Chronique Single/EP
Date de sortie : 07.10.2022
Label :Jazz Life
Rédigé par
Adonis Didier, le 7 octobre 2022
CIEL, mon mari ! Enfin, on attendra peut-être un peu pour les épousailles, ou même pour les fiançailles. Mais oui, on ne va pas se le cacher, on a un peu craqué devant ce joli minois encore frêle, ce corps svelte, jeune, et glabre, et ce petit clin d'œil taquin suivi d'un baise-main bien à propos, parce que main à l'envers ça fait niam, et quand c'est deux fois ça fait niam-niam. Deux, comme le nombre de fois où le trio Brightonien de CIEL nous aura très gentiment envoyé au septième CIEL sur ce désormais deuxième EP, fruit défendu d'un effort réalisé avec Steven Ansell à la production, ses Blood Red Shoes ayant d'ailleurs recruté le groupe pour assurer la première partie de leur tournée UK au mois de juin.
Mais n'allons pas trop vite en impudences, et coincés que nous sommes maintenant entre le théâtre et le boulevard, prisonniers d'un calembour qui ne tient ni du camembert ni du tambour, il serait peut-être temps de faire les présentations. CIEL, parce que ça s'appelle comme ça, c'est un groupe qui s'est tout d'abord formé à Brighton, Angleterre. Et comme Brighton c'est aussi et surtout la mer, sur la mer, c'est bien connu, il y a aussi des espagnols et des hollandais.
On parle donc ici d'un groupe à trois, trois nationalités, trois individus, avec tout d'abord la néerlandaise Michelle Hindriks, fondatrice, compositrice, chanteuse, précédemment passée par le groupe de dream pop batave Sväva, et désormais aussi bassiste depuis le départ de Kieran Mansfield en 2020. Vient ensuite Jorge Bela – avec sa frange et son beau mulet blond – Jimenez, guitariste hypnotique et espagnol notamment inspiré par Black Marble, qui rencontre Michelle à Brighton autour de 2018 et de quelques démos écrites et enregistrées par celle-ci. On termine par Tim Spencer, batteur anglais sortant de ses études de musique à l'université du Sussex, et présent depuis pas mal de temps sur la scène de Brighton à travers du big band, et les groupes de grunge ou post-rock King Smo puis Tundra Love.
Regroupés par leur amour commun d'artistes tels Blonde Redhead, Cate Le Bon, Broadcast, ou l'éternel Nirvana, le groupe de trois monte au CIEL, qu'ils définissent eux-mêmes comme de l'alt-pop, mais pour des besoins de compréhension on parlera ici de shoegaze un petit peu grunge. Si vous suivez régulièrement les coups de cœur de Sound of Violence, vous rapprocherez vite leur travail de celui des galloises d'Adwaith et leur sublime Bato Mato, album rock et éthéré du mois de juin. Un même esprit de côtes britanniques, vertes et battues par les vents, quoique le tout sonne ici légèrement plus sombre et urbain que chez Adwaith, car le CIEL est parfois bien menaçant outre-Manche.
Passons aux chansons, et Fine Everything, premier single de l'EP, nous accueille sur une formule couplet calme / refrain furieux chère aux Pixies. Les couplets évoquent, perdus dans les coups de toms et le chorus omniprésent, écrasés par la pression sociale, le patriarcat, les relations toxiques, le tourment d'une frustration grimpante, que le refrain se charge de balayer à grands coups de « je vais bien, tout va bien ». La guitare, à peine perceptible, tissant faiblement dans l'ombre au moment du couplet, passe alors devant absolument tout le monde, envoyant à la chaîne des lames de rasoir dans le papier peint trop parfait, grattant le vernis avec ces petits licks de guitare, matérialisation sonore et géniale du songwriting de Michelle, merci Jorge.
Baby Don't You Know continue le défrichage dans les relations unilatérales tout en nous faisant découvrir la belle palette vocale de Michelle, venant flirter sur la ligne de Bilinda Butcher et My Bloody Valentine lors de ce refrain gigantesque et haut perché. Far Away tranche carrément dans le vif, en poussant à fond la saturation et l'esprit grunge dans le refrain, comme savent si bien le faire les Breeders. Enfin, Not In The Sun, Nor In The Dark, chanson-titre de l'EP, développe plus longuement, autour d'un shoegaze hypnotique, la voix et les obsessions de Michelle, ainsi que les textures musicales denses, en quasi-relief, chères à My Bloody Valentine, plus tard à Black Rebel Motorcycle Club, et plus tôt aux Cocteau Twins.
De bien sympathiques galipettes sous les étoiles, donc, car le CIEL est dégagé, et l'espoir que l'on y voit brille très fort. Reste à transformer l'essai sur un album complet, pour peut-être se positionner dans les têtes de pont d'une nouvelle mouvance shoegaze venue de l'autre côté de la Manche. Autant vous dire qu'on a hâte, et sur ce, niam-niam !