Quel groupe peut se pointer à la Cigale de Paris fringué comme l'as de pique, à la limite de l'exhibitionnisme, devant une salle comble n'attendant qu'exactions choquantes et hauts faits outrepassant très largement les bornes de la bonne morale et de la sanité ? Pas un groupe mais une famille, une famille de junkies projetés dans une télé-réalité musicale mentalement dérangée, j'ai nommé Fat White Family.
Une petite session de méditation transcendantale histoire de réaligner ses chakras avec Vaz Rajan and the Melpomen, la boucle de piano d'
Imagine pendant dix minutes, et une entrée sur une chanson mélo de blindtest dont on dirait du Keane, bien que cela n'en soit pas, de quoi rendre fou de ne pas connaître le nom d'une chanson qu'on a entendue mille fois. Et si rien de ce que vous avez lu jusqu'ici ne fait sens, c'est normal, Fat White Family non plus, et c'est
John Lennon lui-même qui lance un concert qui nous en fera voir de toutes les couleurs.

Famille décomposée-recomposée oblige, c'est Lias Saoudi qui joue désormais seul le rôle de point névralgique et central de la formation, haranguant déjà la foule, rentrant dedans dès
Without Consent dans son imperméable noir de mec creepy guettant la sortie des maternelles. Un imper' avec rien en-dessous si ce n'est un legging couleur chair des plus déstabilisant, et c'est donc dans le plus simple appareil que le bonhomme fou sautera sur la foule pour conclure
Polygamy Is Only For The Chief, nouvel extrait du nouvel album, que l'on attendait plus calme en live que les précédents, mais c'est bien mal connaître la nature psychotique de la familia...
Plus dérangeant que jamais, Lias lève les mains vers la foule, avancé seul et presque nu, ahanant sous un voile noir, psalmodiant, hurlant, guidant une foule de religieux aux yeux exorbités à toucher le cuir, portant à l'orgasme la tension sexuelle explicite de
Touch The Leather, dans ce qui semble aujourd'hui la plus proche réincarnation jamais vue du Velvet Underground et de Lou Reed. Jésus un jour, Jésus toujours, Lias retourne se faire porter par ses ouailles dans le jardin d'Eden, c'est
Heaven On Earth, et aussi heaven à La Cigale, dans une fosse en tourbillon constant, incapable de contrôle, incapable de calmer les pulsions primaires qui l'agite. Une fosse à l'image de son leader prophétique, hurlant en position fœtale ou allongé sur scène, à genoux devant son pied de micro, le serrant contre lui, suppliant celui-ci comme la jambe de la madone, gigotant frénétiquement, pris de tremblements que nous n'associerons à aucune drogue, car cela ne nous... regarde pas.

Concernant la setlist, le nouvel album
Forgiveness Is Yours est évidemment à l'honneur, transfiguré en une version moins grave et plus bordélique, image des premiers disques du groupe, Lias chantant tout bien plus comme un crackhead que comme le crooner à la voix suave rendu en studio. Et si
Serfs Up! sera l'album le moins mis en avant ce soir, les monstrueux refrains de
Fringe Runner et
Feet mèneront même les plus réticents à se laisser porter par la foule, Edith Piaf style, alors même que Lias chevauche un retour comme si c'était... un poney. Un très mignon petit poney, tout ce qu'il y a de plus innocent, tout ça pour finir sur
Whitest Boy On The Beach le poing levé, avancé au-dessus d'une foule extatique en transe, suant et fumant comme un chaudron baveur rempli de champagne.
Un holocauste de champagne même, dans lequel Lias revient seul, guitare acoustique devant les parties sensibles, pour interpréter
Borderline devant une Cigale particulièrement dissidente et dissipée. « Fermez-la ! C'est moi qui chante ! Y a une raison pour laquelle moi je suis là et vous vous êtes en bas ! ». Classique Lias, le public était là pour ça, observer le grincheux snob et décadent dans son milieu naturel, avant que ne repartent la débandade et le tourbillon de la vie.
Work pour s'y remettre et
Bomb Disneyland en bouquet final, feu d'artifice concocté par la famille la plus décalquée d'Angleterre. Un titre sublime, puissant, psychotique et maîtrisé par une troupe moins ailleurs qu'en d'autres occasions, une troupe qui aura porté son leader en le laissant faire ce qu'il sait faire le mieux tout en assurant derrière lui. On en profitera donc pour les nommer : le frangin Nathan Saoudi aux accords de guitare, la version à lunettes d'Adam J. Harmer aux notes de guitare (la version sans lunettes étant occupée à tourner avec Warmduscher), Alex White à la flûte, au saxophone, aux claviers, et à la cloche à vache, Alex Brennan à la basse, et Sam Toms à la batterie.
Une grande famille qui, vous l'aurez compris et vous le savez sûrement déjà, n'inclut plus Saul Adamczewski, et une absence qui sera ce soir passée inaperçue tant le groupe aura été concerné et sûr de sa force, une force qui consiste à faire du rock n'roll n'importe comment, sans peur, sans reproche, et sans aucune notion de bienséance. But I'm borderline, but I'm borderline...