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Rachel Sermanni

Paris, POPUP! - 15 novembre 2024

Live-report par Adonis Didier

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Parmi les centaines voire les milliers d'artistes qu'on a écoutés dans sa vie, il y en a toujours quelques-uns dont la signification personnelle est un moment gravé dans le temps, une borne kilométrique, un panneau à une intersection découvrant une route dont on ignorait l'existence avant que quelqu'un ne la pointe du doigt, et ne crie « l'Amérique ! l'Amérique ! ». Un éclair traversant une bande de neurones qui se mettent eux aussi à voir l'Amérique, et une vie changée pour toujours, au hasard d'une vidéo YouTube de Smells Like Teen Spirit, d'un amour de vacances fan des Arctic Monkeys, ou d'un obscur article sur un obscur webzine traitant du premier album d'une jeune compositrice de folk écossaise : Rachel Sermanni.

L'étudiant en ingénierie d'alors, seul dans sa chambre où s'empilent les polycopiés sur la mécanique des fluides, tombe éperdument amoureux de l'album et décide d'en écrire lui-même une chronique, comme ça, pour rire, pour voir, pour tenter d'atteindre avec des mots l'indescriptible : graver dans un amas de lettres maladroitement ordonnées la plus belle musique qui soit. Un vinyle de papier numérique encrypté en php, le premier d'une longue série débutée il y a dix ans par Under Mountains, et qui se termine pour au moins quelques jours par le récit du plus merveilleux des concerts qui soit, celui de Rachel Sermanni au POPUP! à Paris.


Zéro degré dehors, au moins trente-cinq dedans, la petite salle du Viaduc des Arts est bondée, et dans la foule Rachel Sermanni tente de se frayer un passage jusqu'à la scène. Seule et en chaussettes avec sa guitare acoustique, l'artiste est à Paris comme dans son salon, et devant elle personne n'osera émettre ne serait-ce qu'un son alors que Dreamer Awake se découvre, et introduit dans le même temps le dernier album du même nom. Un album joué en version solo acoustique, réminiscence de l'EP Dreamer Awake Sketches sorti il y a quelques mois, par une compositrice et conteuse qui comme moi aime beaucoup raconter sa vie, introduisant chaque chanson par une « courte » histoire dépeignant l'humain derrière la musique, dans un concours de circonstances et de leçons de vie ponctuées d'un humour touchant et complice, créant une proximité rare avec un public ramené en enfance, assis au coin du feu, à se laisser réchauffer le cœur par les histoires et les notes sortant de la cheminée.

Put Me In The River, une part de vie dans un monastère bouddhiste, à faire le café pour des moines moins zen que prévu. Swallow Me, ou comment découvrir qu'on attend un enfant dans les toilettes de la gare d'Edimbourg. Une chanson belle à pleurer, et peut-être qu'on a pleuré mais chut, car il est temps de revenir à Dreamer Awake, l'album au cœur de cette tournée : Jacob passe et emporte la foule avec lui, Grace Of Autumn Gold est la plus belle chanson du monde jusqu'à la suivante, on découvre que Rachel termine souvent ses tournées sur des pleines lunes, on apprend à imiter la sève qui se retire dans le sol à l'automne, on rigole un bon coup, et voici la nouvelle plus belle chanson du monde jusqu'à la suivante : Big Desire. Du sublime et du groove, un solo entièrement fredonné à la bouche, un public qui commence à chantonner timidement, et un concert qui s'envole déjà quelque part entre les nuages et le paradis, à des hauteurs où le vent ne souffle plus mais chante, et quand le vent chante il chante Rachel Sermanni.


Alors le vent chante no way blues, dernier single sorti au début du mois, avant la plus belle chanson parmi les plus belles chansons, In Her Place. Une histoire de maternité, de mettre au lit sa fille, une citation dans le dictionnaire au côté de l'expression « beau à pleurer », et l'on n'est même pas au bout de tout ça que le POPUP! a déjà les larmes aux yeux, les genoux en coton, et les cordes vocales qui tremblent. Mais comme la fin est proche, on prolonge le plaisir en discutant, en racontant, en écoutant cette histoire de tournée canadienne avec son frère comme manager, un conte fait de whisky, de camping sauvage, et de rivières qui débordent, ramenant à des aurores boréales et à la dernière chanson du soir, Lay My Heart. Une chanson jouée autour du feu de camp, sur laquelle tout le monde est invité à chanter, et ce même les gens trop cools et trop parisiens pour chanter, quand Rachel invente au fur et à mesure ses paroles, incitant les habitant de Paris à mettre de côté leur cool le temps d'une unique chanson, pour eux aussi déposer leur cœur et leur voix dans cet endroit magique, à la fois personnel et ouvert à tous, qu'est la musique de Rachel Sermanni.

Un chœur fait des cœurs de toutes les « uncool » personnes de Paris, rappelant l'artiste, pour qui c'était vraiment fini, à venir jouer une dernière fois, une dernière chanson, la seule de la soirée tirée de cet album si particulier qu'est Under Mountains, à la demande générale de la jeune fille au premier rang et du photographe à la poussière dans l'œil. Marshmallow Unicorn, parfaite conclusion d'un parfait concert pour lequel les mots commencent à manquer, alors autant laisser les derniers à cet étudiant au style aléatoire, trop timide pour envoyer ses textes à quiconque, qui écrivait en tailleur sur son lit et qui le fait toujours dix ans plus tard : « Rachel Sermanni trace sur la Terre le pont étoilé, flottant sur nos rêves, qui relie notre monde à celui d'en-haut. Parce que nous ne deviendrons jamais des dieux. Parce que personne ne nous empêchera jamais d'en rêver ».
setlist
    Dreamer Awake
    Put Me In The River
    Swallow Me
    Jacob
    Grace Of Autumn Gold
    Big Desire
    no way blues
    In Her Place
    Lay My Heart
    ---
    Marshmallow Unicorn
photos du concert
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