Place à la singomachie ! Moins d'un mois après leur prestation en tête d'affiche de Glastonbury - où Alex Turner avait été malmené par une laryngite aiguë - les Arctic Monkeys étaient de passage aux Arènes de Nîmes ce jeudi 13 juillet pour un de leurs derniers concerts européens avant le coup d'envoi de leur tournée américaine. Un rendez-vous devenu obligatoire, puisque les Arctic Monkeys sont toujours passés par l'amphithéâtre antique du sud de la France après avoir foulé la Pyramid Stage du Comté de Semerset (2007 et 2014). Si revoir sur scène la formation de Sheffield en 2023 était archi attendu dans cette zone géographique aussi peu desservie en concert, la déception pouvait être au rendez-vous tant les ambitions affichées par le groupe avec son dernier album The Car menaçaient de faire crouler la scène sous son propre poids. Il faut dire qu'avec sept disques en poche, un succès toujours plus grandissant et une nouvelle génération de fans, les Arctic Monkeys se retrouvent à un carrefour de leur carrière... surtout quand il s'agit de porter leur projet sur scène. Leur mission ? Canaliser le suc d'une discographie éclectique, afin de proposer un set cohérent et fidèle à sa nouvelle vision artistique, tout en éclaboussant son parterre d'invités avec panache en cette période de canicule estivale.
20h20. C'est le musicien britannique Willie J Healey, entouré de ses musiciens, qui ouvre la soirée avec une pop lumineuse et, il faut l'avouer, une certaine envie de partager sa musique avec de nouveaux auditeurs potentiels. Si celui-ci est encore inconnu dans nos contrées, l'artiste indie-funk n'est pas un débutant. À vingt-huit ans, Healey a déjà deux disques à son actif et son troisième album Bunny, à paraître au mois d'août, semble être le plus raffiné à ce jour. Ainsi, tout le public patiente dans la bonne humeur aux sons de ses nouveaux singles, à l'instar de Little Sister et Thank You, mais aussi de plusieurs incontournables comme Fashun, True Stereo et Songs For Joanna.
Willie J Healey fusionne un jeu de guitare typique des années 70 avec son amour jusqu'alors inexploré du funk. On apprécie au passage son timbre de voix qui n'est pas sans rappeler celui de feu Joe Strummer, le leader charismatique des Clash. Un cocktail qui semble avoir obtenu les faveurs de Florence & The Machine, Jamie T, IDLES et Arctic Monkeys, puisque tous l'ont invité à assurer plusieurs premières parties de leurs tournées respectives. On vous conseille donc de suivre celui qui semble être l'artiste préféré de vos artistes préférés. Preuve en est, Matt Helders était même dans le public pour ne pas en louper une miette.
21h50. Après une interminable attente, et devant une fosse à peine pleine (étonnant quand on voit que le concert affiche « complet » depuis des mois), les lumières s'éteignent pour laisser entrer « le dernier grand groupe de guitares », selon les propres aveux de Damon Albarn. On ne cache donc pas notre joie de voir débarquer sur scène Alex Turner et sa bande pour ce qui semble être leur dernière danse au sein de l'hexagone avant un bon moment. Les yeux écarquillés et le sourire aux lèvres, on les regarde entrer sur scène, tiraillés entre une certaine peur d'être déçus et une grande impatience de les voir à l'œuvre. Matt Helders met fin à cette tergiversation avec un coup de caisse claire qui résonne comme le tir d'une arme à feu. Brianstorm a un effet immédiat. Le spectateur exalté abandonne ses dernières réticences, vaincu par autant de fièvre et d'énergie. Le début de set est bien ficelé et satisfait autant les puristes avec des tubes de la première heure (Crying Lightning, The View From The Afternoon, Don't Sit Down Cause I've Moved Your Chair) comme le nouveaux et jeunes adeptes qui ont connu le groupe à travers les morceaux de AM devenus viraux (Snap Out Of It, Why'd You Call Me When You're High?). Un certain consensus est atteint avec Arabella, et son outro hommage à War Pigs de Black Sabbath, ou la plus récente Four Out Of Five savamment ré-orchestrée pour le live.
À l'approche de la quarantaine, les membres des Arctic Monkeys sont essentiellement les mêmes : le bassiste Nick O'Malley garde son sang-froid nonchalant, idem pour le guitariste Jamie Cook qui semble ne jamais avoir voulu baigner dans une quelconque lumière. Même Matt Helders, habituellement si souriant et démonstratif, semble avoir adopté le mutisme de ses camarades au fil des années, laissant définitivement à Alex Turner la responsabilité de porter, tel Atlas, tout le poids du groupe sur ses épaules. Et c'est sans doute la recette du succès des Monkeys : laisser le génie créatif s'exprimer, sans qu'aucune guerre d'égo n'intervienne pour venir le brider. En témoigne le virage à 180 degrés pris musicalement pour Tranquility Base Hotel + Casino que Turner avait envisagé publier sous son propre nom, avant que le reste du groupe le conforte dans ses choix artistiques et ne lui témoigne de son indéfectible soutien.
Le concert redescend en intensité avec deux jolies surprises rarement jouées sur cette tournée : My Propeller et Do Me A Favour, publiées respectivement sur Humbug et Favourite Worst Nightmare, de quoi nous rendre encore plus nostalgiques avant de passer aux dernières productions du groupe et ainsi constater, s'il le fallait encore, leur incroyable évolution. Sculptures Of Anything Goes, Perfect Sense et There'd Better Be A Mirrorball se marient parfaitement à l'ensemble, d'autant plus qu'ils sont entrecoupés des titres les plus importants de la discographie du groupe, à savoir Fluorescent Adolescent, 505 et Do I Wanna Know?.
Le public est conquis et le fait savoir : « Merci beaucoup, c'est très gentil », répondra à plusieurs reprises un Alex Turner de plus en plus à l'aise en français. Le set principal se termine avec un Body Paint des grands soirs qui finit d'enfoncer le clou dans nos cœurs déjà conquis. Nous avons à peine le temps de nous en remettre que le groupe est déjà de retour pour le traditionnel rappel. Star Treatment nous permet de nous remobiliser pendant cinq minutes avant de finir en feu d'artifice avec I Bet You Look Good On The Dancefloor et R U Mine?, ce qui est très à propos la veille d'un 14 juillet.
En ce lieu imprégné par la tauromachie, le groupe qui a écrit la chanson Matador il y a 16 ans n’est certes pas reparti avec une oreille comme le veut la tradition de la corrida, de chacun de ses spectateurs, mais avec la certitude qu’ils seront toujours là quoi qu’il arrive. C’est à la faveur de ce type de moment que l’espoir subsiste, et que l’on se doit encore et toujours de croire aux Monkeys : quand la fusion de toutes leurs qualités sert encore un élan issu des tréfonds de l’humanité la plus ancestrale, et qu’on nomme la poésie. La nostalgie a été remplacée par quelque chose de plus vivant, un sentiment de « moment ». C'était un concert pour tous les âges, fédérateur et joué par un groupe qui a résisté à l'épreuve du temps. Une prestation qui constitue la meilleure des réponses face aux pronostics des bougons et des éternels aigris qui ne cessent d'appeler de leurs vœux la mort de la nouvelle direction artistique des Arctic Monkeys. La capacité de renouvellement du groupe recèle assez d'énergie, d'émotions et de réflexion pour durer vingt ans encore dans les mains de tels génies.
setlist
Willie J Healey
Non disponible
ARCTIC MONKEYS
Brianstorm
Snap Out Of It
Don't Sit Down 'Cause I've Moved Your Chair
Crying Lightning
The View From The Afternoon
Four Out Of Five
Sculptures Of Anything Goes
Why'd You Only Call Me When You're High?
Arabella
My Propeller
Perfect Sense
Fluorescent Adolescent
Do Me A Favour
Cornerstone
There'd Better Be A Mirrorball
505
Do I Wanna Know?
Body Paint
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Star Treatment
I Bet You Look Good On The Dancefloor
R U Mine?