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Rachel Sermanni

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 27 septembre 2012

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En cette journée promotionnelle de Rachel Sermmani, sa maison de disques a eu la bonne idée de donner rendez-vous aux journalistes dans le Parc des Buttes Chaumont, en une belle journée de fin d'été.

Au moins aussi bucolique que cette jeune artiste, le parc résonne encore des bruits de tondeuses à gazon, pas sur le bitume multipliés par un nombre de joggers toujours plus conséquent, et pots d'échappements trafiqués, vrombissant à l'extérieur dans des accélérations en total désaccord avec la personnalité de la jeune artiste.

Fraîche, comme la rosée du matin, Rachel a des airs d'une étudiante Erasmus venue à Paris pour la première fois. Emplie d'odeur de tourbe et humide comme une pluie d'Ecosse, aérienne et pourtant profonde comme un nuage noir prêt à se déverser sur les Higlhands, la première production de Rachel Sermanni nous rappelle, une fois de plus, à quel point nos villes sont violentes et comme sa musique, issue de ses montagnes à perte de vue dans les landes du nord de l'Europe, est reposante.

Tu es une chanteuse Écossaise, mais ton nom sonne très italien, quelle est ton histoire ?

C'est vrai. Mon nom vient du côté de mon père. Mes parents sont de Glasgow, mais mes grands parents paternels ont émigré de Toscane, en Italie. Ils se sont installés en Écosse pour y monter un restaurant de fish and chips. Un commerce très commun chez nous, des frites anglaises et des glaces italiennes ! Maintenant, mes parents vivent dans les Higlands et je vis dans ces grands espaces avec eux.

Je sais que tu es une très jeune artiste, puis-je te demander ton âge ?

J'ai vingt ans...

Quand as-tu commencé à jouer de la musique ?

J'ai débuté très jeune. La musique a été présente toute ma vie. Cela a débuté avec des influences très folkloriques Écossaises avec le violon, la flûte... Au lycée, j'ai bien sûr été influencée par d'autres musiques, mais j'ai continué à jouer des instruments classiques et des partitions classiques ou folkloriques. C'est à ce moment que j'ai appris à jouer de la guitare. Je ne suis pas très douée pour le solfège, mais j'ai, naturellement, une oreille assez musicale qui me permet de mémoriser beaucoup d'accords ou de mélodies. Je ne crois pas avoir jamais réalisé, avant il y a quelques années, que ma vie était si axée sur la musique et que je pourrais en faire une ambition professionnelle. Je suis contente quand je joue et j'ai toujours aimé me produire sur une scène, même à l'école. J'aime la langue Anglaise, donc j'aime écrire. J'ai adoré jouer et apprendre le théâtre à l'école, donc j'aime jouer en live…tout cela est venu assez logiquement.

Il y a des musiciens dans ta famille ?

Aucun ! Mais ils m'ont toujours soutenue. Le fait d'aller souvent à l'église a également été un facteur important pour éduquer mes oreilles aux tonalités et aux harmonies.

En quoi la musique a-t-elle définitivement changé ta vie ?

Difficile question... La musique peut changer la vie de tous, même en n'étant pas musicien, mais choisir de vivre par la musique m'a permis de rencontrer des amis extraordinaires et de partager des moments que j'ai adorés. Jouer de la musique avec des gens que tu aimes te ramène aux moments délicieux de ton enfance. Je crois que c'est à l'instant où j'ai quitté l'école que la musique a pris la plus grande place dans ma vie. C'était également un acte libératoire pour mon esprit.

Est ce que la dénomination de folk singer te convient ?

Quelque chose en moi lutte contre ce terme... sûrement pour dépasser cette classification, mais c'est le style qui se rapproche le plus de ma musique. J'aimerais mieux que mon public se fasse sa propre idée, sa propre qualification de ma musique. Quand je compose, je ne pense pas à cela.

Quel serait donc le meilleur terme pour décrire ta musique ?

Récemment, un journaliste a décrit ma musique comme de la « folk noire ». J'aime beaucoup cette trouvaille. Spécialement pour ce premier album où la mélancolie est très présente. J'y raconte beaucoup d'histoires personnelles et la musique est parfois très acoustique. En cela, on peut m'identifier dans le courant folk de la musique rock.

D'après toi, qu'existe-il de si spécifique en Irlande ou en Écosse qui nous donne à y découvrir tant de chanteuses et de chanteurs folk ces dernières années ? Les grands espaces sont-ils plus propices à l'émergence de ce genre d'artistes ?

Je n'ai jamais réfléchi à cela... J'ai toujours vécu à la campagne, donc je ne pourrais comparer avec une vie citadine mais, ce qui est certain, c'est que j'ai besoin d'espace. Je réside à Glasgow pour un moment et je me rends compte que l'incessante vie des grandes villes t'apporte une idée à la minute. L'inspiration est effectivement très différente. Il y a tant à absorber au niveau humain ! À la campagne, tu es plus recentré sur toi-même et tu es amené à absorber des choses plus en lien avec la nature et la terre. Je ne suis pas sûr que cela ait un effet ou non sur la création mais, dans ma musique, cela crée de l'espace et de la quiétude. J'adore vivre dans les Highlands, mais il est très important, parfois, de se plonger dans un environnement qui n'est pas le sien et de découvrir de nouvelles choses.

Tu as joué dans un des plus grands festivals anglais cet été, Reading, comment cela s'est-il passé ?

C'était charmant. Comme tu le sais, Reading est plutôt porté sur le rock bruyant et énergique donc, je m'attendais à un petit public et peut-être un peu distrait pendant mon set mais ce ne fut pas le cas et j'ai eu une belle surprise en découvrant l'attention que me portaient tous ces gens pendant mon concert !

Dans ta musique, on remarque les guitares délicates, le piano désinvolte et les arrangements subtils ; d'où te viennent ces influences stylistiques ?

Naturellement... Quand j'étais à l'école, j'expérimentais des styles de musique avec des petits groupes d'amis. Mais je n'étais pas vraiment portée sur un style précis. Aujourd'hui, je continue à apprendre et expérimenter, mais, sur mon album, j'ai voulu que les cordes, par exemple, sonnent moins folk que traditionnelles. Elles créent une atmosphère qui répond parfaitement aux harmonies vocales que j'apprécie. Les musiciens avec qui je joue viennent d'horizons différents et ont contribué à alimenter la diversité stylistique de ce premier album.

Ce premier album, Under Moutains, sort le 17 septembre. Quelle est son histoire ?

Au niveau conceptuel, il couvre une large période de ma vie. Certains de ses titres ont été écrits ou pensés quand j'étais encore à l'école. Tu me diras, c'était il y a cinq ans à peine, mais cela semble déjà loin pour moi ! À mes yeux, elles sont déjà de vieilles chansons, matures. Elles reflètent, parfois, la peur du chemin que je commençais à entrevoir dans une carrière, risquée, basée sur la musique. En grandissant et en découvrant de nouvelles choses, je me suis surprise à écrire des chansons de plus en plus profondes, peut-être plus sombres aussi... Je suis également très fière de l'artwork de l'album, avec ses pastels et son thème étrange, qui correspondent très bien à mon écriture. Écriture et compositions souvent inspirées de mes propres rêves...

Justement, d'où viennent tes paroles ? D'histoires vécues ?

Très souvent, oui. Mais je cache la plupart des faits réels dans des métaphores (rires)... Ce sont des histoires que je trouve la nuit quand je ne dors pas et à la limite entre les histoires vraies et la fiction que ton esprit rajoute, par couches.

C'était difficile de trouver un label pour ce premier disque ?

Oui et non. Étant donné qu'il s'agit de mon propre label ! Et plus qu'un problème, je crois que nous avons sciemment décidé de ne pas courir après un label. J'ai la chance d'avoir une formidable équipe autour de moi, que ce soit mon manager, mon tour manager et vous, les journalistes, qui m'aidez à progresser et relayez mon travail. Tout le monde s'implique d'une manière qui n'aurait peut-être pas été du même niveau avec un label connu. Parfois, certaines maisons de disques ne peuvent te donner le même enthousiasme à tes débuts. Je me trompe peut-être, l'avenir proche nous le dira...

Ian Grimble a produit ton album, tu peux nous parler de lui ?

Il existe un label qui s'appelle Communion à Londres. Je l'ai rencontré là-bas avec mon ami Ben Lovett, de Mumford And Sons. Ce groupe a été très important dans ma jeune carrière et j'ai souvent joué avec eux, ce sont eux qui m'ont introduite dans ce label et auprès des personnes qui gravitent autour. Finalement, nous n'avons pas sorti l'album avec Communion, mais j'ai rencontré Ian et j'ai su qu'il fallait qu'il soit le producteur de mon premier album car l'enregistrement d'un disque est un métier à part entière et tu ne peux improviser cela, même si j'avais déjà eu des expériences d'enregistrement, avant. Il m'a pilotée tout en me laissant le contrôle, je n'ai jamais pensé qu'il prenait l'ascendant sur le ton ou la direction que je voulais choisir avec cet album. C'est quelqu'un de très calme et de très reposant. Nous avons enregistré en Écosse, dans un très beau studio, dans les montagnes avec des cours d'eau tout autour. Après ça, Ian m'a invité à Londres dans son studio qui est localisé dans une ancienne église. C'est là que nous avons enregistré l'atmosphère du disque, tous les a cotés, les sons, parfois bizarres qui concrétisent la ligne musicale de l'album.

Tu joues en showcase à Paris ce soir, est-ce ta première fois sur scène, ici ?

Non, j'ai joué ici l'année dernière à la Cigale en première partie de Fink. Ce soir ce sera mon premier live solo à Paris. Je suis très excitée.

Qui joue avec toi sur scène, généralement ? Qui sont tes musiciens ?

Sur cette tournée, la plupart du temps, je joue seule. Mais quand j'ai la chance d'avoir un groupe avec moi, généralement il se constitue de filles. Une violoniste, qui chante aussi les chœurs, une pianiste et, si j'ai vraiment de la chance, également une bassiste et une guitariste. Une vraie fraternité de filles que j'adore !

Je crois que tu fus découverte jouant seule de la guitare sur une plage d'Ullapool, en Écosse, tu te retrouves souvent seule sur une plage du nord à jouer de la guitare ?

Je joue souvent seule, ça c'est sûr (rires) ! Un soir, les Mumford And Sons m'ont vu sur cette plage à deux heures du matin et je leur ai demandé s'ils voulaient me rejoindre... Mais, tu sais, même hier soir j'étais seule dans les rues de Paris, m'exerçant avec mon violon et j'ai même gagné quelques pièces ! Il faut encourager ce genre de pratiques, seule ou à plusieurs. Plus personne ne pense à faire un boeuf entre amis. Tout le monde, même dans l'industrie de la musique, est concentré sur son ordinateur ou son téléphone portable, c'est dommage.

Je crois que tu as déjà joué avec Mikael Kiwanuka et Elvis Costello ?

Avec Mikael Kiwanuka, c'était à Londres. Incroyable. Idem avec Elvis Costello. C'était au festival de Sligo, en Ecosse. Les organisateurs sont vraiment gentils avec moi pour m'avoir offert deux artistes tels qu'eux et la chance de partager une scène et même la même loge avec Elvis Costello. C'était mémorable pour moi !

L'Irlande et l'Ecosse ont toujours produit des artistes engagés et, souvent, éloignés de l'industrie lourde de la musique. Pense-tu que ce soit dû au passé de ces deux pays et leurs relations, conflictuelles avec l'Angleterre ?

Je n'avais jamais vu cela comme ça… J'ai toujours admiré les artistes indépendants et marginaux. Ceux qui savent où ils veulent aller même sans aide... Ils sont une inspiration pour moi. Mais je ne pense pas que cela ait quelque chose à voir avec un anti-anglicanisme. De toute façon, nous sommes tous connectés maintenant, donc il est plus difficile de rester isolé, même en tant qu'artiste indépendant.

Que penses tu d'Internet et du téléchargement illégal toi qui es née avec cette technologie ?

J'adore avoir un objet physique dans les mains. J'ai conscience du travail que cela demande à un tas de gens pour obtenir un disque. Mais, je comprends complètement pourquoi les gens téléchargent, même illégalement la musique. C'est si facile de nos jours et les gens ne peuvent se passer de musique. Je ne sais pas quelle serait ma réaction si je voyais quelqu'un télécharger illégalement mon disque, je crois que j'en serais blessée, malgré tout. Mais je préfère penser à tous ceux qui font l'effort d'acheter le CD et les remercier. Je préfère me concentrer sur ceux qui me permettent de continuer mon métier...

Tu as des objets fétiches que tu prends avec toi quand tu pars en tournée ?

J'en ai quelques-uns. Mon violon, ma mandoline, mes carnets de dessin... tout ce qui peut stimuler ma création. J'ai même un yoyo dans ma poche (rires) !

Qu'est-ce que tu aimes en France ? Qu'est-ce que tu n'aimes pas ?

J'ai toujours aimé la France. J'adore la langue que j'essaie d'apprendre. La nourriture est bien sûr glorieuse. Je trouve le temps magnifique, notamment dans mon enfance, pendant laquelle je suis souvent allée skier dans les Alpes. Je ne trouve pas vraiment de choses que je n'aime pas ici. Peut-être le visage crispé des Parisiens, ils devraient sourire plus souvent ! Quand j'aurais vécu ici plus longtemps, peut-être que je te décrirais plus de choses que je n'aime pas en France (rires) !

Que peut-on te souhaiter pour le futur ?

Une maison dans les Highlands. Une très simple mais que j'aurais pu me payer grâce à ma musique. Mais, je sais que je ne changerais jamais de personnalité ou de direction pour obtenir cela. Le plus important, ce serait de pouvoir continuer ce métier avec mon esprit, sans le vendre pour de l'argent, justement ! Je crois que c'est le challenge de tous les musiciens...