Dieu est amour, Dieu est mort, Dieu est dans la radio, Dieu est une chips à la crevette, Dieu est tout ce que vous voulez qu'il soit quand vous voulez qu'il le soit, et ce soir dans la grande basilique du Trabendo, Dieu est un astronaute. Un culte spatial voué à la personne de Thomas Pesquet (ou pas) nommé God Is An Astronaut, un trio d'irlandais qui font du post-rock instrumental depuis vingt-trois ans et désormais onze albums, venus jusqu'à Paris présenter leur dernier en date, Embers. Un album sur lequel deux chansons sont accompagnées par une violoncelliste londonienne du nom de Jo Quail, et devinez quoi, elle est avec nous ce soir !
Alors on accueille Jo Quail, et on l'applaudit chaleureusement sans trop savoir à quoi s'attendre, quand il n'y a posé sur la scène qu'un grand violoncelle électrique et un archet. On imagine le pire, le traquenard, des trente minutes de délire expérimental post-moderne qui semblent durer trois heures, servies par la cousine d'un membre du groupe à qui le dit membre du groupe n'a pas su dire non, à Noël devant mamie Jacqueline, quand elle a proposé de les accompagner en tournée. Mais contre l'imagination on reste, et quelle erreur on aurait fait de ne pas rester. Multipliant les enregistrements de boucles avec sa pédale loop station, Jo Quail est une femme forte, indépendante, chamanique et multi-tâche qui s'occupe de tout toute seule (une femme quoi), construisant sur un tapis de percussions tapées sur son instrument, rajoutant brique par brique de notes et de figures rythmiques, jetant du mortier par-ci, un peu d'enduit par-là, et qui en quelques minutes élève dans la fumée rouge une cathédrale sonore construite par des mains magiciennes, féeriques, rappelant au soleil et à la lune qu'ils n'existent que pour éclairer ses créations.
De longues montées en puissance instrumentales dédiées aux choses de la nature et des astres, la musicienne nous remercie du silence et de l'espace que le public laisse à son œuvre, les lumières de la salle font l'effet d'aurores boréales en plein Paris, et bientôt les danses tribales se transforment en fracas machinal et industriel quand se lance sa quatrième et dernière chanson, Forge. Des cordes distordues, des claquements, des pincements, des grincements, l'expérience sonore visse, frappe, soude, et rivette jusqu'à dresser dans le soleil levant la méca-thédrale, un final à la puissance divine, offerte par une religion qui n'existe pas encore. Le son passe de droite à gauche, tourne et se resserre jusqu'à nous englober, nous saisir, et nous projeter dans l'espace devant un dieu qui n'est pas qu'un dieu, car c'est aussi un astronaute.
God Is An Astronaut rentrent en scène de front, la batterie de Lloyd Hanney à notre gauche, Niels Kinsella et sa basse au milieu, et enfin son frère Torsten Kinsella à notre droite. Pas exactement un groupe de live, mais on savait à quoi s'attendre, les têtes sont baissées, les yeux rivés sur le pedal board, les visages cachés derrière des persiennes de cheveux noirs, et les notes récitent des mantras qui tournent en ronde jusqu'à la prochaine itération, toujours un peu plus lourde, un peu plus saturée. Des astronautes timides, introvertis, tapis dans des nébuleuses de fumées aux couleurs de l'infiniment grand, gigantesques poches de gaz stellaires à l'affut, prêtes à exploser au moindre clanchement de la pédale de distorsion, dévoreuses des thèmes connus et architectes de ceux qui restent à venir.
Des thèmes comme celui de Falling Leaves, dédié comme tout ce concert au père des frères Kinsella, leur plus fidèle roadie et admirateur, décédé il y a deux ans au moment de l'écriture d'Embers, suivi du titre le plus célèbre du groupe, All Is Violent, All Is Bright. God Is An Astronaut déroulent leur style post-rock instrumental à la fois lourd et aérien, évanescent, la fusée au polonium remplace le dirigeable de plomb, l'ère du progrès menée par les guerriers du silence se suicide dans les étoiles, et personne ne décrochera un mot jusqu'à la fin de Frozen Twilight et le retour sur scène de Jo Quail.
La géniale violoncelliste qui va donc accompagner le groupe pour le reste du concert quand Torsten annonce qu'il ne reste que deux chansons, deux chansons qui dans le référentiel de Jupiter veulent dire à peu près vingt minutes, et vingt minutes pendant lesquelles le groupe terminera la promotion du nouvel album par Oscillation et la chanson-titre Embers. Un long fleuve agité courant se jeter dans un rappel fait de deux chansons supplémentaires pour les fans de la première heure. D'abord Fragile pour la troisième de l'album préféré de la fanbase, All Is Violent, All Is Bright, et j'espère que c'est aussi votre préféré parce qu'on aura surtout entendu celui-là ce soir, et pour finir un retour aux sources et à cet album sorti en 2002 intitulé The End Of The Beginning. Le premier du groupe, et plus un début qu'une fin pour l'instant, quand vingt-trois ans plus tard explose dans les enceintes du Trabendo From Dust To The Beyond, supernova miroir d'une époque éteinte et morte dans laquelle trip-hop et astronautes n'étaient pourtant pas si distants. Un groupe qui a depuis orienté vers le métal et pour lequel les longues tirades de violoncelle font merveille, au cours d'un final flamboyant qui nous pousserait presque à en redemander, mais comme ça fait près d'une heure et demie qu'on s'enquille du post-rock instrumental, n'abusons pas des bonnes choses.
Car un concert de God Is An Astronaut est une aventure spatiale et solitaire, une confrontation intérieure faite de vide, de matière noire, et de la musique infinie de trois irlandais dessinant les courbes de l'espace-temps sur le corps de leurs instruments. Le genre d'expérience que l'on adore ou qu'on déteste, un voyage initiatique effaçant l'individu derrière le son et sa contemplation, et un tas de mots pompeux pour meubler une chronique live sur un groupe de post-rock. Un voyage rendu d'autant plus beau par la présence de Jo Quail en première et en dernière partie, et sans vous vendre que vous devez absolument voir ce groupe avant de mourir, sachez que l'espace est magnifique en cette saison, pour qui en apprécie la rudesse et les paysages.