Surcotés, arrogants et têtes à claque pour les uns, groupe de rock londonien le plus excitant du moment pour les autres, chacun à son avis bien tranché au sujet de bar italia en fonction qu'on les ait découvert sur le plateau de Quotidien ou qu'on ait réellement écouté leurs disques dont le classique instantané
Tracey Denim, un des tous meilleurs albums de 2023. Si à ses débuts le groupe a pris soin de cultiver mystère et rareté (pas de photos, pas d'interviews, pas de showcases...), on ne peut que constater que depuis un an ils occupent sacrément l'espace avec pas moins de deux albums et un EP livrés ainsi qu'une pléthore de concerts parisiens (Les Inrocks Festival, Pitchfork Music Festival, la Boule Noire, avant une apparition à Rock en Seine prévue cet été). Ainsi, malgré la hype qui entoure le trio anglais, la Cigale, bien que loin de sonner creux, n'affiche pas complet pour cette date, veille de la Fête de la Musique.
A cette omniprésence sur les scènes parisiennes il faut ajouter que le parti pris très radical et minimaliste du groupe lors de ses premiers concerts en a dérouté plus d'un. Dans une approche très shoegaze, Nina Cristante, Sam Fenton et Jezmi Tarik Fehmi se contentaient de jouer leurs titres sans un regard ni un mot pour le public, sans éclairage autre qu'une lumière directe tout en laissant de grands blancs entre les morceaux. Comme nous ne sommes qu'amour et bienveillance et que nous défendons corps et âme nos petits chouchous quitte à user de la plus grande mauvaise foi, nous avions imputé cela à leur jeunesse et à leur extrême timidité. Dans la vraie vie, ce connard arrogant insupportable qui vous hérisse le poil n'est souvent en réalité qu'un gros timide, même si parfois c'est juste un journaliste musical. Sans rien divulgâcher de la suite de l'article, on a vu à la Cigale un tout nouveau groupe sur scène, qui s'est débarrassé de la pose et qui désormais en impose.

Souvent, les premières parties c'est super car ça permet d'être en retard sans être en retard, de s'hydrater correctement à base de houblon excessivement tarifé, de croiser les copains et de prendre des nouvelles. Parfois les premières parties c'est super car le groupe est super. C'est d'ailleurs particulièrement le cas quand le concert est organisé par Super!, l'agence d'épopées musicales du boulevard Richard Lenoir. Inconnus au bataillon, il n'aura pourtant fallu qu'une demi-heure à
triage (stylisé en minuscule comme bar italia) pour rejoindre notre petit carnet secret des groupes anglais à suivre avec la plus grande des attentions. Le quintet londonien composé d'Orazio Argentero, Siam Coy, Bella Brown, Dave Eniolu et de l'ébouriffante chanteuse Emily Driver, a d'ailleurs sorti le mois dernier un excellent EP,
fox hours. Ils jouent un post-punk lo-fi et noisy inspiré de groupes comme Sonic Youth ou Dinosaur Jr sur lequel on peut trouver des accointances avec bar italia (alternance de voix féminines et masculines et guitares dégingandées), English Teacher (la voix d'Emily faisant parfois penser à celle de Lily Fontaine) ou Dry Cleaning (rage rentrée et violence sonique). En un mot, triage c'était super.

On vous a prévenu, le millésime
bar italia sur scène 2024 n'a que peu à voir avec celui de 2023. Le groupe arrive tout sourire sur scène au son du remix d'
Axel F (Le Flic de Beverly Hills) par Crazy Frog. On est à deux doigts de se dire que Nina va nous lâcher un « wesh Paris, ça va ou bien ? », mais calmons-nous, bar italia demeurent bar italia et ils ne sont pas là pour raconter leur vie ou meubler entre les morceaux. Vont-ils alors débuter le show par un tube et se mettre le public d'emblée dans la poche ? Encore raté, car avec leur éternel art du contrepied, ils entament la soirée avec le bien nommé
calm down with me avant d'accélérer avec
my little tony. Le changement, c'est maintenant ! Si le groupe ne communique toujours pas verbalement avec le public, avant il ne le faisait pas non plus pendant le morceau alors que désormais, Nina se déhanche et harangue la foule, tandis que Sam et Jezmi prennent un réel plaisir, enfin visible, à se produire face à un public. C'est la grande nouvelle du soir, hier bar italia se la jouaient, aujourd'hui ils jouent.

Le public, composé à parts égales de jeunes branchés d'école d'art et de quadras, voire quinquas, fans de bon rock et donc potentiellement forumeurs de Sound of Violence, ne s'y trompe pas et répond immédiatement présent. C'est peut-être lié au début imminent de l'été, mais jamais à un concert de bar italia on aura eu aussi chaud. La setlist répartie entre
The Twits (huit titres),
Tracey Denim (six titres) et la période pré-Matador Records (trois titres) a été bien construite et fait jusqu'à mi-concert la part-belles aux morceaux les plus calmes, confidentiels ou déconstruits avant d'enchaîner avec une série de tubes uptempo (
punkt ,
changer,
Polly Armour...) et ce jusqu'à un rappel bouillant qui pourrait à lui seul résumer l'essence même de bar italia. L'énergie frondeuse de
Friends, l'émotion débordante de
Miss Morality et l'étrangeté addictive de
skylinny, voici peut être la recette de ce groupe hors-norme qui ne cesse de nous surprendre jusqu'à nous prouver ce soir qu'ils étaient capables de hausser le niveau de leurs prestations scéniques à celui de leurs albums studio.
Grands maîtres en l'art du contre-pied, bar italia ne sont jamais là ou tels qu'on les attend, notre plaisir s'en trouvant ainsi perpétuellement renouvelé. C'est assez rare pour le souligner, et c'est assez rare pour que soit le signe d'un très grand groupe.