A Certain Ratio

Le retour de votre chroniqueuse à la Boule Noire après son dernier live report avant le premier confinement se fait pour A Certain Ratio, groupe indéfinissable et increvable de la scène Manchester du tout début des années 80, grande époque de la Factory et de l'Haçienda. Quarante-deux années n’auront pas suffi pour mettre un terme aux activités du groupe qui, en quatre décennies, n’a eu de cesse de naviguer au grès d’évolutions multiples sur les vagues du very early post punk mancunien, de l’electro dark wave, de la funk et de la musique latino.

Cette définition un peu rapide paraitra un bon résumé pour les aficionados mais difficilement compréhensible pour les plus jeunes non aguerris aux albums fourmillant d’influences et libres de toute étiquette du groupe. Et pourtant, c’est bien en se laissant porter par sa volonté de ne jamais se laisser empaqueter dans un genre que A Certain Ratio a réussi à digérer toutes ces musiques en bannissant de son vocabulaire la notion de frontière et de genre.


Nous retrouvons donc en 2021 le groupe toujours constitué de Jez Kerr, Martin Moscrop et Donald Johnson, infatigables soixantenaires qui ont connu une période d’émulation intense ces deux dernières années, réussissant en un an et demi à nous offrir un nouvel album ACR Loco, trois EPs ACR:EPA, ACR:EPC, ACR:EPR et le disque de remixes Loco Remezclada . Tout cela malgré une pandémie mondiale qui n’a réussi qu’à freiner leurs ardeurs, ne réduisant aucunement à néant la productivité des musiciens.
Habitué aux salles intimistes en Europe, l’atipysme de A Certain Ratio étant apprécié par un noyau relativement restreint de fans mais des plus fidèle, c’est durant une mini tournée française de huit concerts en dix jours que le groupe se produit à la Boule Noire à Pigalle, devant 300 spectateurs, puisant largement dans l’intégralité de son répertoire plus que fourni.

Mis dans l’ambiance au son du DJ set très funky de Uncle_O, A Certain Ratio prend possession de la petite scène de la salle du dix-huitième arrondissement de façon plutôt nonchalante, remerciant déjà le public de sa présence et sa fidélité depuis de nombreuses années. Armé d’une batterie, de plusieurs percussions, d’un claviériste chevelu sosie de Sébastien Tellier et des célèbres trompette et basse de Martin et Jez, A Certain Ratio entame le set avec Winter Hill, titre phare de To Each, second album du groupe nous ramenant très loin à une époque où la formation se faisait l’étendard du jeune label Factory et de ses cohortes devenues légendaires constituées de Joy Division, OMD (pour un bref moment) et Durutti Columnn.


C’est donc devant la scène que nous retrouvons une majorité de fans aux tempes grisonnantes, dont on sent que ces derniers ont été biberonnés par le son des mancuniens. La setlist propose en première partie de concert une majorité de titres issue des premières années du groupe, dont les indispensables Do The Du et Flight, suivis par And Then Again et Forced Laugh qui rappellent que A Certain Ratio a joué un rôle primordial dans la fondation de la scène electro du nord de l’Angleterre.
Mais, une setlist basée sur un déroulé chronologique aurait été trop facile, c’est pourquoi Jez, Martin et Donald ponctuent le set de morceaux du dernier ACR Loco, excellent album sorti en 2020 assurant un retour gagnant au trio après douze années d’absence suite à Mind Me Up. Ses titres Get A Grip et Yo Yo Gi sont des déferlantes dansantes et ultra dynamiques qui rappellent que A Certain Ratio n’a jamais autant sonné en phase avec son époque.

Tout au long du set, Jez Kerr et sa gueule burinée d’éternel prolo assurera son jeu de basse hypnotique avec humilité, remerciant chaleureusement le public. Donald Johnson et Martin Moscrop se succèderont à la batterie et aux percussions, Donald venant prendre en main la basse lorsque que Jez se dévouera à la batterie électronique, à la sonnaille et au sifflet, tel un meneur dans un stade brésilien lors d’une coupe du monde de football.
Les plus jeunes cohortes viennent petit à petit envahir le devant de la fosse lorsque le set transforme la salle en un dancefloor au son de la funk brûlante des titres Up In Downsville et Shack Up. Un hommage émouvant est rendu à la choriste et amie de longue date Denise Johnson disparue l’an passé avec Won’t Stop Loving You avant de terminer le concert avec l’explosif hymne latino Si Firmo O Grido, faisant littéralement chalouper l’intégralité du public des premiers rangs au fin fond du bar. Le gap générationnel disparait alors complètement, les plus néophytes se mêlant aux plus anciens fidèles.

1h30 qui défilent à toute vitesse, sans aucun temps morts, et permettant ainsi la fusion de tout un public aux âges et origines diverses, uni au son d’un groupe qui transcende les genres depuis quarante ans. Une véritable leçon a été donnée en cette froide soirée de novembre, avec modestie et une sacrée couche de classe. Nous quittant sur un rassurant « see you next year », il est à ne pas douter que les légendaires A Certain Ratio reviendront vite à Paris, ville les ayant découvert en 1981 aux Bains Douches avec d’autres jeunes faux débutants d’alors du nom de New Order.