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IDLES

Paris, Maison de la Radio et de la Musique - 2 février 2024

Live-report par Franck Narquin

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Tic-tac, tic-tac. Plus que quelques dodos d'ici le 16 février, jour tant attendu des membres de la secte du son de la violence, où à leur réveil (ou à minuit pile pour les plus impatients) ils pourront enfin découvrir TANGK le cinquième et tant attendu album d'IDLES. Comme Abella Danger, le groupe de Bristol aime bien titiller l'excitation de ses fans avant de s'offrir à eux. Ainsi ils nous proposent ce soir un teaser live en direct de la Maison de la Radio et de la Musique à Paris, que vous pourrez vous repasser en boucle sur le podcast de France Inter ou picorer sur Youtube malgré l'interdiction formelle de toute photo ou vidéo. La soirée est présentée par Mishka Assayas, à la fois maître de cérémonie et chauffeur de salle. Portant fièrement la flamme rock allumée sur France Inter par l'inrockuptible Bernard Lenoir, l'ex-beau-frère de Maggie Cheung introduit avec une émotion non feinte ce groupe devenu grand qu'il suit depuis ses premiers pas. IDLES au Studio 104 ? Cela semble aussi saugrenu qu'IDLES au Zénith, mais peu importe car IDLES reste le meilleur groupe de rock au monde sur scène. Ceci n'est pas un avis mais un axiome.

Le quintet débarque dans la salle sous les hourras des vainqueurs de jeux concours, des habitués du Studio 104 (Jeu des mille francs ou IDLES, toujours là), des critiques de rock parisiens, des vrais fans qui ont vendu père et mère pour obtenir leur sésame et d'Adèle Van Reeth, la philosophe et directrice de France Inter, toujours aussi belle que brillante (mais malheureusement le mec aux quatre consonnes et trois voyelles nous a encore grillé la priorité. Si seulement on nous avait dit en terminale que lire Spinoza servait aussi à pécho !).
On avait l'habitude qu'en live IDLES attaquent fort d'entrée et ne laissent aucun répit au spectateur, pourtant ils débutent ce soir avec IDEA 01, titre d'ouverture de TANGK et probablement le plus atmosphérique jamais écrit pas ces cinq furieux, porté par de délicates notes de piano et un chant à fleur de peau. Si Mark Bowen arbore son habituelle robe longue, ici dans un style Blanche Neiges sous crack, il a troqué guitare pour clavier et machines. Sans spoiler (je n'ai pas pu écouter l'album avant, mais j'ai eu des retours de ceux qui en ont eu la chance), une des clés de lecture de TANGK se trouve peut-être là. Si la présence sur l'album de Kenny Beats (le génial producteur de hip-hop américain, déjà aux manettes de CRAWLER) a pour objectif d'apporter un son franc et urbain et celle de Nigel Godrich, le sixième membre de Radiohead, des arrangements léchés et des expérimentations électroniques, c'est bien le nouveau rôle de Mark Bowen et sa volonté de faire évoluer le son d'IDLES tout en conservant l'essence même de ce qu'ils ont toujours été, qui fera de TANGK un disque charnière où le groupe évolue sans se renier et surtout sans nous imposer un ronflant (dans tous les sens du terme) album de la maturité.

Après cette introduction toute en douceur, le groupe change de braquet avec Gift Horse, le meilleur des trois singles de TANGK sortis à ce jour, intense et explosif comme du pur IDLES mais agrémenté de subtils éléments électroniques apportant un peu de légèreté dans ce monde de brute(alism). Le public se lève alors d'un seul homme, prêt à en découdre, engendrant une effervescence et une agitation dans le Studio 104 pas vues depuis les frondes provoquées lors du Masque et la Plume par les chroniques de films d'Éric Neuhoff, aussi scandaleusement réactionnaires que truffées de cinglantes et hilarantes punchlines (Rico, jamais on ne suivra tes conseils ciné, mais tu restes de loin notre préféré).

Comme attendu, nous aurons droit à un bon nombre de « Fuck the King » au cours de la soirée, dont un premier en préambule de l'inédit POP POP POP. On adhère à ce folklore tout en se demandant si ce vieux monsieur inoffensif aux grandes oreilles est vraiment ce contre quoi il faut lutter en 2024 (ndlr : entre temps, nous avons appris que c'est malheureusement ce satané crabe, plutôt que de jeunes gens avec des guitares, qui allait avoir le dernier mot). Niquer le roi demeure un objectif essentiel pour un joueur d'échec, un peu moins pour un groupe de rock contestataire (ndlr : Jason Williamson de Sleaford Mods nous a soufflé ces dernières lignes). Ce morceau bardé d'effets électroniques, tout en tension maîtrisée et en retenue et où le chant de Joe Talbot flirte avec le spoken word, nous rappelle que Bristol reste la capitale mondiale du trip-hop et confirme l'orientation prise par le groupe sur TANGK. Celle-ci nous nous semble d'ailleurs bien plus intéressante que ce qu'avait laissé présager les singles DANCER, efficace, agréable mais sans surprise à tel point qu'on pourrait y voir le fruit d'une intelligence artificielle à laquelle on aurait demandé de composer une collaboration entre IDLES et LCD Soundsystem, ou Grace, dont nous reparlerons ci-après.

A Gospel, quatrième titre du nouvel album présenté ce soir, fait un peu retomber l'ambiance avec sa belle introduction au piano et son faux rythme. Difficile de dire à la première écoute si nous sommes face à un titre plombant ou au contraire une belle surprise, mais on ne peut que constater que les spectateurs, pourtant conquis d'avance, commencent à légèrement s'assoupir. Présenter des nouveaux morceaux inconnus du public demeure un exercice difficile, mais cela serait vite oublier qu'IDLES maîtrisent la scène et l'interaction avec leur auditoire comme personne. C'est donc le moment parfait pour balancer trois morceaux provenant d'anciens albums. Malins tout en refusant de jouer les bêtes de foire, IDLES ne sortent pas leurs gros tubes, mais leurs anciens titres qui s'intègrent le mieux à l'univers de TANGK. 1049 Gotho, issu de leur premier album Brutalism, reste toujours aussi sec et saignant et réveille d'un coup le Studio 104 ainsi qu'une bonne partie du seizième arrondissement. Nous aurons ensuite droit à deux morceaux de Crawler, leur dernier album en date, avec The Wheel et Car Crash interprétés dans des versions plus lentes, lourdes et complexes.

Michka nous avait promis sept nouveaux morceaux. Il en reste donc trois et pour le moment et à première écoute ce ne sont pas nos préférés. Hall & Oates, qui ferait figure de chanson phare pour nombre de combos actuels, séduit sans surprendre avec ses guitares post-punk et son format un peu trop classique, tandis que Gratitude récite gentiment ses gammes du Loud / Quiet / Loud sans impressionner les fans de Surfer Rosa. En guise de dernier morceau de ce mini-concert / gros showcase, et avant un inhabituel rappel, nous aurons droit à Grace. Ne représentant pas l'avis majoritaire de la rédaction, je vais utiliser ici la première personne du singulier. Avec TANGK, IDLES ont décidé de se renouveler tant sur le fonds, en abordant pour la première fois la thématique amoureuse comme l'ont fait avant eux, avec plus ou moins de bonheur, de nombreux artistes d'Hector Berlioz à Wejdene , que sur la forme, avec une approche moins directe et frontale et s'autorisant à explorer chez eux une facette plus sensible et délicate. Sans jouer les puriste ou les fans de la première heure (que je suis et que nous sommes tous chez Sound of Violence), Grace représente pour moi le premier réel faux pas du groupe. Là où certains y voient une évolution nécessaire et salutaire d'IDLES après cinq albums, je n'entends qu'un titre opportuniste, uniquement destiné à élargir leur public et dont la tiédeur mainstream évoque un U2 deuxième époque et sonne comme un léger embourgeoisement d'un groupe qui a toujours porté sa radicalité en étendard.

Le concert étant diffusé en direct, il reste quelques minutes avant le flash info de vingt-deux heures. Le public réclame une autre chanson. Michka Assayas demande au groupe de revenir. Joe, légèrement embarrassé, tente d'expliquer qu'ils ne font jamais de rappel. Privilège unique et exceptionnel ou coup de canif porté à leur éternelle ligne de conduite, le groupe offre à Paris son tout premier rappel. Talbot demande au public s'il veut le nouveau DANCER ou le hit Mother. Après un vote aux applaudissements, Mother l'emporte haut la main. Avec son habituel ton caustique, Joe lâchera un « Yeah, play me songs that we already know ». Mais tout le monde n'a pas eu la chance de les voir cinq fois sur scène et crois moi si tu n'as pas vu IDLES interpréter Mother en live, tu as raté ta vie (de fan de rock). On pourrait écouter ce titre dix-sept heures, sept jours par semaine, on ne s'en lasserait pas.

Tic-tac, tic-tac. 16 février, sortie de TANGK, 7 mars IDLES au Zénith de Paris. Ce soir on s'est fait bien chauffer, notre excitation et notre impatience s'en sont trouvées décuplées et on a peut-être mieux compris ce qu'IDLES vont nous proposer. Mais comme tous les membres de la secte on attend avant tout ces deux dates, car ils ont beau scander à tout bout de champ « Fuck the King », pour nous les Kings se nomment IDLES.
setlist
    IDEA 01
    Gift Horse
    POP POP POP
    A Gospel
    1049 Gotho
    The Wheel
    Car Crash
    Hall & Oates
    Gratitude
    Grace
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    Mother
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