Chronique Single/EP
Date de sortie : 07.07.2023
Label :Jazz Life
Rédigé par
Adonis Didier, le 6 juillet 2023
Non, aujourd'hui, point de blagues, et point de jeux de mots douteux sur le nom du groupe en tête d'article. L'heure est à la maturité, car il est temps de grandir, grandir et s'éloigner des sentiers battus, incorporer dans la formule désuète de nouveaux ingrédients, afin d'enfin devenir le meilleur dresseur... Vous l'aurez compris, je me suis encore perdu en chemin, et la maturité vantée ne concernera en cette heure indéfinie de la journée que CIEL, trio shoegaze multinational dont le deuxième EP Not In The Sun, Nor In The Dark avait déjà fait très bonne impression ici, et dont le passage au Supersonic en clôture de la Block Party il y a deux mois n'avait fait que confirmer le potentiel live de leurs chansons les plus agressives. Une multinationale composée de Michelle Hindriks au chant et la basse, from les Pays-Bas, de Jorge Bela Jimenez à la guitare from l'Espagne, a.k.a les voisins qui parlent trop fort et se couchent trop tard, et de Tim Spencer à la batterie, en provenance de Brighton et ses environs, ville dans laquelle exercent actuellement les trois musiciens.
Brighton, donc, et le label Jazz Life, appartenant à Blood Red Shoes, avec à la production Steven Ansell, batteur de ces derniers, et ce même si le précédent EP ne portait que très peu sa patte, pour un rendu excellent mais stéréotypé, les yeux braqués sur le manuel du shoegaze nineties pour les nuls. Un effort pour se lancer, un effort pour se mettre en confiance, et c'est toujours avec Steven Ansell aux manettes que CIEL repartent pour un nouvel EP, avec des intentions bien plus marquées, et une direction artistique traçant un pont de glace violacée entre 1993 et 2023.
Un pont très fortement ancré dans les années Édith Cresson, et on attaque évidemment par les fondations, des fondations nommées Somebody. Ça gratte de la guitare brillante et lo-fi, le refrain baigne dans la piscine d'écho, transition sonore de walkman cassette, et un résultat ultra efficace qui replongera les plus nostalgiques une trentaine d'années en arrière. Mais si on a autant parlé de Steven Ansell et de Blood Red Shoes, vous me voyez venir, c'est qu'il y a bien eu mariage, mélange, échange de liquides corporels, appelez-ça comme vous voulez, car le divin enfant est né et bien né.
Dès So Scared, la musique de CIEL se pare de la lourdeur électro indus qui caractérisait GHOSTS ON TAPE, dernier album mitigé et surpuissant des chaussures rouges de sang. Mais là où Steven et Laura-Mary avaient abusé et noyé toutes leurs compositions dans une gelée bleue nuit de vrombissements électroniques (il n'y a qu'à écouter la version acoustique de MURDER ME pour comprendre que la gelée anglaise, tout est mieux sans), la musique naturellement aérienne de CIEL ne s'en trouve que renforcée, pleine, appréciant enfin pleinement un corps d'adulte formé, musclé, à même de défoncer un mur de briques à coups de poings, parce que vous le savez bien, vrai homme manger cailloux. So Scared s'étire ainsi lentement, vaporeuse et menaçante, planante et pesante, dirigeable de plomb survolant les vicissitudes des relations sentimentales. Une chanson qui se serait arrêtée là il y a quelques mois, mais il n'est plus l'heure d'avoir peur, et c'est un pont final à l'efficacité stupéfiante qui reprend le contrôle de sa vie, et embraye vers Make It Better.
Du CIEL classique mais surboosté, l'oisillon est devenu un avion de chasse, Michelle ne se plaint plus de ses amours, elle leur souhaite bon vent, une maturité totale, une synergie dans la mue, tant humaine que musicale, qui trouve son point final dans Jealousy. Couplet calme nageant dans l'écho, refrain bodybuildé dopé aux vrombissements de carcasses métalliques, et une transition ne laissant que Michelle et le démon des infrabasses en tête à tête pour un drop de refrain piquant dans les meilleures recettes de DJ dubstep afin de n'en garder que les meilleures deux secondes trente.
Contre toute attente, le CIEL a bien grandi, et s'est alourdi jusqu'à nous tomber sur la tête dans un fracas qui, une fois mis sur bande, représente sans conteste la sensation shoegaze de l'année. Ne reste maintenant qu'un pas jusqu'à devenir pleinement adulte, et si l'on force autant pour avoir un album, c'est uniquement parce que quelle que soit finalement l'attente, elle ne sera que bien trop longue à nos oreilles.