Le saviez-vous ? La probabilité d'expérimenter un coup de foudre s'élève péniblement à 10%. Le coup de foudre étant ce phénomène qui consiste à ressentir une attirance très forte pour une personne inconnue lors d'une rencontre surprise. En résumé, le flash, les étoiles dans les yeux, peut-être les papillons dans le ventre...Bref, ce moment fugace de bonheur auquel on ne s'attendait absolument pas. Non, il n'est pas ici question de ce que Gérard a ressenti lorsqu'il a croisé le regard de Brigitte qui attendait patiemment après son expresso dans la tisanerie du service comptabilité, mais plutôt de ce qu'a vécu votre chroniqueuse il y a de cela maintenant trois ans, un soir d'octobre tristounet à la Maroquinerie de Paris, lorsqu'elle a vu pour la première fois And Also The Trees se produire sur scène.
Cette histoire, je vous l'ai déjà racontée l'an dernier, lorsque le groupe de Simon et Justin Jones revint donner un concert magnifique à la Marbrerie de Montreuil, transformant la salle aux allures de cave bétonnée en un havre de beauté, à l'image des prairies verdoyantes et bucoliques des douces campagnes anglaises. Ce fut alors l'occasion de confirmer cette impression d'une nouvelle grande et belle d'histoire d'amour musicale. Ce pourquoi, comme dans toute nouvelle relation, il devenait urgent de sceller cette idylle lors du nouveau passage d'And Also The Trees à Paris, cette fois-ci au Trabendo de la Villette. Nous ayant coup sur coup livré deux très grands albums (
The Bone Carver en 2023 et
Mother-Of-Pearl Moon en février dernier), Justin et Simon Jones sont de retour et ce toujours dans les conditions intimistes et privilégiées qu'offrent les petites salles. Ne nous expliquant pas comment un groupe aussi talentueux n'ait pas plus de succès auprès du grand public, c'est donc avec beaucoup de modestie que Simon et Justin toujours accompagnés de Paul Hill, Colin Ozanne et Grant Gordon se présentent devant un Trabendo quasi plein et un parterre de fans dont on se doute les observant qu'ils font partie du cercle des fidèles.
Avec plus de quarante ans de carrière, une longue liste d'albums ayant récolté un grand succès d'estime et une communauté de fans pour beaucoup présents depuis les débuts, And Also The Trees ont traversé ces quatre décennies de la façon la plus élégante qu'il soit : vous ne trouverez aucun scandale lié à leurs membres ou aucun fait divers dans les tabloïds sur les disputes des deux frères Jones. Avec quelques périodes de mise en pause et une popularité variante selon les albums (il serait difficile de nommer un groupe qui a trôné en tête des charts à chaque nouvelle production, attention fidèles lecteurs, le premier à citer U2 est banni automatiquement), Justin et Simon ont ainsi toujours su faire preuve d'humilité pour accepter de reconquérir leur public si le besoin s'en faisait sentir.
C'est dans cet état d'esprit que l'on peut alors apercevoir avant d'entrer dans la salle le groupe et leur techniciens nonchalamment attablés dans la cour du Trabendo avec quelques bonnes bouteilles de vin, saluant les fans curieux qui, du haut de l'escalier, les observent amusés. Parmi ces mêmes fans, beaucoup viennent ce soir de Belgique et de Suisse, pays de villégiature de Simon Jones, après avoir déjà eu la chance de les écouter jouer notamment à Namur dans la nef d'une église. L'attente étant un peu longue avant le concert, on en profitera pour observer les présents : en majorité composée de spectateurs qui ont eu la chance de découvrir And Also The Trees au début des années 80, la moyenne d'âge est sensiblement élevée. Cependant, on retrouve de la fraîcheur de ci de là avec de plus jeunes fans, probablement séduits par les disques de leurs parents. Ce qui fait également sourire est le dress code de la soirée, sans le savoir le jean et les Dr. Martens noirs (ici vegans) de votre chroniqueuse se mêlent parfaitement au flot de tenues et de chaussures noir corbeau, peut-être une réminiscence des origines « Cure-iennes » de nos musiciens.

Après avoir fini de jouer notre Cristina Cordula, le concert débute et l'entrée sur scène se fait sur une introduction instrumentale – ici
Intro de
Mother-Of-Pearl Moon, un simple spot banc braqué sur Justin Jones à la guitare, tout de rouge sombre vêtu, qui balaye ensuite de son rayon Paul à la batterie, Grant à la basse et Colin à la clarinette. Discrètement, se mouvant tel un félin en chasse, arrive Simon Jones, vêtu d'une tenue sobre avec une chemise et gilet clairs, à ce moment arborant son long manteau noir et son écharpe, yeux mi-clos, venant se figer au milieu de la scène en silence afin d'enchaîner avec
The Whaler,
Town Square et
Vision Of A Stray, issus du dernier disque. Dès les premiers instants, le public entre littéralement sous le charme très hypnotique de Simon Jones qui, assis sur un tabouret de bar, débute le concert sous des halos bleu intenses, puis va petit à petit s'effeuiller (sans dépasser le stade de la chemise bien évidement), au fur à mesure qu'il se déplacera de plus en plus sur la scène, entrant à de nombreuses reprises dans des petites transes où, yeux fermés et recroquevillé sur le micro, il interprète ses chansons de façon très intense.
La setlist fait la part belle à
Mother-Of-Pearl Moon et
The Bone Carver avec pas moins de onze titres sur vingt et un joués. Tout cela pour notre plus grand plaisir, les deux derniers disques ayant atteint des sommets de grâce dans leur composition. Également, leur atmosphère feutrée et poétique permet de donner au récital une distinction qui envoute les présents. L'arrivée des titres beaucoup plus anciens comme
Virus Meadow,
Shantell,
Missing et
A Room Lives In Lucy offre de véritables moments de communion avec le public, resté jusqu'ici plutôt sage car totalement contemplatif. Une grand-messe qui connait ses instants de ferveur, le tout mis en scène avec un lightshow passant de semi-pénombre à explosions de lumières blanches, mauves ou vertes, mettant judicieusement en relief les différentes sensibilités des morceaux interprétés. Le timbre de voix de Simon Jones est tendu et doux à la fois, et s'accorde parfaitement avec des chansons qui ont elles-mêmes su se bonifier avec le temps.

Le premier rappel se fait avec un retour au calme lors d'un mini voyage dans les terres lointaines et froides de l'Europe de l'Est avec le très cinématographique
A Bed In Yugoslavia, évidement interprété de façon magistrale par un Simon Jones qui n'a rien à envier aux plus grands acteurs de théâtre classique. Sans jamais surinterpréter ses chansons, l'anglais, au travers de son langage corporel tout en délicatesse, dégage un charisme d'une incroyable puissance, qui attire à lui tous les regards mais jamais de façon déplacée. Le chant profond et fluide allié à cette élégance, épaulé par les jeux de guitare et de batterie aussi puissants que mélodieux de Justin et Paul offre un résultat qui ne peut laisser quiconque indifférent, qu'il soit familier ou non avec le répertoire du groupe.
Le concert se termine sur un audacieux mélange d'ancien et de contemporain entre un véritable retour aux sources avec
The Suffering Of The Stream et
Wallpaper Dying, morceaux qui font s'enflammer le public et
Valdarada, où le jeu de clarinette de Colin fait véritablement des merveilles. Enfin, c'est
Slow Pulse Boy qui conclut le concert en célébrant l'éternelle jeunesse d'And Also The Trees et de sa cohorte de fans qui a su attirer à ses côtés de nouvelles générations d'adeptes. L'une d'entre eux, pourtant déjà rodée mais qui en venant accomplir consciencieusement sa tâche de photographe-journaliste un soir de 2021, a ainsi sans le savoir pénétré un tout nouvel univers.
And Also The Trees ont à nouveau touché au grandiose durant cette heure et demie de concert, transcendant chacun des titres et continuant de figurer après quarante ans de carrière parmi les formations les plus belles et captivantes de leur génération.