Chronique Single/EP
Date de sortie : 21.02.2025
Label :Secretly Canadian
Rédigé par
Adonis Didier, le 19 février 2025
Tu sais jamais quand c'est fini. Et un matin, tu te lèves, et elle te dit qu'elle ne t'aime plus. Et un soir, tu rentres chez toi, et quelqu'un t'appelles pour te dire que tu ne verras jamais plus quelqu'un d'autre. C'est fou quand même, on s'imagine que ça durera tout le temps, et puis un jour ça casse. Et tu réalises que tout casse, même ce qui devait être invincible. Les gens, les sentiments, ton chat, ton chien, ton groupe préféré. Pourquoi ? Pour rien. Alors tu ouvres un placard, et tu sors une pile d'assiettes, et quand elles explosent une à une sur le carrelage sale d'une cuisine plus nettoyée depuis des mois, au moins tu sais pourquoi. Parce que tu es triste. Triste à en crever, et ce serait bien si seulement la tristesse tuait. Mais non. Le cœur se brise et continue à pomper, et comme un bol brisé sur un carrelage sale, il fuit mais il te laisse vivre, et tu te dis que tu aurais pu en faire plus, que tu aurais pu en vivre plus, si tu avais su que c'était la dernière. Mais tu ne sais jamais que c'est la dernière, et quand tu le comprends, tu te dis que ce n'est peut-être pas fini, qu'avec un peu de colle, quelques vis, un bout de scotch... Mais on recolle pas les gens, ni les sentiments, ni jamais vraiment les groupes de musique.
Pas besoin d'en parler, pas besoin d'en pleurer toutes les larmes de son corps, nous souffle déjà Dana Margolin comme s'il suffisait d'y croire. Et pourtant la rumeur court, court à perdre haleine, déjà ses poumons brûlent mais elle continue, déjà ses jambes se fondent dans une mare d'acide mais elle continue, jusqu'à son but et enfin arrivée s'effondre dans un cri flouté de violets et de bleus saturés : Porridge Radio est mort, vive Porridge Radio. Elle ne veut pas danser, mais elle continue à danser quand même, et je ne veux pas écrire, mais je continue à écrire quand même. Car il est des chroniques que l'on aurait voulu ne jamais écrire, et en même temps, ces chroniques on ne les aurait laissées à personne. Parce que c'est la dernière, et que normalement on ne sait jamais quand ce sera la dernière. Mais là on le sait, et ce sera la dernière.
Comme normalement on ne sait jamais quand ce sera la dernière, on ne sait pas trop comment réagir, comment prendre la chose, alors on écrit des mots dans le vent, on écrit comme Keanu Reeves appuie sur une pédale d'accélérateur, pour ne pas que ça s'arrête, parce qu'on le sait, parce que pour la première fois, au moment de lever la plume, de taper d'un dernier doigt sur le clavier, ce sera la fin.Alors peut-être est-il seulement venu le moment de ne pas en dire plus, et de laisser au groupe le soin de signer comme il le souhaite son chant du cygne, un cygne traçant de ses grandes ailes de tissu bleu embrasées par la foudre une ligne pleine dans une mer de flou, rallumant d'un flash la machine, et la machine se mit à chanter.
The Machine Starts To Sing, quatre chansons tirées des sessions du dernier album Clouds In The Sky They Will Always Be There For Me et compilées pour raconter une nouvelle histoire, l'histoire de la fin des temps, la fin d'un monde et le début d'un nouveau, raconter en quinze minutes et en quelques mots le Ragnarök de Porridge Radio. Une apocalypse qui devait commencer quand la machine se mettrait à chanter : Machine Starts To Sing est une lugubre procession d'arpèges en noir et blanc menée par Dana Margolin, prise au piège de sa chambre et de ses cauchemars, d'une torpeur comme une camisole, qui à force de suffoquer finira par se débattre et frapper des mains à l'aveugle jusqu'à toucher une cymbale, puis une autre, et finalement d'un feu d'artifices électrique repousser la nuit noire jusqu'aux lueurs du matin.
Quelque chose s'est brisé dans l'entreprise, mais c'est OK, une chanson à la base prévue pour lancer la carrière solo de Dana Margolin qui symbolisera ici le début d'autre chose, les promesses de l'aube s'élevant par-dessus le cadavre encore fumant du monde tel qu'il était, et tel qu'il ne sera jamais plus. Don't Want To Dance, mais on continue à danser quand même, parce que c'est ce que font les gens qui ont survécu pendant que les autres ne s'en posent plus la question, et on chante, et on crie, toujours plus fort, avec au cœur l'espoir de percer les nuages de sa voix. Et comme le soleil continue à monter, que les rouges virent à l'orange puis au rose puis au bleu, nous vient le sentiment que tout n'est qu'une nouvelle journée qui commence, et que c'est peut-être notre jour de chance. I've Got A Feeling (Stay Lucky) conclut la carrière de Porridge Radio dans la dernière envolée magnifique d'un espoir mélancolique, inscrivant à la plume de phénix sur les ruines de l'arbre-monde que la fin d'une histoire n'est toujours que le début d'une nouvelle, que le jour succède à la nuit, que le printemps fleurit sur l'hiver.
Et voilà, comme ça, c'est la fin. On ne sait jamais quand c'est la fin, sauf que là c'est la fin, alors on aurait voulu écrire un truc classe, une grande phrase qui en jette, comme dans les films, quand le héros disparaît dans le soleil couchant. Mais aujourd'hui personne ne disparait vraiment, alors on souhaite juste à Sam Yardley, Dan Hutchins, Georgie Stott, et bien sûr Dana Margolin de les retrouver bientôt, ou pas, et qu'ils soient le plus heureux possible dans leur nouveau monde, un monde qui nait de The Machine Starts To Sing et qui s'achèvera on ne sait quand, on ne sait comment, sur une phrase qui en jettera sans doute infiniment plus que celle-là.