Une sieste dans les nuages, un après-midi d'été au soleil, la tête dans le coton, là où passent, au croisement des ondes radio, les notes de Rollo Doherty et Palace. Retour sur cette fin du mois d'octobre à l'Alhambra, une soirée où plutôt que se trouver un costume d'Halloween on ira écouter le chanteur et guitariste d'ISLAND introduire avec son projet solo pour ses potes de Palace.
ISLAND et Palace, deux groupes ayant souvent tourné ensemble par le passé, au public proche et aux univers très compatibles, un petit paradis pour
Rollo Doherty en solo total, comprenez sans autre musicien que lui-même, qui passera la demi-heure à recréer avec maestria chaque instrumentation de son premier EP
Out My Window simplement à l'aide de sa guitare et d'une loop pedal.
Quelques grattements de cordes, une note par-ci, une note par-là, le passage d'un archet-lime sur la guitare pour plus ou moins imiter un violon, et nous voici partis dans le monde magique de Rollo Doherty, cette petite île tropicale comprenant une plage, un tiki-bar, une cascade, quelques danseuses et deux ou trois surfeurs. On acceptera aussi deux ou trois surfeuses et quelques danseurs selon l'humeur, une humeur très Papaya, même si dans cette configuration ce sont principalement les superbes
Sun Goes Down Behind My House et
It's All Beautiful Rain qui mettront déjà les larmes aux yeux d'un public conquis, sous le charme de l'anglais aux airs de Robinson Crusoé des temps modernes, seul sur sa scène dans son océan de lumières bleues.
Someone's Gonna Break My Little Heart Tonight sera la dernière chanson de Rollo pour aujourd'hui, et si quelqu'un nous aura brisé le cœur ce soir c'est bien lui, de n'avoir pas plus joué, et de n'avoir même pas promis de revenir alors que l'on ne demande que ça. Une vraie petite tournée avec un groupe pour ce très bel EP qu'est
Out My Window, voilà ce qu'on voudra de Rollo Doherty pour Noël, mais en attendant c'est la dinde qui pointe le bout de son nez, plat de résistance de la soirée, et s'il vous plait servie dans le luxueux restaurant d'un
Palace cinq étoiles.
Des traits d'humour qui ne nous empêcheront pas de nous sentir vieux quand les premiers rangs ici présents n'affichent guère plus de vingt ans, une Gen Z qui a bien compris qu'écouter Coldplay en 2024 c'était cringe, et que ceux qui dead ça ne passent pas au Stade de France mais à l'Alhambra. Bref, on blague mais la plupart des personnes dans la salle ont comme nous entre vingt-cinq et trente ans, une salle complète depuis des mois, l'occasion de retrouver Palace et leur nouvel album
Ultrasound, le quatrième du groupe en douze ans, et ce sont les quatre lads habituels plus un claviériste qui rentrent sur scène au milieu de stroboscopes en noir et blanc pendant l'introduction Cocoon. Une ambiance électronique et pesante qui persistera en pleine fumée sur les deux chansons suivantes,
Goodnight, Farewell et
When Everything Was Lost : les basses font trembler le thorax, le tout donne le sentiment d'être dans un sous-marin vingt-milles lieux sous les mers, et si la vibe globale est nettement plus sombre qu'à leurs débuts, celle-ci fonctionne à merveille dans la grande hauteur de l'Alhambra.
Sans étonnement, l'arrivée de
Break The Silence et
So Long Forever fera crier le public au souvenir du premier album, le plus connu, mais aussi le plus fun, pop, et tubesque. Les lumières changent de ton, du bleu et du gris on passe au jaune et au vert, toute la fosse danse et tape dans les mains au rythme de Matt Hodges et Harry Deacon, fûts et basse d'un commun accord derrière Rupert Turner et surtout Leo Wyndham, sosie vocal officiel de Chris Martin et showman simple, touchant, et naturel.
Changement d'opus, les tons verts et boisés se font de rigueur pour accueillir à la suite trois chansons de l'avant-dernier album
Shoals, la très belle et aérienne
Lover (Don't Let Me Down), la trip-hopesque
Gravity, et la vaporeuse
Sleeper. Retour à
Ultrasound, retour au noir et blanc, un seul spot laissant tomber la lumière divine sur la chevelure de Leo Wyndham en un moment de communion parfaite. Le père, le Son, et le Saint-Esprit, tous réunis ce soir quand des « we love you ! » jaillissent de la foule entre chaque chanson, preuves d'amour qui ne seront rien comparé à la vague d'acclamation propagée par les battements d'ailes de
Live Well. Leo tend le micro et le public chantera à sa place tout le premier couplet et le début du refrain, un karaoké remplit d'émotions et un petit bonheur à observer pour qui ne connait que la moitié des paroles.
Le groupe enchaînera avec la nouveauté
Greyhound, une chanson revenant dans la veine de
Shoals avec un style plus pop et optimiste, à voir donc si
Ultrasound n'était qu'une (trop) courte escapade oppressante et électronique, et poursuivra en retournant à la source des toutes premières chansons :
Holy Smoke en acoustique terminée a capella, et la très vieille
Lost In The Night, si vieille que Leo en a oublié comment on la jouait. Un problème réglé en trois accords et une excuse, un petit mot pour Rollo Doherty le copain, et
Make You Proud débarque pour nous prouver que le public connait aussi les paroles du dernier album. Un magnifique solo plus tard, Leo nous crie qu'il veut nous entendre, comme qui dirait
All We've Ever Wanted perdue dans la reverb et dans les fonds marins, suivie d'un échange entre une Stratocaster pieuvre et une Telecaster hippocampe. Voilà déjà la première fin du set, avec Leo qui s'amuse avec sa pédale de delay, et
Heaven Up There qui termine tout là-haut dans les nuages.
Un classique fondu au noir et un rappel voyant Leo Wyndham revenir capuche sur la tête s'asseoir près de la batterie pour chanter la version « Outro » de
Goodnight, Farewell, enchaînée par un grand remerciement à Paris, un souvenir ému de leur premier show hors UK qui s'était déroulé au Pop-Up du Label, et la chanson que l'on attendait tous :
Bitter. Quatre minutes de bonheur et un nouveau karaoké géant conclu par la version rock n'roll supplément distorsion de la chanson originale, avant que la vraie fin du concert n'arrive finalement sur
Give Me The Rain, comme une manière de prolonger le plaisir encore un peu plus longtemps. Un plaisir réel et sincère d'avoir passé cette soirée en compagnie de Rollo Doherty puis Palace, des artistes d'une douceur, d'une simplicité et d'une humanité tout bonnement désarmantes, des artistes que l'on remercie de nous rappeler que dans cet océan de haines et de fractures qui s'appelle 2024 se trouvent aussi ces moments-là.
Un marshmallow au coin du feu, une nuit d'été les pieds dans l'eau, comme être un peu plus heureux, d'avoir vu sur scène Palace et Rollo Doherty.