A peine avait-on livré notre chronique, ou devrais-je dire notre déclaration d'amour à
Tracey Denim, le flamboyant album de bar italia sorti chez Matador Records et disponible depuis le 19 mai sur votre plateforme de streaming préférée ou en CD, ce vilain support vendu à prix d'or par l'industrie musicale pendant plus de trente ans et qui encombre désormais nos caves, coincé entre un lit parapluie et le coffret VHS de Twin Peaks (toutes ces choses qu'on aimera toute notre vie mais dont le format est désormais inadapté), que déjà le combo le plus hot de Londres venait défendre devant le public parisien son chef d'œuvre d'indie-rock au doux parfum early-90's qui nous a replongé dans un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître.
Avec sa jauge limitée à deux-cents places, la Boule Noire n'a pas eu de mal à afficher complet. La petite sœur de la Cigale demeure année après année un des écrins parisiens les plus bienveillants envers les groupes émergents. La phrase la plus entendue dans les Zénith et autre Arena étant d'ailleurs « leur premier concert à la boule noire il y a dix ans ? Bien sûr j'y étais ! ». Le public du soir est composé essentiellement d'étudiants arty et branchés et de journalistes musicaux parisiens, soit les deux types de populations les moins susceptibles d'être gênées par une gueule de bois le mardi matin ou de mettre le feu à un concert.
On plaint souvent les groupes contraints de se produire à Paris en début de semaine car c'est un euphémisme de dire que nous ne sommes pas le public le plus chaleureux du monde. Jouer devant des parigots blasés qui pensent avoir tout vu et tout entendu est d'ailleurs pour certains groupes étrangers une expérience des plus déconcertantes. Ce n'est absolument pas un sujet pour bar italia, qui ne cherchent clairement pas la communion avec le public mais au contraire lui proposent une expérience déroutante, l'obligeant à sortir de sa zone de confort. Le set exécuté par le trio, accompagné sur scène par une bassiste et un batteur, sera austère, minimal, radical et flamboyant, mais également très clivant. La scène ne sera éclairée tout du long du concert que par un simple spot à la lumière neutre, le groupe n'adressera pas un mot au public, s'autorisant même à laisser des silences de trente secondes entre les morceaux dont la plupart se concluront par un cut aussi sec que brutal, comme si le groupe était en encore en répétition.
En toute cohérence, les anglais ne se plieront pas à l'exercice trop normé du rappel. Si les voix déraillent en pagaille, si les guitares jouent de temps en temps à contre temps ou bien parfois un ton trop bas, on se rend vite compte que ces dérapages sont contrôlés, placés aux mêmes endroits en live que sur disque.
On sera un peu décontenancé par le spectacle proposé sur les premiers morceaux, un léger temps d'adaptation étant nécessaire. Il faut capter puis accepter leur démarche arty un brin conceptuelle qu'on pourrait définir par « ton groupe de potes joue dans une MJC mais envoie des chansons dingues en toute décontraction ». Certains les trouveront hyper arrogants, à limite du foutage de gueule ou bien carrément cheap, ne comprenant pas d'où vient un tel buzz autour du groupe. D'autres, comme nous, se réjouiront d'assister à une expérience inédite et sacrément jubilatoire.
Cette approche minimaliste et radicale, évacuant tous les poncifs et passages obligés de la prestation live, permet en fait de ne se concentrer que sur la musique qui s'avère, sans en donner l'air, hyper maîtrisée. Il ne reste alors qu'à bar italia à enchaîner leurs titres en or massif, soit seize morceaux en une petite heure, donc les pics se nommeront
Punkt, Friends, Changer, Polly Armour ou encore
Banks qui viendra clôturer ce set qu'on pourra trouver génial ou d'une gêne abyssale, mais en aucun cas banal.