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Noah And The Whale

The First Days Of Spring

Noah And The Whale - The First Days Of Spring
Chronique Album
Date de sortie : 31.08.2009
Label : Mercury
45
Rédigé par Kris, le 7 septembre 2009
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Les amours et désamours. Sujets d’inspirations intarissables dans l’art, on ne compte plus les œuvres qui y ont été consacrés – notamment en musique. Que ce soient la rencontre, les premières fois, les passions, les apogées, les divergences, rien ne prend pourtant autant d’ampleur que les ruptures. Cependant, celles-ci font souvent figure d’anomalies dans l’ordre établi des choses. Elles font mal, elles déchirent, elles pleurent leurs sentiments. Parfois dures, parfois éprouvantes, finalement émergent de cette masse confuse les chefs-d’œuvres ; ceux qui subliment par l’art, ceux qui transcendent l’abstraction d’une beauté absolue. Pourtant de Dylan (Blood On The Tracks) à Kanye West (808's & Heartbreak), en passant par Beck (Sea Change), les plus grands artisans nourris d’une passion perdue, ont mis en œuvre des albums et chansons prenant comme thème central la rupture en elle-même, que ce soit ses prémices (Rumours de Fleetwood Mac) ou ses conséquences (13 de Blur). Bien peu néanmoins auront comme Noah And The Whale et leur First Days Of Spring porté tel intérêt, et surtout magnifié son épilogue et ses perspectives.

The First Days Of Spring est un projet musical, mais est également décliné sous forme de film de cinquante minutes, venant compléter cet album. L’influence du cinéma est justement extrêmement présente au sein de ce nouveau Noah And The Whale. Le groupe, grand amateur de films – leur nom faisant d’ailleurs référence au réalisateur Noah Baumbach –, délivre tout au long de l’album différentes mises en scène, différentes ambiances. A ce niveau-là, contrairement à leur premier album, The First Days Of Spring bénéficie d’un véritable travail de cohérence et d’évolution. Pensé comme une œuvre complète, et non plus comme un ensemble de chansons mises bout à bout, cet album met en place tout du long divers environnements (rythmes, instruments, compositions) permettant à l’auditeur une immersion dans les climats instaurés au fur et à mesure. De plus, l’album est brillamment découpé en trois actes s’emboîtant et s’enchaînant parfaitement les uns avec les autres, nous faisant parcourir un cheminement irrésistible.

Lentes et allongés, les chansons de l’album s’étendent, et répètent parfois les mêmes motifs, pour laisser s’imprégner les images. Bien qu’abstraites, celles-ci se laissent visualiser aisément, laissant découvrir la palette de sentiments à atteindre, dépeignant par touches légères ce développement. Tandis qu’en fond s’installe le décor, Charlie Fink nous parle de son histoire, de sa rupture d’avec Laura Marling qui a inspiré en grande partie ses nouvelles compositions. Interlocutrice fantasmée de Fink, à qui il adresse ses pensées et ses regrets, son aura sera omniprésente. Le premier acte de l’album sera justement écrasé par le poids de cette présence. The First Days Of Spring s’ouvre donc sur les lendemains de cette rupture.

Acte 1 : Elle.

C’est dans cet état de confinement nourris de regrets et de mélancolie que se pose le postulat de départ, rappelant la déchéance du personnage de Paul dans le film Dans Paris de Christophe Honoré. Fink lui partage cette même apathie, cette même tourmente passéiste glissant symptomatiquement vers une dépression certaine. Il partage également cette austérité, ce décor gris qui se déroule progressivement en arrière-plan. Alors qu’Honoré en profitait pour tirer sa révérence à la Nouvelle Vague, Noah And The Whale se laissèrent largement influencer par la vague américaine de sadcore apparue dans les années 90, représentée par Smog, Low ou Bonnie Prince Billy. Se prêtant parfaitement à l’exercice, ces influences nouvelles permettent à Fink d’étaler sur Our Window ou My Broken Heart le poids de ses maux. Puis vint l’illumination.

Acte 2 : Nous.

Dès les premières notes glorieuses de la trompette d’Instrumental I, en ouverture de second acte, puis ces dévalements de blanches et de noires, l’on a compris que la narration venait de prendre un tournant insensé. De ces lourds nuages se dégage alors une éclaircie flamboyante. Sans prévenir, la crise venait de passer. Rétroactivement, on aura remarqué que le refrain de Blue Skies était chanté dès la fin d'Our Window, comme un clin d'œil prémonitoire. Le ciel bleu était en effet revenu, et prend à contre-pied les structures narratives habituelles, révélant finalement la nature adolescente de cette histoire de cœur. Si les grandes ruptures amoureuses racontées deviennent toujours des tragédies universelles (l'egotique rageur de Pretty Hate Machine de NIN par exemple), Fink possède ici la lucidité de relativiser sa propre condition. Celui que l’on croyait martyr se révèle finalement bien plus mature qu’escompté. La prise de conscience de la futilité amoureuse semble alors se révéler à la fois chez Noah And The Whale comme chez l’auditeur, faisant glisser les instrumentations lentes vers des compositions beaucoup plus familières, plus chaudes et plus avenantes. Preuve en est, ce rythme effréné adopté par Love Of An Orchestra, mais surtout l'ajout de chœur, la présence de chaleur humaine, de cette solidarité sortant Fink de cette torpeur dans laquelle il s’était empêtré. L’euphorie trouvera son apogée, dans ces tintements de clochers sur Instrumental II, référence à la clairvoyance finale de Breaking The Waves de Lars Von Trier, avant de retomber dans une réalité reprenant ses droits…

Acte 3 : Toi. Moi.

Après l’avoir oublié quelque temps, le spectre de son bonheur passé refait inévitablement surface. Tout cela commence néanmoins dans un contexte légèrement différent. Fink coupe dans ce troisième acte la relation exclusive qui s’était construite entre lui et le spectre de son ancien amour, en incluant désormais des intermédiaires (une amante occasionnelle sur Stranger, les chœurs sur Blue Skies), pour s’introniser désormais dans un monde où il pourra vivre en paix avec son passé (My Door Is Always Open). Noah And The Whale a voulu construire avec The First Days Of Spring un immense album, détournant références musicales et cinématographiques à leur propre dessein. Cette virtuosité et cette insolence, malgré une plume encore perfectible, prennent d’autant plus tout leurs sens ici, au sein de ce grand album romantique et mélancolique. La grande force de The First Days Of Spring réside dans cette clairvoyance incroyable, cette transparence sentimentale dont fait preuve Charlie Fink, révélant une transcendance artistique prévalant sur sa propre déchéance. Dans cet interstice entre la joie et la peine, entre la passion et la raison, le souffle chaud de Noah And The Whale vient délicatement s’apposer sur toutes nos plaies, à chacun de nous et nous rappeler que oui ; l’amour, comme le désamour, est essentiel.

“You can't be wise and in love at the same time.” disait Bob Dylan. En effet, on ne peut pas. Et c’était pour le mieux.
tracklisting
    01. The First Days Of Spring
  • 02. Our Window
  • 03. I Have Nothing
  • 04. My Broken Heart
  • 05. Instrumental I
  • 06. Love Of An Orchestra
  • 07. Instrumental II
  • 08. Stranger
  • 09. Blue Skies
  • 10. Slow Glass
  • 11. My Door Is Always Open
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    The First Days Of Spring, Love Of An Orchestra, Blue Skies
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