logo SOV

Porridge Radio
Ebbb

Paris, Trabendo - 5 décembre 2024

Live-report par Adonis Didier

Bookmark and Share
Je mémorise le goût d'un froid mois de décembre, j'en ai marre du blues, et je suis en amour. En amour de quoi, chers amis québécois ? En amour de ma vie à nouveau, chaque fois que dans la ville tourne Porridge Radio. En amour de ma vie à nouveau, quand s'ouvrent les portes du grand Trabendo. Car ni le froid, ni le blues, ni la nuit, ni même l'inconséquence de la ligne 9 n'auront raison du désir maladif de voir une troisième fois sur scène cette année Porridge Radio, conclusion d'une trilogie parisienne ayant plus que jamais marqué l'histoire du groupe. La présentation en avril du dernier album, Clouds In The Sky They Will Always Be There For Me, au Centre Pompidou au cours d'un spectacle filmé et mis en scène par Ella Margolin, puis un passage télévisé lors du ARTE Concert Festival entre Bill Ryder-Jones et St Vincent, et finalement ce soir, comme la fin d'un voyage, comme un ultime moment de partage et de communion au cours du premier concert « normal » de l'année, mais rien n'est jamais normal lorsque l'on parle de Porridge Radio.

La meilleure radio d'Angleterre, emmenée par une voix comme un multivers, Dana Margolin qui, depuis deux soir, à Amsterdam puis à Bruxelles, joue seule devant la foule car le/la partenaire de la claviériste Georgie Stott a été renversé par une voiture la veille. Alors on prie, déjà pour que tout le monde aille du mieux possible, et ensuite pour que rien ne vienne entâcher un concert qui sera sans doute l'un des plus grands défis de l'histoire du groupe, comme rien que l'on ait déjà vu auparavant, comme une pièce de paradis perçant l'œil derrière l'ouragan.


Mais avant de se perdre en lyricismes, de s'égarer en métaphores, de tourner des films sur le cyclisme et de s'oublier ivre dans les ports, parlons d'Ebbb, à prononcer « éb » mais à écrire avec trois b, comme autant de beats (si vous avez ri, je vous juge) s'écrasant sur le dancefloor, piétinés par une batterie monomaniaque par-dessus laquelle chante, quelques kilomètres plus haut dans les nuages, la douce voix de Will Rowland. Un beatmaker sous une chapka, un mulet-iroquois sur un chanteur, et de tout ça ressort un mélange inattendu, hypnotisant, saisissant, d'un chant aérien et délicat naviguant sans heurts dans la cadence infernale de vagues synthétiques hautes comme trois fois la tour de Londres. Lev Ceylan aux claviers/platines et Scott MacDonald à la batterie pour assurer la marée, Will Rowland monte sur le baffle de basse pour surplomber une foule subjuguée par cette musique à la fois intime et brutale, organique et machinale, que l'on qualifiera au mieux de noise-pop parce qu'on n'a pas d'imagination, mais qui mérite assurément d'être entendue et que chacun s'en fasse son propre avis et son propre genre.


Entracte. Mise en place. Et vient maintenant la grande question. La batterie est toujours là. Des techniciens placent des claviers à gauche de la scène. Aucun message sur les réseaux sociaux n'indique un concert solo de Dana Margolin. Le groupe sera-t-il au complet ? Si oui, dans quel état ? S'apprête-t-on à assister au plus grand concert de l'histoire de Porridge Radio ou à un effondrement mental intégral en direct live ? Des questions par-dessus des questions, le riff de Satisfaction par-dessus l'entrée des musiciens au pluriel, et comme les pierres roulent Sam Yardley s'installe derrière sa batterie, Dan Hutchins rallume l'ampli de sa basse, Dana Margolin passe sa guitare sur son épaule, et derrière la masse de claviers, Rosemary Moss et non Georgie Stott tourne ses partitions dans un mélange de stress et de concentration, pour son tout premier concert avec le groupe, enchaîné depuis sa toute première répétition avec le dit groupe. Alors, comme un symbole, on commence par Sick Of The Blues, comme un appel aux grands dieux de la musique que les choses se passent, que la vie reprenne son cours, et qu'à la fin ne reste que la terrifiante distorsion d'une voix et d'une guitare, hurlant dans la nuit noire qu'elle aime de nouveau, la vie, sa vie, et ce même dans les pires moments.

Ainsi, c'est un groupe souriant, résiliant, heureux d'être là et d'en revenir à la musique, qui lance dans des torrents de basse, charriant des notes brillant comme de l‘or, l'autre single A Hole In The Ground. L'hiver prend fin et commence le printemps, Dana rayonne et crève d'émotion, Rosemary garde nerveusement les yeux sur le groupe, ses notes, ses touches, mais le regard du capitaine maintient le cap et le bateau arrive à bon port. Quel port, on ne saurait dire, car comme le dit la chanson I Got Lost, le temps de dire au revoir à Rosemary pour quelques titres, celui précité étant joué à trois avant que le reste du groupe ne rejoigne lui aussi les coulisses, nous laissant seul à seul avec un ange armé d'une guitare, et ce ne sont pas les métaphores qui manquent pour décrire ce qui va suivre, mais aucune ne serait assez belle ni assez puissante pour décrire ce qui pourtant tient sur ma feuille en quatre lettres : Dana.
Dana Margolin en solo le temps de quatre chansons, et Jealousy qui déchire le tableau en noir et blanc peint par la scène à mesure que se rompent les cordes vocales, à mesure que Trying essaye tout ce qu'elle peut en sachant qu'elle ne peut pas, quand Dana chante les parties de clavier, et nous avec, et qu'on essaye de se dire que tout va bien, mais tout ne va pas bien. Sleeptalker, tu rends ça si facile de t'aimer, et même si les larmes viennent déjà, on reste si chanceux de te connaître, avant de conclure l'arc solo par l'inédite Don't Want To Dance, pour laquelle Dana s'y reprendra à deux fois, entrecoupée par un anglais qui braille, elle qui répond « quelqu'un peut lui dire de fermer sa gueule ? », suivi d'un « ta gueule ! » du fond de fosse qui soulagera tout l'auditoire.


Merci de me rendre heureux, merci de me rendre heureux, hurle-t-on à s'en crever la voix, au groupe revenu à trois pour Born Confused, déroulant Pieces Of Heaven sur un tapis de nuages rouges, commencée dans une brisé d'été, conclue sous les orages d'un brûlant mois de juillet, avant le retour de Rosemary Moss et le bouquet final du nouvel album. Anybody en format participatif, recommencée dans la bonne humeur parce que la claviériste a perdu le tempo, offrant au public sa chance de faire les chœurs, envoyant des milliers de pensées vers Georgie et son entourage, avant qu'une ultime décharge de guitare ne vienne noircir le sol du Trabendo au son du tonnerre. Et comme Dana Margolin est la déesse de tout le reste mais aussi de la foudre, celle-ci tombera trois fois au même endroit, quand Lavender Raspberries et God Of Everything Else déchirent à nouveau le ciel, jetant de celui-ci des vagues de Porridge Radio sans nul besoin de savoir où nous sommes, car nous sommes là, juste devant, à attendre, regardant un groupe mal préparé s'écharper à contenir un raz-de-marée de cris et de pleurs, rigolant et parlant mais ne souhaitant que crier, hurler Back To The Radio avant que les lumières ne s'éteignent... pour ne plus jamais se rallumer ?

Quand même pas, alors Dana revient en solo pour un peu plus de « vieilles » chansons, Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky d'abord, puis une foire aux demandes du public délibérée sur Birthday Party, chanson que Dana nous avoue détester jouer, principalement par superstition et par nécessité de voir un psy après avoir autant crié ne pas vouloir être aimée. Mais c'est trop tard, beaucoup trop tard, car c'est un Trabendo tout entier qui est tombé amoureux ce soir, s'il ne l'était pas déjà, et qui pleure et qui hurle et qui saute alors que Sweet décharge sans retenue toute l'électricité statique encore piégée dans la salle, au cours d'une soirée comme nous n'en vivrons sans doute plus jamais. Une soirée inoubliable sortie des tripes d'un groupe inoubliable, qui loin de se laisser abattre par la vie a brandi haut sa guitare et tenu bon sur la route, prouvant une fois pour toutes que Porridge Radio est une tornade musicale inarrêtable, balayant les cendres jonchant la terre brûlée jusqu'à les emmener plus haut que le ciel lui-même.

Et d'avoir cité sans retenue Dana Margolin, il était juste de lui laisser le dernier mot de cette chronique qui, si elle ne restera pas dans l'Histoire restera pour toujours dans la mienne : je trace une ligne de ma tête jusqu'au ciel, je suis une marionnette, les nuages tous chantent pour moi, je suis l'asphalte, et jamais je ne mourrai.
setlist
    Ebbb
    Non disponible

    Porridge Radio
    Sick Of The Blues
    A Hole In The Ground
    I Got Lost
    Jealousy
    Trying
    Sleeptalker
    Don't Want To Dance
    Born Confused
    Pieces Of Heaven
    Anybody
    Lavender, Raspberries
    God Of Everything Else
    Back To The Radio
    ---
    Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky
    Birthday Party
    Sweet
photos du concert
    Du même artiste