinéma et se suffit à lui-même ; il n’a pas besoin d’être accompagné et c’est la grande différence avec le reste, indéniablement !

Et continuez-vous vos jobs alimentaires comme vous l’aviez fait tout ce temps avec tous les projets dans lesquels vous êtes impliqués ?

Katrina : Oui !
Stephen : Je travaille toujours pour mon magasin de disques à Glasgow et ça se passe plutôt bien. Néanmoins, de temps en temps, je suis obligé de me faire remplacer car je suis trop occupé avec la musique.

Vous tenez à garder cette liberté et ne pas devenir « professionnel à plein temps », c’est important pour vous, non ?

Katrina : Ça nous prend de plus en plus de temps la musique pour tout avouer.
Stephen : Vu notre rythme de travail, si nous ne gardions pas notre job alimentaire, nous serions morts de faim depuis longtemps ! (rires)

Vous avez ce statut, auprès de la presse mais aussi du public, de groupe « culte » qui a influencé toute une génération (My Bloody Valentine, The Vaselines et toute cette scène) et les gens s’attendent à entendre un certain type de musique. Pensez-vous que les attentes sur Slow Summits soient restées figées dans les années 90 ?

Stephen : Je pense que ça dépend. A Glasgow, les gens ont gardé l’habitude de nous voir sur scène parce qu’on a continué à y jouer régulièrement donc ils savent à quoi s’attendre. Je comprends totalement que les personnes qui nous écoutaient à l’époque s’identifiaient à nous et à notre musique, c’est d’ailleurs très gratifiant. De même, les jeunes d’une vingtaine d’années qui découvrent nos premiers albums aujourd’hui font parfois pareil mais pour nous, c’était impensable de récréer ce que nous avions déjà fait et surtout, ça n’avait aucun sens. Le passé est derrière nous et il est normal que nous ayons évolué. Le premier album, c’était il y a longtemps ; nous avons désormais des énergies différentes et ça n’a plus rien à voir avec il y a quinze ans.

Quelle est la principale différence entre Up For A Bit With The Pastels et la musique présentée sur Slow Summits ?

Stephen : A l’époque, je voulais faire de la musique, sortir des disques et m’intégrer dans un paysage musical, laisser une trace de mon passage. C’était une période excitante : c’étaient les premières vagues des disques et des groupes indépendants. Les fanzines et les cassettes compilations avec les groupes indépendants sortaient de toutes parts et je voulais faire partie de tout ça. Il y avait une communauté de personnes très enthousiastes pour faire bouger les choses et je voulais avoir ma place dans le mouvement, c’était très important pour moi. On ne se rendait pas réellement compte de l’ampleur et on faisait sans réfléchir, c’est maintenant qu’on a le recul nécessaire. Aujourd’hui, nous sommes probablement beaucoup plus prudents et nous réfléchissons plus, sans pour autant tomber dans l’apathie. Nous tentons au mieux de mixer nos idées.

Ces vingt dernières années, vous avez subi de nombreux changements dans le line-up du groupe, vous avez créé votre label et, je suppose, vous avez vécu vos vies respectives à côté de tout ça : quelle est la clé pour que The Pastels soient toujours présents aujourd’hui et sortent un nouvel album ?

Stephen : Ce n’est jamais évident quand un membre quitte le groupe parce que ça te fait forcément réfléchir. Katrina et moi avons toujours été d’accord pour continuer, même si, parfois, nous ne savions pas tellement de quelle manière ce serait. Je suis très heureux d’avoir tenu bon quand je vois le résultat : c’est la première fois que je dis un truc pareil mais je suis très fier de Slow Summits, de la musique qu’on a faite. Pour répondre à ta question, je crois que la clé c’est nos idées nouvelles qui reviennent sans cesse et le goût de vouloir continuer, toujours avec la même volonté.

Comment a été réalisé Slow Summits : avez-vous travaillé en commun du début à la fin ? Stephen, as-tu proposé tes compositions et ont-elles été travaillé par la suite avec Katrina ?

Katrina : Nous avons décidé de commencer à répéter et enregistrer avant même d’avoir suffisamment de titres. Nous étions prêts. C’était en 2005 ou 2006 si je ne me trompe pas. Nous avons fait quelques sessions et ensuite, plus rien pendant près d’une année. Nous avons reproduit l’exercice plusieurs fois. Nous avons ensuite fait venir des amis musiciens pour enregistrer quelques parties avec nous. Nous avons la chance d’avoir autour de nous des musiciens fabuleux et éclectiques : trompettistes, bassistes...

Justement, comment avez-vous choisi ces collaborations ?

Stephen : Nous savions que nous voulions du changement par rapport aux précédents albums de The Pastels et c’est avec cette idée en tête que nous avons posé les fondements de Slow Summits. Certaines collaborations étaient toutes naturelles et au magasin de disques où je travaille, j’ai eu d’autres opportunités, que nous avons acceptées. On aurait pu ne faire ce disque que tous les deux mais il n’aurait pas été le même. Nous voulions un disque avec une grande richesse sonore et pour changer d’univers sonore, il faut des instruments et des musiciens, c’est obligatoire. Peut-être que le prochain album sera plus concentré sur le groupe et plus intimiste, c’est possible, mais là, nous voulions plus nous ouvrir sur l’extérieur. Je ne sais pas… En même temps, dans seize ans, pour le prochain album, il n’y aura peut-être même plus de groupe (rires).
Katrina : Nous avions déjà travaillé avec certaines personnes qui ont collaboré sur l’album. Certains avaient fait des remixes de nos anciennes chansons et nous avions aimé donc on les a invités sur Slow Summits. On s’est retrouvé à jouer dans un festival à Glasgow il y a quelques années avec des musiciens qui ont enregistré chez Geographic et on avait les prémices d’un ou deux morceaux qui sont sur l’album et on a partagé la scène avec eux, on a joué ces morceaux dans des versions très minimalistes et c’était une très belle expérience qu’on a voulu renouveler et mener à bien en partageant cette collaboration jusqu’à l’enregistrement de l’album.

Vous avez travaillé avec John McEntire (musicien et ingénieur du son qui collabore avec de nombreux artistes comme Bright Eyes ou Will Oldham, ndlr) pour Slow Summits...

Stephen : John était déjà venu à Glasgow pour travailler avec nous sur la bande-son du film. Nous avons vécu une expérience très spéciale, je ne vais pas revenir là-dessus, je t’en ai parlé tout à l’heure, mais c’était la même chose avec John et ça nous a beaucoup rapprochés. Nous nous sommes trouvés beaucoup de points communs, professionnellement parlant mais aussi personnellement parlant. John est quelqu’un de très gentil, de très agréable et nous savions que nous devions faire le prochain The Pastels avec lui car en plus de ces qualités humaines, ce mec est un super ingénieur du son. Nous sommes très attentifs au son des percussions et de la batterie et John est extrêmement doué pour ça. Il a fait un très bon travail avec Slow Summits. Il n’est pas très bavard pendant les enregistrements et les sessions studio et reste immobile et impassible, c’est assez déroutant (rires). Quand on lui disait « Que penses-tu de ça, John ? » il nous répondait « Hum... Ouais, c’est pas mal... » mais nous n’en savions jamais plus.

La question qu’il me reste à poser c’est : après la sortie d’un album si réussi, avez-vous prévu une tournée européenne ?

Stephen : Pour le moment, nous n’avons pas prévu une grosse tournée, non. Mais nous aimerions faire quelques concerts en France, en Espagne ou en Allemagne par exemple.
Katrina : Nous sommes aussi programmés à Rock-en-Seine... On va pouvoir dire qu’on a joué avec Johnny Marr (rires).

Avec Geographic, votre label, quels sont les projets à venir ?

Stephen : Il y a quelques projets sur le feu : quelques rééditions et nous n’avons jamais fait de disque de Tenniscoat sur Geographic, ça pourrait être un projet. En tout cas, nous aimerions au moins sortir un disque par an et faire un nouvel album de The Pastels avant quinze ans mais tu sais, je suis lent dans tout ce que je fais et le groupe est devenu comme moi donc on verra... Mais la motivation est toujours là et comme on dit, peu d’attentes et beaucoup de joie au final ! (rires)