Un peu plus de deux ans après leur prestation en première partie de Two Doors Cinema Club, Alt-J revenaient au Zénith de Paris ce mercredi 4 février, cette fois-ci en tête d’affiche. Les accompagnent dans leur tournée européenne les figures montantes anglaises Gengahr et Wolf Alice.

Encore tout jeune,
Gengahr est la première partie idéale pour Alt-J. A la frontière du rock et de l’expérimentation, la musique du quatuor britannique convainc dès les premiers accords et, plus particulièrement, dès les premiers vocaux du chanteur.
La voix de fausset de Felix Bushe permet d’emmener leurs mélodies dans des contrées plus inexploitées, où sont conviés une pop expérimentale et un psych rock éthéré, à l’image de la B-side
Bathed In Light et son refrain à la Tame Impala. Gengahr terminent sur leurs deux derniers titres,
She's A Witch et
Powder, qui promettent de grandes choses pour l’avenir. Un groupe à surveiller de très près !

Une dizaine de minutes plus tard, c’est au tour de la sensation Outre-Manche
Wolf Alice de faire son entrée sur la scène d’un Zénith déjà quasi complet. Après un début d’un classicisme désarmant et alors qu’on est sur le point d’abandonner, la formation menée par Ellie Rowsell nous envoûte finalement peu à peu avec des compositions qui se font plus agressives.
Entre grunge et punk, les londoniens prennent un tout autre aspect sur scène. Le son y est démultiplié, les guitares se font plus crades et bordéliques et la voix percutante de la chanteuse prend davantage d'envol, se révélant absolument puissante en live sur le punk
You're A Germ et le single
Fluffy. Il s'avère toutefois regrettable que la sono quelque peu défectueuse vienne gâcher le chant, celui-ci étant l’atout essentiel de Wolf Alice.
Alt-J arrivent enfin sur scène après nous avoir fait patienter une petite demi-heure. Le show débute sur
Hunger Of The Pine, le premier single lancinant de leur second album
This Is All Yours. D’entrée de jeu, les éclairages et les leds font leur effet, convenant parfaitement au son des quatre phénomènes anglais.
Le groupe enchaîne déjà sur un des plus plus importants morceaux de
An Awesome Wave,
Fitzpleasure, au synthé invincible et aux changements de tempo jouissifs – bien que indansables ! S’ensuit un autre titre phare de leur premier album,
Something Good, dont la mélodie au piano entraîne avec elle les spectateurs.
Puis c’est au tour d’une chanson forte de
This Is All Yours de faire son apparition. Alors que le second opus balance davantage du côté de la pop que de l’expérimentation,
Left Hand Free reste lui assez fidèle au son des débuts, mariant un couplet déstructuré à un refrain soul et un jeu de batterie frénétique.
Dissolve Me alterne entre moments d’accalmie durant lesquels le chant de Joe Newman enveloppe la salle et passages débridés où la batterie de Thom Green fait encore des siennes et où le synthé nous embarque dans les années 70. La dernière minute du titre dévoile un pont irrésistible, comme bon nombre de compositions de
An Awesome Wave, où tout le Zénith se prend alors à chanter en chœur.
Et chanter en chœur, il en est grandement question sur le morceau suivant. Dès la première syllabe de
Matilda qu’amorce Joe Newman, la foule explose. Certainement le titre le plus pop et conventionnel d’Alt-J,
Matilda est pourtant aussi l’un de ses meilleurs – si ce n’est son meilleur. Toute la chanson durant, le public chante avec Joe Newman, celui-ci lui laissant même l’honneur de reprendre seul le pré-refrain avant d’interpréter de son timbre si distinctif le somptueux refrain.
Alt-J savent clairement faire plaisir à leurs fans, jouant ensuite successivement
Bloodflood et
Bloodflood Part. 2, composition étalée sur leurs deux albums. D’une pop baroque à l’atmosphère solennelle et vaporeuse sur le premier, on passe à une tonalité plus sombre et apaisante sur le second avant de dériver sur un freak folk à l’instrumentation classique.

Interlude
Leçon ultime sur les harmonies,
Interlude I (The Ripe & Ruin) hypnotise durant une minute et douze secondes. Silence absolu dans un Zénith complet. Il est d’ailleurs surprenant de voir la salle afficher complet pour un groupe comme Alt-J dont la musique ne semble pourtant s’adresser à l’origine qu’à une frange restreinte d’auditeurs. Mais l’on peut voir ce mercredi soir un public des plus hétérogènes, allant de l’adolescente de seize ans aux couples de cinquantenaires en passant par les trentenaires amateurs de musique pointue.
Le deuxième album est davantage mis en avant sur la seconde partie du concert. Alors que
Tessellate pointe le morceau de sa mosaïque, faite de percussions tribales et de notes de xylophone entraînantes,
Every Other Freckle est ensuite interprété, maître dans l’art de changer d’air toutes les trente secondes. Alors que le titre débute calmement, quoique de manière plus virulente que sur album, il enchaîne arrangements sur arrangements tout en parvenant à conserver un son et une ligne directrice bien définis et identifiables de bout en bout.
S’ensuit le sublime
Taro où le chant de Joe Newman prend de nouveau tout son sens en live, notamment sur le
« Do not spray into eyes – I have sprayed you into my eyes » sur lequel la voix brisée du chanteur prend aux tripes, laissant un Zénith suspendu à ses lèvres, tandis que les mélodies de synthé viennent aussitôt faire danser toute la fosse. Le final
a capella finit d’achever les plus résistants.
Warm Foothills et
The Gospel Of John Hurt viennent ensuite terminer le concert. Alors que le premier n’est pas forcément d’un intérêt frappant en dehors de sa version studio, le second est un véritable bonheur à entendre en live. Dès les premiers accords de xylophone, la salle laisse entrevoir son excitation. Le crescendo maladif de ce refrain répété à l’infini dévoile un psych rock à l’électro plus palpable et plus intense encore que sur disque, faisant sans grande difficulté remuer l'assemblée.
Après une courte interruption, Alt-J reviennent pour un rappel généreux de quatre titres. Malgré le fait que le groupe de Leeds reste statique durant toute la durée du set, Gus Unger-Hamilton interagit de temps à autre avec le public, comme c’est le cas avant de débuter
Lovely Day, faisant même l’effort de s’exprimer plusieurs fois en français pour remercier tout le monde d’être présent ce soir-là.
Certes anecdotique par rapport aux autres compositions d’Alt-J,
Lovely Day est une parfaite introduction aux deux suivantes,
Nara et, de manière logique,
Leaving Nara. Synthés menaçants, guitares dissonantes, vibrato fracturé, l’ambiance pesante, presque sacrale, des deux chansons laisse la salle bien silencieuse... Avant que ne surgissent bien évidemment les premières notes de
Breezeblocks ! Sans surprise, le titre phare d’Alt-J met tout le monde d’accord, faisant mouvoir en symbiose le Zénith sur sa seconde moitié. Imparable en live même si les harmonies entre les deux chanteurs se font forcément moins bien agencées que sur disque.
Alors que l’on serait en droit de se demander si se rendre à une performance d’Alt-J a un quelconque intérêt tant les quatre musiciens restent figés derrière leurs instruments, l’intensité des composition, la complexité des arrangements, la justesse des harmonies et, surtout, la symbiose du groupe avec son public avec rien d’autre que la musique, tout cela en fait un groupe à voir absolument en live.