Samedi 2 août. Nous voilà en plein milieu des vacances d'été. Nous entrons dans ces quinze jours de l'année où 90% des Français se battent pour quelques centimètres sur la plage afin d'y étaler leur serviette et où les 10% restants assurent la permanence dans les bureaux. Moments un peu lunaires où on ne croise (enfin !) personne dans les couloirs, où le téléphone ne sonne plus et où l'archivage des dossiers n'a jamais semblé aussi palpitant. Chez Sound Of Violence, pas de repos pour les braves ! A l'exception de notre vénéré Boss qui navigue en ce moment même sur les eaux turquoise du Pacifique dans son nouveau yacht acheté à la sueur du front de ses employés, votre média rock préféré reste alerte, et en attendant de retrouver les grandes scènes fétiches des festivals aoûtiens, c'est dans la campagne anglaise que nous nous mettons en jambe.
Le Royaume-Uni continue vaillamment de proposer des festivals où le rock à encore son mot à dire. Tout comme le End Of The Road testé et approuvé pour vous l'an passé, le Heritage Live, qui se partage entre différents sites tous aussi beaux que champêtres, propose des rendez-vous à taille humaine, très loin des énormes bulldozers vitrines de tel ou tel promoteur, exempt de tout partenariat commercial et surtout, à la cool. Avec son camping, son flot de chaises pliantes, attirails à pique-niques et plaids aux couleurs chamarrés, le Heritage Live se consomme tranquillement, en famille ou entre amis, évidement avec une pinte à la main et sous le climat toujours aussi incertain d'Angleterre.
Notre choix se porte sur la date du 2 août qui voit pas moins de trois groupes familiers de ces mêmes colonnes. Rendez-vous au Audley End House & Gardens, à Saffron Walden, Essex, dans un amphithéâtre naturel qui recèle une magnifique demeure qui a appartenu à tout un tas de nobles au fil des siècles. Le site dégage cette splendeur typique et bucolique des grands domaines anglais, et offre une capacité d'accueil de presque 15 000 personnes. En tête d'affiche, nous retrouvons les Manic Street Preachers, à qui votre chroniqueuse a prêter allégeance il y a fort longtemps, suivis de The Charlatans, groupe phare de la scène Madchester qui continue de demeurer plus que discret en France. Enfin, ce sont les sympathiques Ash qui terminent ce line-up de haute volée et ces derniers auront donc comme mission d'entamer les hostilités dès 17h pétantes.

Avec un nouvel album à paraitre dès le mois d'octobre,
Ash ouvrent le bal et vont durant une heure faire le bonheur des spectateurs qui ont grandis en même temps qu'eux. Cela fera bientôt trente ans que nous avons découvert le groupe en provenance d'Irlande du Nord avec
1977, premier album composé d'une série de tubes power pop qui n'ont absolument pas pris une ride depuis. Le trio n'a jamais cessé d'exister, et surtout n'a jamais dénaturé le style qui est le sien, soit un punk rock pétillant, adolescent, hyper fun et indémodable. Pas évident de continuer à faire danser les gamins la cinquantaine fraîchement installée et, pourtant, Tim Wheeler, Mark Hamilton et Rick McMurray (ce dernier étant le premier à franchir le fameux cap cette année même) ont réussi à garder leurs esprits de mômes délurés sans jamais tomber dans la parodie.
Le set est construit autour d'une setlist Best Of venant piocher dans toute leur discographie avec, selon le titre interprété, le logo du groupe qui orne l'album auquel la chanson appartient. On retrouve Tim toujours aussi seyant et souriant, Mark qui continue de manipuler sa basse telle une mitraillette, à grand renfort de moulinets et de poses extravagantes et Rick, affublé d'une casquette et aux longs cheveux et barbe grisonnants, un petit air grunge années 90 qui nous rappelle que Ash demeure un des grands groupes indie de cette brillante décennie. Les tubes s'enchainent, les logos aussi, quelques nouveautés nous sont dévoilées et, comme pour souligner leur héritage, Tim de tenter un petit sondage pour savoir qui parmi les spectateurs serait éventuellement né au XXIème siècle. C'est donc face à une petite vingtaine de mains levées que Tim aborde le final du concert avec les deux énormes hits que sont
Girl From Mars (qui fête ses trente ans d'existence cette année) et
Burn Baby Burn, confirmant que malgré les années, Ash ont réussi à garder intacte leur formule de jouvence, pour notre plus grand plaisir.

Continuons notre voyage dans le temps avec
The Charlatans. Encore une histoire d'amour jamais totalement consommée avec la formation de Tim Burgess, et pourtant, nombreux sont les petits français à adhérer à la pop si caractéristique du groupe, et ce depuis 1990. Ayant fait les beaux jours de la Britpop et faisant parti du fameux club des groupes étiquetés « Madchester » car mené par le Salfordien Tim Burgess, c'est une discographie sans faute que le groupe à produit, avec son lot d'énormes tubes et malgré une histoire personnelle dramatique. En 2025, cela fait huit ans que nous attendons un nouvel album. Nos vœux ont enfin été exaucés, le prochain disque de The Charlatans nous est annoncé pour le 31 octobre par un Tim Burgess ranimé par cette flemme qui le caractérise si bien. En attendant, Tim, Mark Collins, Tony Rogers et Martin Blunt, accompagnés par Peter Salisbury à la batterie nous offrent à leur tour un petit Best Of issu de leur excellent répertoire. Une heure de morceaux virevoltant entre acid pop et groove, avec le son si emblématique des claviers psychédéliques, un public qui reprend quasi par chœur les paroles, le tout mené par un Tim Burgess sur qui le temps n‘a également aucune emprise.
Tim est indéniablement le fer de lance de la formation. On le retrouve donc avec son sourire de gamin aux lèvres, à venir saluer ses fans dès la moindre occasion, avec un retour aux cheveux foncés, ce qui n'est pas pour nous déplaire très personnellement, la coupe de cheveux de Tim Burgess déclenchant à elle seule des colonnes entières de commentaires sur les réseaux sociaux, que ce dernier maitrise parfaitement. C'est évidement avec son iPhone que Tim arrive sur scène, pour filmer ses admirateurs qui le lui rendent bien, et qui se met avec une facilité confondante le public dans la poche, grâce à une incroyable série de tubes tels
Weirdo,
One To Another,
The Only One I Know et
Sproston Green (où il quitte traditionnellement la scène pour laisser finir ses amis sur un final instrumental démentiel). Nous pouvons dès lors entendre en avant-première le nouveau single
We Are Love qui n'augure que du bon et nous croisons très fort les doigts pour que The Charlatans viennent nous présenter leur disque en France, après leur dernière prestation en 2018 à la Maroquinerie de Paris.

Nous sommes en Angleterre, il est donc normal que les températures opèrent une chute vertigineuse dès le couché du soleil. C'est donc avec un petit 14 degrés au compteur et notre coupe-vent de compétition que nous abordons la dernière ligne droite de cette soirée avec ceux pour qui nous ne comptons plus les notes de frais d'Eurostar, de trains, d'hôtels, de taxi, voire même d'avion dans les cas les plus ubuesques. Nos chers gallois les
Manic Street Preachers continuent de faire la joie de nos voisins britanniques chaque été avec une large série d'apparitions dans divers festivals, et étant semble-t-il toujours fermement décidés à ne pas faire étape dans l'Hexagone, nous allons donc une nouvelle fois jusqu'à eux. Cette soirée apparait d'autant plus alléchante que le site, avec le magnifique manoir en guise de décor, nous semble absolument parfait pour savourer la longue liste de tubes que détient le groupe depuis plus de trente ans maintenant.
Toujours sous le coup de la tournée liée à la sortie de
Critical Thinking en janvier dernier, et à la suite des rendez-vous que nous avons honoré à Londres et à Manchester au printemps dernier, retrouver James Dean Bradfield, Sean Moore et Nicky Wire en format festival est l'assurance d'une setlist ultra Best Of durant une heure et demie. Toujours accompagné de Dave Eringa et Wayne Murray, le groupe sélectionne seulement deux titres du dernier album (
Decline & Fall et
Hiding In Plain Sight, chantée par Nicky et qui invite une nouvelle fois sur scène à cette occasion Lana McDonagh) pour ainsi dérouler une série passant de classiques indéboulonnables (
ADesign For Life, You Love Us, If You Tolerate This Your Children Will Be Next, confettis inclus) à morceaux un peu plus rares et tout aussi réussis tels
Autumn Song,
She Is Suffering issu du mythique album
The Holy Bible et du bouleversant
Ocean Spray, un des seuls morceaux dont les paroles sont composées entièrement par James Bradfield, à propos de la maladie qui a emporté sa mère à l'époque. Le concert verra toutefois la toute première interprétation en live de
Union City Blue de Blondie, dédicacée à la mémoire de Clem Burke.

Malgré un set très carré, James et Nicky continuent de s'adresser à de nombreuses reprises à leurs fans plus que fidèles (on recroise avec plaisir les mêmes sympathiques spectateurs au premier rang qu'au printemps, mais comment font-ils pour ne jamais se rater ?), et nous sommes alors ravis de retrouver un James avec le genou de nouveau fonctionnel, pouvant ainsi nous régaler de ses traditionnels et toujours incertains petits sauts de cabri, qui donnent tout leur piquant au set. Les paillettes fusent tout autant des vestes que des poches de pantalons de Nicky quand ce dernier les jette lui-même sur scène, et les morceaux continuent de s'embellir grâce à de très belles projections vidéo, avec incrustées les paroles de certains refrains les plus caractéristiques sur les portraits de Richey Edwards.
Particulièrement à l'aise face à de grandes audiences en plein air, le groupe semble démultiplier son charisme de date en date, et malgré des tournées marathons, l'efficacité est immanquablement au rendez-vous. Un concert des Manic Street Preachers est donc une valeur sûre, et reprendre en chœur les morceaux devenus des hymnes, avec quelques milliers de spectateurs autours de vous, rend ces instants inoubliables.
Ainsi s'achève cette journée au Heritage Live, nous voilà donc partis pour quarante minutes à traverser les champs et la petite ville de Saffron Walden pour regagner nos peinâtes, les taxis locaux ne suffisant pas à raccompagner tous les festivaliers en goguette. C'est évidement le cœur léger et les jambes en coton que nous quittons le magnifique domaine d'Audley End, heureux d'avoir vécus à nouveau l'expérience du festival « à l'anglaise », dans une ambiance décontractée et chaleureuse, tout en saluant tous les festivaliers avec qui nous avons fait connaissance, prouvant que les anglais et les français s'entendent à merveille surtout assis dans l'herbe, avec une bonne bière et de l'excellente musique pour les réunir.