Les amoureux du beau songwriting et des complaintes romantiques se sont donné rendez-vous ce soir à la Cigale, pour une très belle affiche, qui réunit à la fois Villagers et Bill Ryder-Jones, deux signatures de chez Domino Records. Trois mois tout juste après leur concert à la Maroquinerie, le groupe de Conor O’Brien a choisi de refaire escale à Paris, dans une salle beaucoup plus grande. En arrivant, on se demande même s’ils n’ont pas vu un peu trop grand… Si la Maroquinerie en février était pleine, cette fois-ci les balcons de la Cigale sont fermés pour la soirée...

Cela ne semble pourtant pas impressionner
Bill Ryder-Jones, en première partie ce soir. L’ex-membre de The Coral, pourtant réputé pour sa réserve quasi-maladive, arrive sur scène presque détendu, pour présenter son album solo. Il est entouré pour l’occasion de ses musiciens, au nombre de quatre, et l’ambiance au sein du groupe semble assez joyeuse. On soupçonne qu’ils ont dû se donner du courage à la manière anglaise, sous forme liquide... Qu’importe, ils installent d’emblée leur ambiance moelleuse et feutrée avec la chanson-titre de son dernier album,
A Bad Wind Blows In My Heart, dans une Cigale qui peine encore à se remplir.
Bill fait pourtant l’effort de communiquer avec le public et présente les chansons, en élève un peu dissipé mais appliqué. Le rythme très lent des compositions (notamment
Lemon Trees ou encore
There’s A World Between Us) ne semble pas rebuter les spectateurs, lesquels s’intéressent à ses ballades cotonneuses et envoûtantes. Fait assez rare pour une première partie (surtout à Paris) le public ne semble pas complètement hostile et encourage même le groupe. Un bon point pour les fans de Villagers. Bill et ses musiciens, tous émérites et rescapés eux aussi de groupes liverpuldiens, loin de se contenter d'un copié-collé de l'album, vont apporter du corps aux morceaux, ici en accélérant le rythme, là en ajoutant une improvisation, mais sans jamais trahir l'esprit de l'album, ni les histoires que Bill raconte, pleines de poésie nonchalante. Derrière un côté un peu rugueux, se cache un musicien au talent toujours exquis, et au final éminemment séduisant.
Après cela, vient le moment de l’entrée en scène de Conor O’Brien. Il arrive sans fanfare, seul avec sa guitare. Il entame a cappella le morceau
Memoir, composé au départ pour Charlotte Gainsbourg, qu’il se réapproprie de la plus belle des manières : complètement à nu. La sensation d’assister à un moment privilégié est accentuée par les sièges vides à l'arrière de la salle. Puis le reste des musiciens le rejoignent. Lentement, mais sûrement,
Villagers vont réussir à installer une atmosphère des plus denses, frôlant par moments l'expérience religieuse.

Commençant en douceur avec
My Lightouse, ils enchaînent sur l'offensive inquiétante de
Passing A Message, et la gravité épique de
Grateful Song est contre-balancée par la légèreté de
The Pact (I'll Be Your Fever) . Le public, chauffé, se dérouille pendant
Nothing Arrived en chantant en choeur, avant de replonger de plus belle dans les profondeurs de l'âme d'O'Brien, avec
The Bell et son final quasi-mystique, le recueillement de
Meaning Of The Ritual, avant d'être submergé par
The Waves, grandiose épopée qui se termine en incantations, bientôt suivie comme sur l'album par
Judgement Call. Puis le
Ship Of Promises nous emmène irrésistiblement vers la fin du set, sous la forme de la mélopée
Earthly Pleasure.
Quelques minutes de répit pour le groupe plus tard, Conor revient sur scène, de nouveau seul, pour un
Cecilia And Her Selfhood presque narratif, avec des spectateurs très attentifs aux paroles, puis poursuit sur l'émouvant
In A Newfound Land. La soirée se termine après un
Twenty Seven Strangers empreint de sérénité, avec l'estocade finale portée par
Becoming A Jackal, toujours magistrale.
Sous un air a priori inoffensif, Conor O'Brien cultive un monde fantasmagorique et pourtant apaisant, intense mais empreint de douceur et de félicité. Ses concerts, impressionnants, plongent le spectateur dans un univers dont il ne peut ressortir qu'avec une seule sensation, si rare et si recherchée, mais si rarement atteinte : la béatitude.