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Savages

Paris, Cigale - 1er mars 2016

Live-report par Julien Soullière

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La foule est compacte, en dedans comme en dehors. Déjà, en décembre dernier, La Maroquinerie était au bord de l'implosion. La Cigale risque fort de subir le même sort. Le doute n'a plus lieu d'être, Savages n'ont plus les caractéristiques de l'ombre. L'anonymat a finalement quitté le rang des options. Camille « Jehnny Beth » Berthommier et ses camarades de jeu ont propulsé le post-punk sur le devant de la scène comme peu de leurs congénères ces dernières années, un fait d'armes que l'on doit à quatre talentueuses demoiselles. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour le petit monde de la musique rock, si ce n'est une jolie révolution, c'est au moins synonyme d'une agréable vague de fraîcheur.

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L'entame est brutale, et mis à part l'accalmie offerte par le diptyque Mechanics/Adore, les quatre-vingt-dix minutes offertes par Savages ce soir seront de même âpreté. Le son, aussi limpide qu'étourdissant, les jeux de lumière, incandescents, l'attitude de Jehnny Beth, intenable autant que féroce, tout concourt à transformer La Cigale en une gigantesque machine à laver dans laquelle nous nous serions tous enfermés. Tout sonne fort, oppresse, impressionne de maîtrise. Fay Milton me laisse sans voix. A la batterie, décomplexée mais appliquée, elle affiche une dextérité déconcertante, déploie une force physique admirable et attire tellement les regards qu'elle en viendrait presque à voler la vedette à son charismatique chef de clan. La chose mérite d'être vue.

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Mais dans ce brasier ou se déchaînent les éléments, pourtant, les mots scandés par chaque instrument nous parviennent avec une infinie clarté. La voix n'est pas en reste, se frayant sans mal un chemin vers nos oreilles grandes ouvertes. De quoi apprécier comme il se doit la puissance vocale de la chanteuse et le sens mélodique indéniable du groupe.

Là, en cours de set, un flash. Non, je ne rêve pas. Ce sont des talons qu'elle a aux pieds. Il faut une sacrée dose d'assurance pour gesticuler comme elle le fait, juchée sur pareilles godasses. J'en connais quelques-unes qui rêveraient d'avoir ce niveau de maîtrise, et j'avoue que la chose me bluffe suffisamment pour que j'en arrive moi aussi à jalouser Jehnny Beth. On peut déceler du bagout derrière ce pied-de-nez, on peut y voir du calcul, l'envie de créer un paradoxe, comme ça, juste par principe, mais non, j'en suis convaincu : c'est là avant tout, et peut-être même exclusivement, le symbole d'une féminité pleinement assumée, d'une envie crasse de liberté. Grand bien leur en fasse, à ces quatre bouts d'artistes. La musique est avant tout affaire d'état d'esprit.

Dur souvent, le visage de Jehnny s'adoucit à l'occasion. Le moelleux de son regard nous empoigne alors, tranchant avec la dureté de la musique jouée et la cadence soutenue de ses spasmes. Elle a de quoi être heureuse, Camille. La salle est pleine comme un œuf, ivre d'âmes humaines, arborant des sourires aussi larges que l'amour qu'elles portent aux Savages.
Forcément, l'expérience est totale, le public renvoyant dans ses vingt-deux l'énergie déployée par le groupe pour que celui-ci lui en donne toujours un peu plus. L'audience est gonflée à bloc, tout le monde est à la fête, les uns s'entrechoquant violemment quand les autres préfèrent à ces brutalités les applaudissements et les cris.

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Les "she will et autres "shut up" sont repris en chœur sans qu'il ne faille adresser aucune demande, et je ne parle même pas des « don't let the fuckers get you down », scandés sans fin lors d'un final dantesque et co-animé par les japonais de Bo Ningen. Portée par ces féroces relents d'amour, Jehnny ira jusqu'à se laisser chuter dans la foule, à s'abandonner à elle, littéralement, se laissant voguer sur les mains la soutenant comme la chaloupe du pêcheur se donne à la mer.

Savages, comme tant d'autres avant eux, ont pris de l'aisance, bien que les filles en avaient déjà beaucoup à leurs débuts. Malgré ça, leur show garde une vivacité, une vérité qui nous éloigne de ces triomphes de pacotille et des débauches de pyrotechnie pour ne préserver que les émotions les plus brutes. Tout ici parait naturel, évident. Jamais Jehnny, malgré le feu qui brûle en elle, ne tombe dans la caricature ou le trop plein.

« Is it human to adore life » ? Oui. Is it human to adore Savages ? Également.
setlist
    Sad Person
    City's Full
    Slowing Down the World
    Shut Up
    She Will
    Husbands
    Surrender
    Evil
    When In Love
    I Need Something New
    The Answer
    Hit Me
    No Face
    T.I.W.Y.G.
    Mechanics
    Adore
    Fuckers
photos du concert
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