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A Certain Ratio

Boulogne-Billancourt, Festival BBMix - 24 novembre 2023

Live-report par Laetitia Mavrel

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A trois semaines de la trêve des confiseurs (entendez par là la fin des concerts pour souffler avant la rentrée à grand renfort de téléfilms de noël et de chocolats bon marché), cette fin d'année ne cesse de nous offrir un grand choix de propositions toutes aussi alléchantes les unes que les autres. S'agissant de la capitale, beaucoup font des choix douloureux et parfois imposés du fait de l'inflation qui touche également le cours du ticket de concert. La solution pour ce dernier week-end de novembre se trouve au-delà du périphérique, à Boulogne-Billancourt, à l'occasion de la nouvelle édition du festival BBMIX qui offre durant deux jours une programmation éclectique, au sein du beau théâtre du Carré Belle-Feuille et pour un prix défiant toute concurrence.

Cette année, votre média préféré brave à nouveau la ligne 9 pour deux soirées qui nous proposent en tête d'affiche deux très grands noms de la scène britannique : A Certain Ratio et Arab Strap. S'engouffrant pour ce premier soir dans les wagons envahis d'une horde de fans du Paris Saint-Germain en direction du Parc Des Princes, votre chroniqueuse tente de faire fi des chants plutôt discutables entendus pour retrouver les vétérans mancuniens de A Certain Ratio, lesquels célèbrent cette année quarante-cinq ans d'existence et qui nous ont à nouveau gâtés avec leur dernier opus 1982, recueil électro funk des plus addictifs.
Le festival BBMix se présente comme une oasis de fraîcheur parmi cette liste de concerts qui s'enchaînent actuellement. Sa programmation tournée vers la diversité culturelle, il n'est pas étonnant de croiser sur une même scène du rock zambien, de l'électro militant canadien et A Certain Ratio, qui continuent de nous épater avec leur intarissable source de longévité et de productivité. Revenus en 2020 après un hiatus discographique de douze ans, c'est avec pas moins de quatre EPs et trois albums que le groupe s'est fait pardonner cette pause, bien qu'il n'ait jamais cessé de se produire live avec son catalogue existant.


Nous débutons les festivités dans un amphithéâtre qui va très lentement se garnir, le DJ set et le bar très accueillants ainsi que les expositions photos incitant les festivaliers à prendre leur temps avant de prendre place dans la salle. Difficile pour les premiers artistes d'entamer la soirée, mais le groupe Witch ne s'en offusquera guère. Légende de la scène underground zambienne, mené par le charismatique Emanyeo "Jagari" Chanda, ce groupe au son très 70s mélange chant en swahili et funk racée, avec en son sein des musiciens de tous les continents, apportant une belle bouffée de fraîcheur dès ce début de soirée. Pour preuve, les premiers spectateurs se positionnent dans les allées pour commencer à chalouper au son de ce blues-rock très feel good.


Pour le second set, nous pénétrons dans une toute autre ambiance avec Pelada, duo électro canadien composé de Chris Vargas et de Tobias Rochman. Avec leur punk-dance chantée en espagnol et militant ouvertement pour les droits LGBTQIA2+ tout en dénonçant vertement les violences policières, la configuration de la salle plutôt classique et l'heure précoce ne rendent pas facile la tâche de Pelada face à une audience un peu sur la réserve. Cependant, le duo trouvera son public en faisant se dresser devant la scène une poignée de jeunes clubbeurs qui continueront de faire monter lentement mais sûrement la température.

Cette première soirée n'affiche pas complète, faute à l'offre foisonnante mais surtout à la mauvaise foi de bon nombre de parisiens qui peinent à envisager un concert extra-muros. Ne vous cachez pas, je vous entends encore râler de devoir traverser « tout » Paris alors que le festival permet de prendre raisonnablement le métro durant une bonne heure avant la fin de service. Nous pénétrons donc dans un amphithéâtre assis, chose un peu déconcertante mais qui se fait rapidement oublier tant les spectateurs peuvent déambuler librement de rang à rang, disposer de tout l'espace pour danser et surtout sans aucune contrainte. Points de vigiles zélés pour vous retenir prisonnier à votre siège, c'est alors tous debout ou presque que nous accueillons A Certain Ratio, entre fans assidus des premières heures et jeunes curieux qui se laissent entraîner par leurs ainés pour découvrir une légende de la scène mancunienne de l'époque Factory Records, celle qui a tant inspiré nombre de futurs britpopeurs alors encore en culottes courtes.


Nous avions retrouvé Jez Kerr, Martin Moscrop et Donald Johnson à la Boule Noire il y a tout juste deux ans, bravant les derniers variants du COVID-19 pour enfin découvrir ACR Loco, et ce concert nous avait alors conforté dans notre idée que ce groupe reste un incontournable. La formation se présente ce soir accompagnée de trois musiciens additionnels et ce qui marque est l'incroyable ouverture d'esprit dont font preuve A Certain Ratio. Leurs nouveaux camarades sont bien plus jeunes et c'est là que ressort l'intemporalité de la musique du groupe. Toujours aussi humbles, Jez, Martin et Donald prennent place sur la scène, saluant le public et le remerciant déjà de sa fidélité, puis nous annoncent qu'un de leur ami de longue date viendra introduire le concert : nous entendons alors la voix de Johnny Marr nous narrer son amour de A Certain Ratio, comment il ne serait jamais devenu ce qu'il est aujourd'hui sans eux et qu'il n'existe rien de tel depuis. S'ensuit donc le tout premier tube qu'est Do The Du, époque 1980 et Simon Topping, que Jez interprète avec tout autant de brio, si ce n'est plus.

Comme à l'accoutumée, Martin et Donald troquent basse, guitare, batterie et percussions, Jez se voyant dorénavant épaulé par une bassiste lui permettant de se concentrer sur les percussions, sonnailles et autres sifflets ainsi que sur son chant qui reste fluide et harmonieux malgré les années qui passent. Nous saluerons d'ailleurs cette force de la nature qui a connu de très graves soucis de santé qui l'ont cloué à l'hôpital durant de nombreuses semaines, rendant sa présence exclusive au BBMIX encore plus appréciable.
La setlist se balade aisément entre années 80 et dernières moutures, et ce sont particulièrement les titres issus des production récentes qui attirent notre attention. Jamais A Certain Ratio n'ont sonné aussi justes et modernes du fait de cette parfaite alliance de groove, électro chic et toute cette rythmique latino que l'on retrouve dans YoYo Gi (réclamée au pied de la scène et sympathiquement obtenue par votre fidèle chroniqueuse, ça fait toujours plaisir), Shack Up, Flight et plus récemment SAMO et le très beau 1982. Les chœurs féminins sont évidemment à l'honneur avec Afro Dizzy, Get A Grip et Won't Stop Loving You (sans Bernard Sumner, occupé aux Etats Unis à remplir des stades) et un nouvel hommage est rendu à Denise Johnson, fidèle camarade du groupe disparue en 2020.


Aucun temps mort durant cette heure et demie de show, aucun signe de fatigue non plus et l'on en viendrait presque pour définir l'atmosphère chaude et vibrante qui se dégage de ce set à citer « la puissance de la fonk » des sketchs de Mozinor, tant les tempos groovy à souhait guidés par les jeux de basses et de batteries sont une ode au lâcher prise. Nombre de spectateurs l'ont bien compris et peu restent assis dans leurs sièges. On aime retrouver la trompette jazzy cool de Martin Moscrop sur Mickey Way ou 27 Forever et on se laisse guider dans les digressions soul et expérimentales que maitrisent parfaitement ces musiciens chevronnés, qui pourtant ont toujours affirmé n'avoir jamais appris la musique de façon académique, se présentant dès leurs débuts comme des ovnis. Figurant parmi les premières signatures du label Factory, Tony Wilson les présentait alors comme les nouveaux Sex Pistols, soit ceux qui chambouleraient tous les codes sur leur passage. Ce fut chose faite mais à la différence de leurs consorts Joy Division, New Order et peu après Happy Mondays, c'est dans la discrétion que A Certain Ratio ont mené leur barque, restée insubmersible depuis plus de quarante ans.

Jamais désarçonnés, qu'ils se produisent devant des salles garnies ou comme ce soir face à un public réduit mais tout aussi ravi, A Certain Ratio continuent inlassablement de convaincre tous ceux qui tendent l'oreille vers leur univers sans barrières, si riche en influences et qui n'a jamais eu d'autres but que de nous divertir. Juste après avoir annoncé leur prochain retour en disque en avril prochain, il n'est donc pas étonnant de retrouver nos lads à la sortie du concert, avec Martin Moscrop lui-même tenant la caisse du stand merchandising et se pliant aux séances d'autographes et autres selfies qui ravissent les fans. A Certain Ratio : une légende vivante et accessible comme on n'en fera plus.
setlist
    Do the Du
    Flight
    And Then Again
    Shack Up
    Lucinda
    Knife Slits Water
    Mickey Way
    Won't Stop Loving You
    Good Together
    27 Forever
    Get a Grip
    Yo Yo Gi
    1982
    Afro Dizzy
    Samo
    Day by Day
    Si Fermir O Grido
photos du concert
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