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Fat White Family
Wolf Alice

Paris, Cigale - 13 novembre 2015

Live-report par Olivier Kalousdian

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La Nuit nous appartient.

« L'amour de la musique mène toujours à la musique de l'amour... »
[Jacques Prévert]

Thomas, Guillaume, Thomas, Manu, et tant d'autres, nous ne vous oublierons pas. Arnaud, Marion, Delphine, Hank, Iris, Stéphane, Delf, Manu, Juliette, Ludwig, Anne, Pierre, Christel... et tant d'autres, nous pensons à vous dans vos convalescences, physiques et psychiques.

Comment rédiger un live report de la soirée du 13 novembre 2015 sans évoquer, sans raconter, sans rendre hommage, d'une certaine manière aux victimes du terrible drame qui a secoué Paris, à quelques encablures des deux salles de concert où se déroulait le festival les inRocKs Philips, dans le 18ème arrondissement ?
Comment relater la fête qui se déroulait à la Cigale et à la Boule Noire pendant qu'au Stade de France, dans les rues du 10ème arrondissement de Paris et au Bataclan des filles et des garçons, jeunes et moins jeunes, des collègues, des connaissances, parfois des amis étaient témoins, otages et victimes d'un drame que, même aujourd'hui, il nous est difficile d'appréhender, de qualifier... et qu'il nous sera, à jamais impossible à comprendre et pardonner ?
En pensant et en retranscrivant, comme un hommage cet amour irrépressible pour la musique et le spectacle devant lesquels, beaucoup ont perdu la vie ou ont été blessés, dans leurs âmes et dans leurs chaires durant ce concert des Eagles Of Death Metal (qui, soit dit en passant, n'a jamais été un groupe de rock « métal » et encore moins, sataniste...).

Vendredi 13, à Paris. Dans plusieurs salles de province et de Paris (et même à Londres), se déroule le festival les inRocKs Philips, depuis le 11 novembre dernier. A Tourcoing, Nantes, Lyon, Paris... les Inrocks affichent une programmation impressionnante et investissent des lieux aussi variés que la Boule Noire, le Casino de Paris, le Stereolux ou la Cigale, notre hôte, pour cette soirée qui sera captée pour être retransmise en vidéo sur les internets et, d'une certaine manière, entrer dans l'histoire.

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19h. Alors que Saul Adamczewski, guitariste et co-chanteur des Fat White Family, programmés à 22h se présente, hagard, en tenu paramilitaire et les yeux décidément trop cernés devant une sécurité qui mettra du temps à comprendre qui il est, le groupe japonais Bo Ningen entre sur scène. Connu pour des élans acid punk, le quatuor aux cheveux de jais, très longs, assène des riffs puissants et souvent dissonants dans une salle de la Cigale pas encore remplie. Il faut dire que dans le même temps, la Boule Noire, mitoyenne accueille elle aussi une soirée du festival avec une programmation qui n'est pas en restes : Lusts, YAK et Pretty Vicious.
Les aficionados du groupe sont nombreux et les premiers rangs commencent à remuer avec énergie. Les textes chantés ou hurlés en japonais ont leur charme. Surtout quand ils sont soutenus par une formation guitare, basse, batterie aux rythmes saccadés, aux riffs psychédéliques et à la basse prédominante (Henkan). Avec Bo Ningen, ce sont les frontières du rock et la dérive des continents qui disparaissent ; de quoi réconcilier les amateurs de manga et de musique subversive, venus de l'ile du soleil levant...

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20h. On a retrouvé Lias Saudi (chanteur des Fat White Family) errant dans les rues de Paris à quelques heures de leur set à la Cigale... Le staff de PIAS est épuisé ; une journée de promo et de concert avec les Fat White Family équivaut presque à courir un cent dix mètres haies, en jean slim.
Wolf Alice nous avaient fait forte impression sur la scène Pression Live de Rock en Seine 2015. Le très beau Your Love Whores introduit le set de ce soir et Ellie Rowsell, guitariste et chanteuse du groupe du haut de ses un mètre cinquante et dans un corps aussi frêle que sa voix est portante, donne le ton : il y a du PJ Harvey mêlée à du Patti Smith dans ce petit bout de femme à la ravissante tête blonde. Enfants naturels du folk et du grunge, les Wolf Alice enchainent les titres, retenant toute l'attention d'une salle maintenant presque complète ; balcons et deuxième bar ouverts. Les titres Bros ou Lisbon font pleuvoir les guitares rythmiques distordues et insufflent un je ne sais quoi de Kim Gordon à la prestation d'Ellie Rowsell et sa formation. C'est sur le très orchestral Giant Peach que se termine le set des Wolf Alice ; un titre envoutant où les cordes répondent, à l'unisson – façon Jimmy Page – au chant, susurré puis hurlé, de leur talentueuse leader. Les acclamations sont unanimes et la soirée prend de l'altitude.

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21h. Tous les spectateurs du Stade de France sont maintenant entrés dans l'enceinte de Saint-Denis et assistent au début de la rencontre de football France - Allemagne... tous, ou presque. C'est également l'heure à laquelle The Districts, groupe de rock US, font leur entrée sur la scène de la Cigale. Avec un rock plus posé, mais non moins énergique, sur une ligne claire et des postures qui ne laisseront personne indifférent, le groupe de Rob Grote, oscille, musicalement parlant entre The Black Keys, Jack White et The Walkmen. Rob Grote et ses faux airs de Jonah Hill et Seth Rogen a la bougeotte ; il parcourt la scène de long en large tout en enchainant du rock exalté avec des titres comme Chlorine, Long Distance ou Peaches. Quand retentit le dernier titre, Young Blood, l'Île-de-France est en alerte et le sang coule déjà, aux abords du Stade de France...

21h50. Nous sommes très nombreux et impatients de voir les Fat White Family monter sur scène. Même si, la veille à Tourcoing, le set à tourné court après le départ incompréhensible du guitariste après quelques titres seulement... Le temps d'avaler une bière, et nous voilà replongés dans le noir.

22h. Malgré quelques doutes, les Fat White Family sont bien là et, malgré l'état second (le mot est faible) du groupe entier, les premières mesures sont de bonne facture et le titre Auto Neutron sonne comme un défouloir pour les premiers rangs qui se mettent à pogoter. Le set promet d'être à la hauteur de la réputation du groupe : Lias Saudi est en transe et Saul Adamczewski, Adam J Harmer, Joseph Panucci, Jack Everett et Nathan Saudi semblent avoir eu droit à des prescriptions médicamenteuses encore inconnues de la plupart d'entre nous...

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22h15. Le titre Whitest Boy On The Beach, nouvelle composition du groupe envoie sa mélodie, façon Beach Boys sous acides. Il est tiré de l'album qui sortira le 22 janvier 2016, Songs For Our Mothers. C'est également l'heure à laquelle les premiers SMS et flashs info arrivent sur nos portables : des fous se font exploser en Seine-Saint-Denis et d'autres tirent sur des passants, dans le quartier du 10ème arrondissement. Très vite, nous sommes également avertis par nos collègues, par des collègues de collègues, présents au Bataclan pour couvrir le concert des Eagles Of Death Metal que la situation est tragique : une prise d'otage massive, au minimum. Déjà des morts et des blessés, certainement. Personne ne sait réellement l'ampleur des attaques et nous restons comme interloqués, absents et les yeux rivés à nos smartphones et proches les uns des autres. Que faire ? Rester enfermés à la Cigale, « en sécurité » ou en sortir, rapidement sans réellement savoir où sont les assaillants et jusqu'où ils iront ? Pendant de longues minutes, le concert des Fat White Family se poursuit, sur I Am Mark E. Smith et Cream Of The Young avec le brio et la folie qu'on leur connait, devant un parterre de premiers rangs qui semblent ignorer cette salle qui se vide, précipitamment, derrière eux. Ils ont mieux à faire qu'à scruter leurs smartphones ; ils boivent et puis ils dansent...
Satisfied, troisième nouveau titre joué ce soir, et Garden Of The Numb, le mélancolique (tout est relatif avec les Fat White Family) seront les derniers titres de la soirée et de ce set qui en affiche dix. Un régisseur de la Cigale vient d'alerter le groupe qu'une attaque terroriste est en cours à Paris et au Bataclan, notamment. Saul Adamczewski, visiblement choqué, demande à ses collègues de stopper la musique : « Nous devons arrêter le concert. Des attaques terroristes sont en cours dans Paris. Je vous encourage à courir pour sauver vos vies... C'est sérieux les mecs, je ne plaisante pas là ! ». Précision importante de la part du plus allumé de la bande. Sans panique et sans sifflets, les derniers spectateurs vont quitter la Cigale, incrédules jusqu'au moment où ils vont se pencher, à leur tour sur les écrans de leur smartphones pour y découvrir la terrible nouvelle : Il y a des dizaines de morts dans Paris et sa région et une prise d'otage est en cours au Bataclan. Pour celles et ceux qui ont des collègues sur place, les nouvelles sont encore plus tragiques. Tremblants de peur, à terre, retranchés et caché dans les balcons du Bataclan, certains spectateur lancent des appels au secours sur Twitter : « Ils abattent les gens au sol, un à un, une balle dans la tête. Venez nous chercher ! ».

1h30, samedi 14 novembre. Les mauvaises nouvelles se succèdent, comme des coups de poing en plein visage ; nous laissant hagards pour le reste de la nuit. Pour avoir considéré la musique et le rock'n roll, nommément visé pour sa « musique impie » comme une religion, beaucoup sont morts au Bataclan. Une religion qui, pourtant s'exprime par la communion et la fraternité instantanées de milliers de personnes qui ne se sont jamais parlé. Ils sont morts par la main d'une poignée qui considère que leur religion, si humaniste soit elle, à la base ne peut s'exprimer que par l'obscurantisme, le prêche dictat et le fanatisme barbare. Il n'y a aucun point commun entre ces deux groupes d'individus. Et pourtant, s'il y a bien un art, un vecteur, une culture commune à l'humanité entière, qu'on soit papou de Nouvelle Guinée, Derviche tourneur de Syrie ou bobo hype de Paris, c'est la musique.

Toi qui est en manque de repère, d'appartenance ou qui, par manque d'ouverture, d'éducation ou d'amis a trop longtemps écouté la même rengaine, la même piste de l'album un peu vieillot édictée par tes prêcheurs... Quand ton supérieur hiérarchique te parle de 70 vierges ou d'un paradis des martyrs, au pire il se fout de toi, au mieux il fait des métaphores, des allégories, du marketing de base. Comme quand Stepenwolf jouent Born To Be Wild ou que David Bowie chante We Can Be Heroes ; on se sent tous pousser des ailes et nos esprits s'emballent pendant trois minutes, mais on aurait pas idée de plaquer femmes, enfants et salaires pour parcourir la highway 66 en Harley ni tenter de se jeter du toit tête la première pour savoir si on est vraiment des « héros »... Laisse moi la chance de t'inviter au prochain concert, de te démontrer à quel point une chanson, une mélodie ou un refrain peuvent être beaucoup plus puissants et mobilisateurs qu'une fatwa, une kalachnikov ou un pain de plastique. D'abord, tu risqueras de n'y perdre que ton ouïe, ensuite tu connaitras des plaisirs insoupçonnés et concrets de fraternité dans un grand voyage des sens et pour finir, qui sait, peut-être en repartiras-tu avec un panel de nouveaux amis avec qui partager, à nouveau des moments de communion, armés d'une bière et d'un sourire figé. La musique adoucit les mœurs ; elle est contre la mort.
setlist
    WOLF ALICE
    Your Loves Whore
    Storms
    Bros
    Lisbon
    90 Mile Beach
    Moaning Lisa Smile
    Blush
    Fluffy
    You're A Germ
    Giant Peach

    FAT WHITE FAMILY
    Auto Neutron
    Is It Raining In Your Mouth?
    Whitest Boy On The Beach
    I Am Mark E. Smith
    Tinfoil Deathstar
    Heaven On Earth
    Cream Of The Young
    Wild American Prairie
    Satisfied
    Garden Of The Numb
photos du concert
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