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A Certain Ratio

Interview publiée par Laetitia Mavrel le 29 novembre 2021

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Après une année et demie où nous avons été gratifiés de pas moins de deux albums et trois EPs, nous retrouvons enfin en live A Certain Ratio dans la salle parisienne de la Boule Noire. A cette occasion, nous rencontrons Jez Kerr et Martin Moscrop, toujours aussi chaleureux, modestes et généreux en bavardages qu'à leurs débuts il y a maintenant plus de quatre décennies. Nous évoquons ainsi avec beaucoup d'humilité le passé, le présent et le futur de ces pionniers de l'époque mythique du post-punk de Manchester qui n'ont eu de cesse de façonner le paysage musical anglais grâce à leur riche discographie et aux multiples artistes qui revendiquent leur influence.

Votre tournée française est impressionnante : huit dates en dix jours, comment cela se passe-t-il ?

Jez : Nous sommes heureux de revenir en France, les salles sont géniales. Et l'accueil aussi. Nous avons fait une tournée au Royaume-Uni de treize dates juste avant, et jamais nous n'avons eu ce genre de traitement. Chez nous les artistes ne sont pas pris en main, ils se débrouillent. Ce marathon c'est un peu de la folie, j'en ai perdu ma voix, mais après quelques inhalations ça ira mieux.

C'est rassurant ! Pour commencer, quel a été ton premier concert à Paris avec A Certain Ratio ?

Jez : Les Bains Douches avec New Order en 1981.

Y a-t-il un lien particulier entre le groupe et les français depuis ?

Jez : Je ne sais pas... Nous sommes toujours super bien accueillis mais c'est particulièrement à Paris qu'ils se passe quelque chose. Je crois que c'est votre côté rebelle.

Quarante-deux années de carrière, c'est incroyable, et très prolifique en termes de disques et de concerts. Votre retour en 2020 avec un tout nouvel album a été des plus appréciés...

Jez : Ça n'était pas vraiment un comeback, nous n'avons pas cessé de tourner ces dernières années. Surtout depuis que Mute a réédité notre catalogue. Et nous avions à ce moment-là enregistré un album sur nos propres fonds. Du coup on leur a proposé ACR Loco, ils ont aimé, on les a aimés, c'est un très bon deal et c'est d'ailleurs la première fois que cela est si facile. Sauf à l'époque de Factory, mais eux étaient beaucoup moins... organisés (rires).

ACR Loco sonne incroyablement moderne, il est complètement en phase avec la musique actuelle. Quelles sont tes influences aujourd'hui ?

Jez : J'ai commencé à jouer en tant que DJ il y a deux ans, ça m'a beaucoup influencé. Beaucoup d'électronique, de musique africaine, différents styles comme à l'époque où on écoutait du rock et de la musique brésilienne. Quand j'adore ce que j'entends je veux faire de même - sans copier - et j'arrive à le retranscrire pour A Certain Ratio. Lorsqu'on a commencé à écouter de la musique brésilienne, le fait qu'on n'arrive pas à en jouer nous l'a fait nous l'approprier. On l'a joué à Manchester et on a réussi à la faire sonner originale. La clé est de trouver quelque chose qui sort de l'ordinaire.

A Certain Ratio a toujours fait preuve d'un très fort éclectisme...

Jez : Oui, tout à fait ! Ça n'est pas si facile de mélanger les genres. J'ai découvert lors de mes DJ sets un groupe de Berlin, Africaine 808, qui mixe et créé un mélange de sons africains et d'électro, à l'aide de machines, de voix, ou de ce qu'ils trouvent. C'est impressionnant.

Ce que vous faites aussi en vous imprégnant de styles divers et en les digérant pour ainsi créer votre matériel et façonner votre identité...

Jez : C'est vrai que nous avons appris à jouer de nos instruments sur le tard ! Aucun de nous n'a eu de réelle formation musicale, à l'époque on trouvait les vrais musiciens chiants et d'ailleurs on ne s'est jamais considérés comme de réels musiciens. Un peu comme le Velvet Underground, tout ce qu'ils faisaient était subversif, hors cadre, leur propre truc. Des groupes comme The Human League sont géniaux car ils ne sonnent comme personne d'autre. Quelle chance d'avoir débuté à ce moment-là, et aussi avec Factory qui nous ont laissé une grande marge de manœuvre, sans pression. On n'a pas gagné d'argent mais bon... (rires)

En parlant de cette période, vous êtes des pionniers de cette scène de Manchester si célèbre et fondatrice. Est-ce que cette étiquette ne vous a pas entravé à certains moments ?

Jez : Jamais ! Débuter aux côtés de groupes aussi talentueux que Joy Division a été extrêmement important pour nous, ils sont devenus quasi légendaires.

C'est un héritage pour les générations suivantes !

Jez : Non, plus maintenant...

Vraiment ? Tu penses que ça n'est plus le cas ? A Certain Ration est considéré par beaucoup comme appartenant au patrimoine musical britannique...

Jez : Ah ! Et pourtant nous n'avons jamais utilisé notre lien avec Factory et ses groupes comme argument de vente...
Martin : Le vieux est devenu à la mode ! Comme les fringues des surplus militaires. En 1980, ce qui se portait c'était les vêtements militaires et les reliques post seconde guerre mondiale. Qu'est-ce que portent les jeunes aujourd'hui ? Les fringues des années 90. C'est à la mode de porter des vieux trucs. Nous aussi, on ne voulait pas du nouveau.
Jez : C'est surtout qu'on était pauvres et que la seconde main était ce qu'on pouvait se payer !

A propos de Loco Remezclada, cet album de remixes comporte pas mal de titres par des groupes récents et assez rock, comme The Orielles et The Lounge Society. Qui a choisi ces musiciens ? On vous les a suggérés ?

Martin : Non, on ne nous les a pas suggérés, et d'ailleurs à propos de ces groupes l'histoire est sympa. Jez connait The Orielles depuis qu'ils sont enfants, c'est devenu leur mentor.
Jez : C'est génial de voir évoluer un grandir un groupe et de se rendre compte qu'il est comme toi au même âge.
Martin : On a rencontré The Lounge Society quand on faisait les DJs.
Jez : Et ils ont joué dans notre vidéo Keep It Together, ils viennent du même coin du Yorkshire que nous, la scène émergeante là-bas est géniale. Il y a un autre groupe aussi, Short Causeway, ce sont les prochains grands !
Martin : Plus de la moitié de nos remixes ont été faits par des femmes et on ne voulait pas des remixes classiques. On cherchait l‘originalité. Le seul remix classique est celui par Skream qui nous a demandé d'en faire un. C'est un ami de mes fils et il m'a envoyé un message alors qu'il était en studio me demandant si j'avais un titre à remixer. On venait de finir ACR Loco. Je lui ai envoyé le disque et il a choisi Always In Love, et en seulement une heure il l'avait quasiment achevé. C'est super d'avoir un jeune DJ qui veut s'impliquer dans notre musique, c'est très flatteur. Quelqu'un m'a dit hier soir que Loco Remezclada n'est pas un disque de remixes habituel, il s'écoute de bout en bout comme un véritable album.
Jez : A chaque fois je l'écoute de A à Z. Tous ceux qui ont participé l'ont fait par réel intérêt pour notre musique.

Ça vous est déjà arrivé de trouver un remix mauvais ?

Martin : Non. Enfin, parfois on peut écouter la piste et se demander où est-ce que ça va mener, mais comme on a demandé à la personne de le faire on se place dans le contexte et on cherche à comprendre ce qu'elle a voulu exprimer. Et puis, les remixes gardent des éléments des titres originaux, des éléments propres à notre son, on y retrouve toujours l'univers d'A Certain Ratio.

Vous nous avez offert pas moins de 3 EPs en trois mois cette année. Qu'est-ce qui vous fait tant aimer ce format ?

Jez : Quatre pistes, c'est l'idéal, car on les écoute rapidement et toujours dans leur entièreté. On en a fait avant et ça a toujours bien marché pour nous. Quand on a terminé ACR Loco, on a passé quelques week-ends ensemble et on en est ressorti avec cinq nouveaux titres. On ne voulait pas les mettre sur le prochain album donc les EPs étaient la solution.
Martin : En fait on a produit trop de matériau, on nous a demandé de nous calmer. On nous a dit de disparaître quelques temps mais on devient vieux, on n'a plus le temps de disparaître !(rires). On a déjà un nouvel album mais comme on nous demande d'attendre, ça sortira sûrement en 2023. Et on veut faire un autre album l'an prochain, alors il y aura deux nouveaux disques qui se suivront.

Ce soir sera mon tout premier concert de A Certain Ratio, ayant plongé dans votre discographie il y a seulement quelques années. Quelle est la meilleure façon de rentrer dans votre univers, est-ce qu'il existe un mode d'emploi à votre musique ?

Martin : Je recommande le magazine américain WaxPoetics qui a publié une très bonne biographie d'A Certain Ratio.

Et en termes de disques, par quoi commencer ?

Jez : Ecoutez Sextet puis Loco Remezclada.
Martin : Moi je dirais Sextet, Force et ACR Loco, la compilation appelée Early, très bonne sélection par Soul Jazz, et la box sortie chez Mute, ACR : Set, basée sur la setlist de nos concerts de 2019.