logo SOV

The Libertines

Londres, Hyde Park - 5 juillet 2014

Live-report par Hugues Saby

Bookmark and Share
La perfide Albion. Aveuglés que nous sommes par notre amour immodéré pour tous les groupes que cette île a donné au monde ébahi, on en oublie les raisons qui font qu'on la déteste tant, parfois. En arrivant à Hyde Park pour le 3ème jour du British Summer Time, elles se sont brutalement rappelées à mon bon souvenir.

Il est quatre heures de l'après-midi, il pleut, et les Anglais, boivent comme des trous. Déjà, les flaques de vomi fleurissent, et l'ambulance a déblayé ses premiers comas éthyliques. Ambiance. Seul au milieu de ces torses nus et des ces petites Anglaises aux looks tellement, euh, anglais, tout ça enquillant un volume incalculable de bière, c'est, confessons-le, un brin glauque. Il faut dire que je suis arrivé trop tard pour voir Wolf Alice, la sensation anglaise du moment, et que le set mou du genou de Maxïmo Park ne fait rien pour égayer tout ça. Il a beau crier et sauter dans tous les sens, Paul Smith, c'est peine perdue. Même les tubes du premier album (Apply some Pressure, rappelez-vous, vous aviez dix ans de moins) peinent à faire décoller la foule, qui mine de rien commence à envahir sérieusement les pelouses de Hyde Park. Malgré ce public grandissant, et disons-le, de plus en plus torché, le set de Spiritualized endort tout le monde, se perdant dans d'interminables morceaux, d'inutiles solos et les vocalises de choristes beaucoup trop enthousiastes. Si la pluie semble vouloir s'arrêter, l'ennui, lui, est palpable. Il est grand temps de le tromper un peu et de noyer ma tronche de frenchie dans la couleur locale.

Quelques pintes et une inspection des lieux plus tard, me voilà de retour aux abords de la grande scène. La foule est désormais immense, compacte, et accueille avec réjouissance le concert des Pogues. C'est une surprise si, comme moi, vous pensiez que Shane MacGowan était mort. Une demi-surprise disons, car s'il bouge encore, faire un concert s'avère nettement plus compliqué pour lui. Entre deux cigarettes, il marmonne quelques mots que personne ne comprend, et baragouine littéralement l'ensemble de son répertoire. Les musiciens, eux, assurent, et les traditionnels irlandais commencent à faire leur petit effet. Et c'est là que tout change. Le soir tombe doucement sur Londres, partout les Anglais se mettent à danser, à chanter, et ce qui n'était qu'une morne plaine saoule et amorphe se transforme en un clin d'œil en une immense fête, dans le plus beau sens du terme qui soit. Les gens sont heureux, s'amusent, et se délectent d'une musique qui fait partie du patrimoine national. On sent une certaine fierté, mais tout cela reste insouciant, pas arrogant pour un clou. La brute épaisse qui vous marchait sur la gueule dans la queue du pub s'est métamorphosé en un « lad » enthousiaste qui n'a qu'une envie : vous prendre par l'épaule et chanter avec vous, sans aucune autre arrière pensée que celle de passer une joyeuse soirée. Et l'on commence à se souvenir pourquoi on l'aime tant, ce putain de pays de sauvages.

Il est 20h, et pas loin de 60 000 personnes font désormais face à la grande scène. Quelques ultras ont fait le déplacement avec la veste militaire rouge de la grande époque des Libertines. Car c'est eux bien sûr que tout le monde vient voir. Après une journée d'attente, la tension est palpable, et s'accroit chaque seconde un peu plus. À l'écran, photos et interviews du groupe défilent. La sono diffuse quelques uns des bijoux de la couronne. Sur Common People de Pulp, tout Hyde Park n'est plus qu'une seule voix pour un moment très émouvant. Puis soudain, une immense clameur monte de la foule. Derrière-moi un colosse tatoué a les larmes aux yeux et dit à sa copine : « Here they are ». Au loin, sur la scène, une veste rouge : c'est Carl Barât. Here they are indeed.
Les premières notes de Vertigo résonnent, l'ambiance est tout bonnement indescriptible. Elle le restera tout au long du concert, malgré trois interruptions plutôt brutales. Comment vous dire ? Jetez un coup d'œil à la setlist, cela vous donnera une idée du délire qui règne sur les vertes pelouses londoniennes ce soir. Boys In The Band, Don't Look Back Into The Sun, Tell The King, What A Waster... Tous les tubes sont là. Mais la notion de tube n'a ici aucun sens. Ce n'est pas un public ordinaire. Chaque spectateur est un fan transi, qui connaît chaque note, chaque parole par cœur.

Alors oui, c'est vrai : en Angleterre, on flirte avec la violence et l'ivrognerie à chaque concert ; on aura vu des gens (plein de gens) se bourrer (atrocement) la gueule, prendre de la coke (beaucoup), se jeter (violemment) des bouteilles et des verres de bière à la gueule. Mais quand les Libertines sont sur scène, la ferveur est quasi religieuse. Personne ne parle, tout le monde chante. Vous imaginez, 60 000 personnes qui reprennent le fameux « shoop shoop, shoop de-lang de-lang » de What Katie Did ? Les « No-no-no, yeah-yeah-yeah, maybe-maybe-maybe » de The Delaney ? Vous imaginez la même scène en France lors d'un concert de rock ? Non ? C'est normal : ça n'existe pas et ça n'existera jamais. Alors, oui, c'est pour ça qu'on l'aime malgré tout à la folie, cette roublarde Angleterre, comme on aime –autant que l'on déteste- les frères Gallagher. Car là-bas, les Libertines, Oasis, Blur, Pulp et tous les autres, ce sont plus que de simples groupes, ce sont des trésors nationaux qui font partie du patrimoine et, j'ose le mot, de la culture.
À titre indicatif, rappelez-vous quand même qu'en France, c'est Patrick Sébastien qui présente la fête de la musique. Eh bien en Angleterre, ce sont les Arctic Monkeys qui ouvrent la cérémonie des Jeux Olympiques. Il n'y a pas match, c'est dans les gènes, point. Pour en revenir aux Libertines, ils ont livré une prestation remarquable, tellement remarquable qu'elle sera stoppée trois fois pour raisons de sécurité (malaise dans le public, gens qui escaladent les tours de delay...). Un concert plein de fougue, électrique, pointu et en même temps incroyablement bordélique. Tellement eux. Car personne d'autre qu'eux ne peut glisser, entre deux morceaux d'un lyrisme bouleversant, le fameux « hokey cokey » (plus connu sous le nom de « la dance d'Hélène » en France, sans commentaire), réciter un poème romantique sur la première guerre mondiale ou encore entonner le refrain de She Loves You tout en gardant son inextinguible suprême. Pas de doute, les « Libs » sont de retour. Les hymnes défilent et sont ponctués de quelques raretés dont France, morceau caché du deuxième album, et Love On The Dole, démo de leurs tous débuts. Si les Libertines ont annoncé de nouvelles dates en Angleterre et en Europe, pas de nouvelles chansons à l'horizon.

Le set de près de deux heures s'achève par Albion des Babyshambles, dédié aux soldats anglais et à la liberté, suivi de I Get Along. La nuit est tombée sur Hyde Park, ça et là jaillissent des fumigènes, des Union Jacks sont brandis (ça change du drapeau breton), les gens sont hystériques, et, surtout, profondément heureux. Carl et Pete sont aux anges eux aussi. Depuis le premier morceau, ils partagent le même microphone, se dévisagent, un sourire immense aux lèvres. À la fin, Pete va même sauter dans les bras de Carl jusqu'à le faire tomber. La joie de deux gamins qui ont conquis le monde avec leurs chansons, et qui ne rêvaient que d'oublier leurs querelles pour jouer de nouveau ensemble. Alors oui, le cachet est gros. Oui, ils ont des factures (ou un dealer) à payer. Laissons cette polémique aux aigris et aux frustrés. Car les chants qui ont retenti dans Hyde Park ce soir du 5 juillet, la joie qui a éclaté dans le cœur des fans, les larmes qui ont coulé sur nos joues, tout cela n'a pas de prix et restera gravé bien plus longtemps que quelques zéros sur un compte en banque. Longue vie aux Libertines, longue vie à l'Angleterre et bien sûr, « God save the queen » !
setlist
    Vertigo
    Boys In The Band
    The Delaney
    Campaign Of Hate
    Time For Heroes
    Horrorshow
    Begging
    The Ha Ha Wall
    Music When The Lights Go Out
    What Katie Did
    The Boy Looked At Johnny
    Can't Stand Me Now
    Last Post On The Bugle
    Love On The Dole
    The Saga
    Death On The Stairs
    Radio America
    Don't Look Back Into The Sun
    Tell The King
    Up The Bracket
    What A Waster
    France
    Albion (Babyshambles cover)
    I Get Along
Du même artiste