Eaves
Philip Selway

L'hiver a enfin gagné son duel avec le réchauffement climatique. Les routes franciliennes ne sont pas loin de geler et l'air glacial descendu du Pôle Nord fouette les visages des inconscients sortis à la nuit tombée... A la Maroquinerie, connue pour sa terrasse si agréable l'été, les habitués se font rares dans la salle du bar-restaurant et seule une poignée d'irréductibles patiente dans le lobby, une heure avant le début des concerts du jour. Ce soir, la petite salle de Ménilmontant programme l'unique date française du projet solo de Philip Selway, batteur de Radiohead et percussionniste de quelques-uns des plus grands titres du rock de ces vingt dernières années.



Eaves, post-adolescent anglais de Leeds, a la lourde tache d'ouvrir cette froide soirée dans la salle à moitié vide de la Maroquinerie. Folk singer, en version solo ce soir, Eaves se présente dans le plus simple appareil, une guitare acoustique en bandoulière quasiment recouverte par de très longs cheveux blonds dont la non-coupe semble empruntée à l'iconographie hard rock la plus basique dans la mémoire collective. Avec un seul EP, sorti en novembre 2014 (Old As The Grave) et un premier album dont la sortie est prévue sur Heavenly Recordings le 27 avril prochain (What Green Feels Like), Eaves livre ses compositions évanescentes et très personnelles.
Sur des airs d'Elliott Smith dans le choix de sujets traités (l'alcoolisme, la séparation...) ainsi que dans les sonorités, Eaves fait le choix du dépouillement musical. Une première partie menée par un simple guitare-voix planant qui nous emmène doucement dans le monde d'après, celui composé par Philip Selway. Un monde plutôt froid, parfois teinté de beauté, mais qui impose un jugement sévère au public clairsemé de la Maroquinerie, au bord de l'ennui après quarante-cinq minutes...

Quand le batteur de Radiohead devient chanteur, cela attise la curiosité, tout au moins. Dans un costume gris un peu trop large pour lui, celui qui a joué devant des centaines de milliers de personnes tout autour du monde avec Thom Yorke et Johnny Greenwood, passe ce soir au-devant et devient l'attention d'une petite centaine de curieux et de journalistes. Si son premier album (Familial) était exclusivement voué aux titres acoustiques introspectifs, son deuxième LP, Weatherhouse, sorti en novembre dernier, change un peu le tempo et se risque dans des compositions plus orchestrées et, parfois plus électronica comme le très downtempo Coming Up For Air.



Dans le même esprit que Radiohead (sur ses plus récentes compositions), la basse est un instrument majeur ; c'est d'ailleurs le seul instrument à corde constamment présent sur scène au milieu d'une batterie, d'un clavier et d'une guitare. Plus en confiance avec sa voix qu'à ses débuts, Phil Selway s'accompagnera sur quelques morceaux d'une guitare supplémentaire. Très (trop) humble dans sa manière de chanter et de se mouvoir sur scène, c'est plus un showcase qu'un concert auquel nous croyons assister ce soir. Si la rigueur et l'intimité sont de mises sur la plupart de ses titres (It Will End In Tears), il y a encore quelques approximations de la part de Philip Selway, dont la carrière solo a du mal à démarrer, éclipsée par l'immense foret qu'a planté son groupe phare durant toutes ses années. Quant à celles et ceux qui sont venus tenter leur chance d'entendre, ne serait ce qu'une reprise de Radiohead – dont le nom trône pourtant fièrement sur un des amplis de retour – ils en seront pour leur compte. Le concert se limitera aux compositions des deux albums sortis, mais également à des exclusivités issues de son seul EP comme Runing Blind.

De manière inattendue, si les compositions de Philip Selway manquent encore d'épaisseur et l'artiste de confiance, on se sent parfois encerclés par l'ambiance que le musicien nous communique. Le rappel demandé avec enthousiasme est là pour en témoigner. Et si la salle est restée très silencieuse en cette soirée d'hiver, c'est sûrement pour mieux apprécier les titres joués.