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Tricky

Paris, Olympia - 6 mars 2024

Live-report par Franck Narquin

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Dis Papounet, c'est quoi un punk ? Mon Fabrice, sers moi une petite Suze, je vais t'expliquer. Un punk c'est un mec qui aime par-dessus tout casser les codes, qui prend un malin plaisir à foutre le bordel, à choquer le bourgeois, à ne pas faire ce qu'on attend de lui, à sortir un concert ultra-minimaliste quand tout le monde attend un feu d'artifice et qui fait du bruit blanc pour exprimer une colère noire. Comme Johnny Rotten ou Felix Mendelssohn ? Si tu veux gamin, mais par exemple un punk ça préfère foirer tous ses concerts depuis trente ans plutôt que de jouer le jeu du système, d'être le bouffon du public ou une simple caricature de lui-même. Comme dirait Céline Dion, un punk, ça ne change pas. Un peu comme les réacs du coup Papounet ? Ta gueule fiston et apporte moi cette Suze bordel ! Mais bon je pense que tu as compris le topo mon coco, Tricky c'est un vrai punk, et crois-moi, ça ne court plus trop les rues ces jours-ci, car être punk ce n'est pas tenir en chien d'attaque de première catégorie en laisse dans les rues de Nantes ou crier à tout bout de champ « Fuck the King ! ».

Le punk en question se nomme Tricky, trublion du trip-hop, ancien membre de Massive Attack et ex de Béatrice Dalle, de son vrai nom Adrian Nicholas Matthews Thaws, Celui-ci présente ce mardi 6 mars dans l'écrin mythique de l'Olympia, là même où quelques jours plus tôt Raphaël Quenard vint chercher son César en faisant le signe de JUL, sa relecture de son premier album, sortie en septembre dernier sous le titre Maxinquaye Reincarnated. Alors que les places pour voir Air jouer Sexy Boy deux jours plus tard ou la rappeuse Shay se sont arrachées en quelques secondes, l'Olympia n'affiche pas complet pour Tricky. Pourtant Air et Tricky ont en commun d'avoir chacun sorti un des plus grands albums des années quatre-vingt-dix et de ne pas être des bêtes de scènes. Cela-dit, si même après 2027 la préférence nationale se limite à ça, on signe direct. Papounet, je ne voudrais pas te mettre le seum devant tout le monde, mais Shay, elle est Belge. Tu es gentil gamin, mais ce n'est pas le sujet, on va rester focus si tu veux bien car nous ne sommes pas dans un chronique d'Adonis Didier.

On a souvent entendu dire « l'album de Tricky déchire » mais bien plus rarement « je suis allé voir le concert de Tricky et c'était de la bombe bébé ». On a pourtant un petit espoir qui se nomme l'effet Olympia. La grande majorité des groupes qui jouent dans cette salle, et pas seulement les français, se surpassent, conscients de l'histoire et de la solennité du lieu. Personnellement l'Olympia est loin d'être ma salle de concert préférée, c'est pourtant là où j'ai vu les plus beaux concerts de ma vie. Je ne développerai pas plus car nous ne sommes toujours pas dans un chronique d'Adonis Didier, enfin je crois et j'espère. Nos espoirs seront vite balayés car tel Claude Makelele, Tricky est plutôt du genre à dire : « Olympia ou pas, je m'en bas les ***, Bruno Coquatrix, machin chose, rien à foutre ».

C'est peu dire que ce soir l'ambiance de l'Olympia est froide, une grande partie du public ayant l'impression de s'être fait tromper sur la marchandise. Mais il faut lire le flyer avant d'acheter sa place à prix d'or car Tricky ne joue pas Maxinquaye, son premier LP, chef d'œuvre absolu et troisième meilleur album de trip-hop de tous les temps (après Dummy de Portishead et l'inégalable Blue Lines de Massive Attack qui inventa le genre en 1991). Ce soir Tricky joue en première partie Maxinquaye Reincarnated, projet sorti fin 2023 sur lequel il réinterprète ses classiques de 1995 dans des versions plus sombres, dépouillées et heurtées. La deuxième partie du concert pioche dans son répertoire de 1996 à 2023 en prenant soin d'éviter les titres phares et faisant la part belle à des morceaux moins connus mais en phase avec la tonalité ténébreuse de Maxinquaye Reincarnated.

Pourtant tous les fans de la première heure le savent, Tricky Kid, le sale gosse de Bristol, se fait un malin plaisir depuis ses débuts à livrer des prestations alternant entre contre-pied et auto-sabotage. La seule chose à laquelle on peut s'attendre avec un show de Tricky, c'est de ne pas savoir à quoi s'attendre. Mais vu le prix des places, plutôt que des fans de la première heure ou des jeunes gens prêts à lancer un revival trip-hop, l'Olympia est garni d'un gentil public de quinquagénaires, probablement lecteurs de Télérama et électeurs de Ségolène Royal, voire adeptes des leçons de morales de Gérard Miller, ce serial violeur se cachant depuis plus de trente ans sous le masque de la bien-pensance de comptoir. Ce gentil public (note au lecteur : je parle des autres, pas de toi bien entendu) se trouvera bouche-bée devant le set en clair-obscur de Tricky, éternel franc-tireur qui livre, comme à son habitude, une prestation inattendue, inconfortable, voire peu aimable. Vous êtes venus déguster une douce madeleine trip-hop ou vous gaver d'un bon gros show au menu maxi best-of ? Désolé pas désolé, mais les gars je crois que vous avez accepté par erreur cette invitation, vous vous êtes gourés dans l'heure, vous vous trompés sur ses intentions.

La proposition artistique de Tricky navigue dans les eaux de la neurasthénie vaporeuse, lo-fi et arty de Tirzah et du flegme distancié de bar italia, ne s'adressant quasiment pas à son audience et terminant la plupart de ses morceaux de manière nette et brutale. Plus radical que sympathique, décevant systématiquement et programmatiquement les attentes du public, Tricky fait du Tricky. Hey, what did you expect ? Les touristes endimanchés pourtant sûrs de leur bon goût sont en rage, certains allant jusqu'à exiger un remboursement, tandis que d'autres jubilent de voir que le Tricky saison 2024 reste fidèle au Tricky Kid de 1995. L'ange à la gueule cassée ne s'est pas embourgeoisé bien qu'il laisse faire la plupart du boulot à Marta, sa compagne musicale depuis 2017, qui parvient presque à faire oublier Martina Topley-Bird avec sa voix douce et enfumée.
Lors de la première partie du concert, Tricky jouera neuf titres de Maxinquaye (version Reincarnated, s'il faut encore le préciser) et ce pratiquement dans l'ordre de l'album. Les nouvelles versions de Overcome (son Karmacoma, Tricky s'étant toujours attribué la paternité du titre de Massive Attack) et de Ponderosa semblent légèrement déstabiliser le public. Problème de son ? Trop de basses ? Nul besoin de s'inventer ingénieur du son, ces morceaux sont tout simplement « reincarnated ». Il faudra attendre Black Steel, joué toutes guitares dehors, pour que le public réponde enfin présent.

Alors que la plupart des artistes l'auraient gardé pour le grand final, Tricky n'attend pas pour exécuter, au sens littéral, Hell Is Round The Corner. Interrompu au tiers avant de le reprendre, joué dans une version désossée, Tricky semble vouloir s'en débarrasser au plus vite, un peu à la manière de Nirvana qui jouaient Smells Like Teen Spirit en accéléré sans cacher leur dégoût pour ce titre qui causa leur succès autant que leur perte. La suite de Maxinqaye patine un peu, on en profite alors pour faire un tour au bar et constater qu'à mi-concert la queue est y étonnamment longue. Alcoolisme mondain ou léger désintérêt du public, on vous laissera trancher.

La deuxième partie du concert va s'avérer nettement plus intéressante, Tricky paraissant bien plus investi et concerné par ces titres plus récents et Marta encore plus à l'aise pour chanter ses propres morceaux. On retiendra tout particulièrement les interprétations subtiles de Move Me, issu de leur projet commun Lonely Guest et de Lucien, reprise de Young Magic dans une relecture qu'on pourrait qualifier de massive patraque. Le clou du spectacle revient à la version dantesque de Vent, titre d'ouverture de Pre-Millenium Tension, alternant à merveille moments de tensions et d'explosions, où le bristolien se mue en Nick Cave et nous murmure « Don't push me 'cause I'm close to the edge, I'm tryin' hard not to lose my head ». Si ces mots ne sont pas de lui, mais bien sûr du cultissime Message de Grandmaster Flash, ils résument à merveille la carrière de Tricky, toujours sur fil, mi-underdog, mi-superstar.

Alors qu'il avait clos le premier concert de sa tournée à Bruxelles par une version longue, rock et déroutante de Here my Dear, il ajoutera à Paris un deuxième rappel pour y rejouer Black Steel puis Moving Through Water, issu de son album de 2023 en duo avec Marta. Ce sera là sa seule petite concession de la soirée, même si on aurait bien aimé entendre Makes Me Wanna Die, Tricky Kid ou Brand New You're Retro plutôt que deux fois le même titre dans son set.
S'il ne brosse pas le public dans le sens du poil, Tricky ne se moque pas de lui en offrant un concert de près de deux heures. Il faudra néanmoins attendre la fin de l'ultime titre pour entendre les premiers, et derniers, mots de Tricky à l'attention de ses fans parisiens : « Thank you so much ! ». Rideau, lumière et applaudissements polis. On le croit rebelle et arrogant, mais Tricky, comme Pierre Richard, est avant tout un grand timide qui contrairement à ce dernier ne se soigne pas. Son show aura été tantôt bancal, tantôt génial, aussi réjouissant dans le fond que frustrant dans la forme.

Merci Papounet pour ce passionnant récit, moi j'ai déjà ma place pour Massive Attack à Rock en Seine qui eux ne sont pas timides et n'hésitent pas à monter au créneau en concert pour affirmer haut et fort que la guerre c'est mal et que l'amour c'est mieux. Sois un peu plus respectueux mon enfant, tu la ramèneras quand tu auras composé l'équivalent de Blue Lines, Protection et Mezzanine. Oh là là, mon Papounet, tu ne serais pas un peu comme ces quinquas de l'Olympia qui apprécient l'irrévérence mais uniquement quand ça leur chante ? En tout cas, je crois que j'ai bien compris la leçon, Tricky est un punk car quand il se retourne sur son glorieux passé, plutôt que d'en offrir une version ripolinée et mièvrement nostalgique, il préfère lui lacérer la tronche à coup de cutter. Bien vu fiston, bien vu, tu as raison, Tricky est un punk timide et c'est pour ça qu'on l'aime tant depuis trente ans.

PS : Papounet, ta chronique est sympatoche quoique par moment un peu acerbe, mais surtout elle est bien trop longue, les gens ont une vie tu sais, je crois que tu vas te manger quelques tl;dr (ndlr : traduction pour les boomers « too long, didn't read »). Je sais fiston, je sais, mais crois moi dans la vie il faut faire ce que l'on veut, comme Tricky, et bien sûr ne jamais manquer de Suze.
setlist
    Overcome
    Ponderosa
    Black Steel
    Hell Is Round The Corner
    Suffocated Love
    Abbaon Fat Tracks
    Pumpkin
    Strugglin'
    Aftermath
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    Move Me
    New Stole
    When It's Going Wrong
    Vent
    Lucien (Young Magic cover)
    Take Me Shopping
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    Here My Dear
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    Black Steel
    Moving Through Water
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