Belleruche

Avec son tshirt portant un King-Kong menaçant, Superpoze semble mixer à quatre mains.



Les deux siennes ne paraissent pas suffire tant son agilité à manier ses machines est irréelle. Telles de vieilles plateformes de jeu vidéo débarqués des 80's, ses instruments pulsent des enchainements de sonorités affolant les oreilles. Il brandit ses machines aux yeux du public, jouant beaucoup avec lui pour le plus grand plaisir de tous, comme un prestidigitateur montrerait qu'il n'y a aucune supercherie, sinon une belle superposition de sons et de rythmiques, liées entre eux comme on associe des idées sonores en un marabout de ficelle géant, pareil à du beatbox sans la bouche, mais avec du cœur et les tripes de l'inventivité. Vu son jeune âge, on imagine bien les années passées à bricoler dans sa chambre de gamin, expérimentant tous les sons et mixes possibles. Superpoze est un vif argent qui sait faire monter la température, alors sortez tongs et lunettes de soleil, votre prochaine écoute de ses œuvres sera chaude.



Non moins hot : la prestation de Belleruche ce soir au Café de la Danse. Les trois compères du groupe, Kathrin deBoer au chant, Ricky Fabulous à la guitare et DJ Modest aux machines, nous emmènent principalement à la découverte de leur quatrième album, Rollerchain, paru en mai dernier via Tru Thoughts/Differ-Ant. Cet album aura demandé cinq mois de travail en écriture et enregistrement et nous convie à une ambiance plus introspective, plus complexe, plus risquée, en s'aventurant hors des sentiers battus précédemment avec trois albums (Turntable Soul Music, The Express, 270 Stories) aux teintes hip-hop et soul joliment calibrés mais effectivement plus attendues en cette décennie de revival soul made in England.
Avec Rollerchain, Belleruche élargissent donc le champ de leurs possibles. Le chant de Kathrin est d'emblée plus sombre et fragile sur Stormbird et Wasted Time, lequel pourrait être un morceau de Portishead tant les longues distorsions langoureuses d'influences trip-hop et nu-jazz l'affectent. Point de maniérisme ici, mais du sensuel, de fugaces vibrations, de sinueuses contorsions que la chanteuse figure en ondulant dans le clair-obscur de la scène. Un brin agacée par ce que j'avais pris à l'initiale pour des minauderies manquant de sincérité de la part de la chanteuse, je pénètre peu à peu dans ce nouvel univers un peu plus difficile à aborder que les précédents et m'y abandonne enfin à l'écoute de 16 Minutes, au groove baroque teinté de post-punk. Si Kathrin susurre plus ses mots qu'elle ne les chante, ce n'est donc pas par coquetterie mais pour inviter à une plus grande intimité, à pénétrer en un intérieur cuir lacéré de ses états d'armes chauffées à blanc. La ligne ondoyante de sa voix délicatement cassée se glisse dans les flux analogico-électroniques de ses musiciens, tout à leurs partitions empreintes d'un mélange volage de cold wave et d'électro-deep vouant nos sens à de voluptueux jeux de pistes, à la recherche du tempo perdu.



Le sacrifice de l'évidence trip-hop allouée ces dernières années à Belleruche vaut à ces morceaux de nous dérouter. Comme le premier shoot d'une drogue nouvelle, cette expérience cérébrale, charnelle, se vit dans l'incertitude et nous force à lâcher prise pour jouir de l'inconnu, ici et maintenant. Quelques accents trip-hop émanent encore de leur musique, notamment avec Reach For The Bottle, à la rythmique appuyée sur un groove lancinant et sur le chant légèrement à contre-temps de Kathrin, ainsi assurément marqué de soul et sensualité plus incisive. Les quelques reprises des précédents albums tels que les funky Clock Watching, 3 AMP Fuse et Fuzz Face de 270 Stories, Minor Swing, Northern Girls et Alice de Turntable Soul Music, plus funky, jazzy ou hip-hop selon les albums, ne viennent pas calmer la vive morsure de Rollerchain.

Marqué par cette nouvelle empreinte sonore, on en vient à souhaiter que la cicatrice qu'elle nous laissera aura le goût du risque. Celui que Belleruche a pris, comme un tournant dans son histoire, à suivre de très près, au corps à corps, encore raccords.