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Róisín Murphy

Paris, Olympia - 21 mars 2024

Live-report par Franck Narquin

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Dans la nuit du 23 au 24 août 1999, le teint halé, les cheveux blondis par le soleil, la ceinture abdominale ferme et dessinée comme jamais, tu pénètres sur la piste de danse avec la confiance des dieux et l'insouciance de la jeunesse. La canicule frappe la France depuis quelques jours et les deux ou cinq vodka-pomme absorbées depuis le début de la soirée n'ont en rien fait retomber la température. Tu sues à grosses gouttes et ton T-shirt Elastica te colle au corps mais fort heureusement la fumée de cigarettes couvre toute émanation corporelle. Une vieille connaissance t'attrape un peu trop chaleureusement par l'épaule pour te demander si tu vas bien à Rock en Seine ce week-end. Tu lui réponds que la première édition du festival n'aura lieu que dans quatre ans et que bien que fictionnel, ce récit demeure soucieux de sa véracité historique. Tu passes ton chemin quand tout à coup le temps s'arrête. Cette scène tu la reverras presque exactement vingt-quatre ans plus tard, filmée par Patric Chiha dans La Bête Dans La Jungle. Une jeune femme, ni la plus jolie ni la mieux habillée de la soirée mais qu'un projecteur imaginaire semble éclairer de mille feux, tourne légèrement la tête, vos regards se croisent, c'est la plus belle fille du monde. Tu ignores à ce moment précis que vingt ans plus tard vous descendrez les marches du palais de justice de l'Ile de la Cité, les traits tirés et le regard fuyant après avoir contre-signé un jugement de divorce définissant le mode opératoire de la garde-alternée. On sait bien que là, tétanisé et dégoulinant de sueur mais comme touché par la grâce, la suite de cette histoire demeure le cadet de tes soucis. Tu lui demandes timidement son prénom, mais ta voix reste couverte par la musique et elle te répond « ouaaais ! ». Plus tard elle te dira « oui » et puis finalement « il faut qu'on parle ». Mais ce soir cela ne fait aucun doute, c'est elle la seule fille au monde et le titre que vient de lancer le DJ se nomme Sing It Back, une douce mélodie signée Moloko.

Flashforward. Nous sommes le jeudi 21 mars 2024. Depuis cette soirée d'été, tu as suivi avec bienveillance mais irrégularité la carrière de Róisín Murphy. Bien que CooCool, l'imparable tube au groove sensuel issu de Hit Parade, son dernier album réalisé avec DJ Koze, tourne sans relâche sur ta platine depuis près d'un an, tu as pris tes places pour son Olympia avant tout par nostalgie et curiosité. Tu as bien fait car même si tu l'ignorais, la sympathique chanteuse de Moloko s'est entre-temps transformée en véritable showwoman dont les prestations festives et grandiloquentes affichent partout complet et sont attendues comme de véritables messes par une fan-base dévouée (à une embarrassante polémique près). En revanche, ce que tu sais, c'est qu'il ne faut pas arriver trop tard à l'Olympia. Entre l'éternelle queue devant l'entrée qui s'éternise toujours, celle au vestiaire (seul endroit au monde ou je me suis fait engueuler pour avoir pris en photo mon ticket en cas de perte) et enfin celle du bar, où après avoir demandé un emprunt à ton banquier on te servira une pinte de bière lambda dans un verre en carton recyclable devenant mou comme du papier mouillé au bout de deux minutes, on rate souvent la première partie. C'est encore le cas ce soir, mais on tombera sur une vieille connaissance qu'on attrapera un peu trop chaleureusement par l'épaule pour lui demander comment c'était. Ruf Dug, DJ de Manchester bien connu des estivants d'Ibiza, en marinière et les cheveux peroxydé, aurait selon nos sources livré un sympathique DJ set très disco, idéal pour mettre le public dans le bain et s'échauffer avant les cent-vingt minutes de danse qui nous attendent.


A vingt-et-une-heures (le même jour, on vous rassure, plus aucune faille spatio-temporelle ne devrait venir perturber la lecture cet article), les lumières de l'Olympia pas encore éteintes, les musiciens accompagnant Róisín prennent place sur scène. Une partie du public applaudit, l'autre reste perplexe. Ce sera la seul micro fausse note de la soirée car la suite ne sera qu'éloges. Dès que l'Irlandaise arrive, le régisseur lumière se réveille, la foule avec et Pure Pleasure Seeker, toujours aussi fringuant du haut de ses vingt-quatre ans, ouvre le bal. Avec cinq titres de Moloko, cinq du dernier album et huit ou neuf de ses précédents (quelques morceaux étant des mash-ups de plusieurs titres, le décompte reste incertain), l'irlandaise balaie en deux heures l'intégralité de sa longue carrière et de son riche répertoire.

Bien placés parmi les premiers rangs, on constate vite qu'on aura du mal à danser en étant aussi compressés et que les trois grands gaillards devant nous semblent avoir finement étudié tous les angles pour nous bloquer la vue. Ainsi après les excellents Dear Miami et Simulation et déjà un premier changement de costumes pour Madame Murphy, on se résigne à faire marche-arrière pour prendre la place au balcon qu'on nous avait attitrée. Bonne surprise et fait assez rare, presque personne n'est resté gentiment assis à sa place, donnant ainsi des allures de night-club à ce balcon habitué à une certaine tenue, voire retenue. On en profite pour se faufiler aux avant-postes de la mezzanine, où les meilleures places de la salle réservée aux invités de marque et qui donnent juste au-dessus de la scène sont les seules restées libres. On y passera le reste du concert et avec quelques inconnu.e.s et ami.e.s d'un soir et on poussera même les chaises pour y organiser une boum improvisée. La plupart du temps, on n'aurait pas osé s'imposer de la sorte, mais ce soir une atmosphère festive, presque de débauche, semble s'être emparée de la salle. Encore ce fameux effet Olympia, à moins que ce ne soit l'effet Róisín Murphy ou plus surement un subtil alliage des deux.

Nous allons assister ce soir à un grand concert ou plus précisément à un grand show, où tout a été pensé, répété et parfaitement huilé tout en laissant de la place à la spontanéité et l'interaction avec le public. L'irlandaise enchaînera ses très nombreux changements de tenues sans presque jamais sortir de scène grâce à une dextérité à la Arturo Brachetti et sans aucun trou d'air grâce à sa capacité à meubler en parlant au public pendant ce temps. Róisín Murphy semble avoir donné autant d'importance à l'aspect vestimentaire qu'à la captation vidéo ou à la musique. Le résultat est sans appel, le spectacle ne connaît aucune baisse de régime et ne lasse jamais car chaque morceau a été conçu comme un mini-concert dans le concert. Elle fera chavirer de bonheur l'Olympia avec CooCool avant de descendre devant la fosse pour prendre les spectateurs dans ses bras tout au long de The Universe. Si certains gardent systématiquement leurs tubes emblématiques pour la fin ou d'autres les expédient au plus vite pour s'en débarrasser, Róisín opte pour une troisième voie bien plus intéressante en interprétant à mi-concert The Time Is Now puis aux deux-tiers Sing It Back. Assumant le statut culte de ces vieux titres, elle en fait des moments clés du spectacle sans trop de mise en scène lui permettant de pleinement savourer le chaleureux retour du public. L'alternance entre tubes et morceaux plus confidentiels ainsi qu'entre morceaux high et down tempo est parfaitement gérée, rendant le concert aussi agréable pour un fan hardcore que pour le néophyte trainé de force par un.e pote.


On en a encore peu parlé mais le groupe envoie la sauce sévère et s'avère aussi à l'aise sur les morceaux pop que sur les titres disco ou carrément électro. L'autre grand point fort du show est la captation vidéo. Si l'écran géant installé derrière les musiciens diffusera sur les premiers titres des illustrations visuelles assez classiques, celui-ci sera ensuite utilisé de manière bien plus créative. A la manière du travail de Jamie xx lors de ses DJ sets en festival, avec ses vidéos en direct de danseurs et d'anonymes au sein de la foule de spectateurs ou celui de Rosalia, avec une caméra passant de main en main sur scène pour créer des mini-clips live ou des sortes de vidéos TikTok sur lesquels la chanteuse s'adresse à son auditoire sans aucune distance, le public sera filmé sous toutes les coutures pendant Murphy's Law avant le point d'orgue de la soirée ou Róisín interprètera Can't Replicate dos à la foule mais face à la caméra. La scène et la salle plongées dans le noir, uniquement éclairées par quelques spots de lumière blanche, les yeux de tous se rivent sur l'écran pour y voir dans un élégant noir et blanc Róisín en tenue de magicienne et cadrée en plan américain avec dans son dos le public de l'Olympia qui disparaîtra de l'image au fur et à mesure que la caméra zoomera sur son visage. Visuellement sublime, d'une folle intensité et d'une grande sensualité, ce moment rare et jubilatoire où la chanteuse n'hésite pas à attiser le public avec des poses de plus en plus lascives et suggestives peut également se voir comme un geste politique sur la représentation du corps de la femme de cinquante ans.
Le hit Ramalama (Bang Bang) viendra clore le concert avant l'inévitable rappel entamé avec une version presque techno berlinoise de Forever More sur laquelle on suera autant que toi en août 1999, notre T-Shirt Sprints nous collant ainsi à la peau pour se clore par une distribution de roses assez tonique, Róisín éclatant son bouquet sur le sol comme Kurt Cobain cassait ses Telecaster avant de jeter ce qui en restait dans le public comme Frédéric François au gala des pompes funèbres de Gif-sur-Yvette.

Parfaitement millimétré mais d'une profonde vitalité, ouvert à la nostalgie mais d'une totale modernité, aussi festif qu'émouvant, ce concert de Róisín Murphy à l'Olympia n'était pas celui qu'on attentait le plus au cours de ce mois de mars mais c'est pour le moment le plus beau qu'on ait vu cette année.
setlist
    Pure Pleasure Seeker (Moloko cover)
    Dear Miami
    Simulation
    Overpowered
    CooCool
    The Universe
    Crazy Ants Reprise
    You Knew
    The Time Is Now (Moloko cover)
    Incapable
    Something More
    Let Me Know
    Sing It Back (Moloko cover)
    Murphy's Law
    Can't Replicate
    Ramalama (Bang Bang)
    ---
    Forever More (Moloko cover)
    Hit Parade
    Pure Pleasure Seeker outro (Moloko cover)
photos du concert
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