A quelques mois près sortaient à la fois le premier brûlot de
Fuck Buttons, le mirifique
Street Horrrsing, et le troisième film du réalisateur thaïlandais
Apichatpong Weerasethakul,
Syndromes And A Century. Film lynchien, aux tenants et aux aboutissants flous et ambigus, l’essence du cinéma de Weerasethakul résidait dans l’interaction du monde avec son environnement, aussi bien spatial que temporel. L’histoire du monde n’était qu’écho de son propre passé, tandis que l’homme dans son devenir n’était qu’une résultante des faits d’un univers chaotique, mais n’étant jamais celle des calculs obscurs du hasard. Le point qui nous intéresse le plus ici, et qui se révèle le plus parlant, est la manière dont Weerasethakul présentait l’évolution de cette humanité résiduelle, la plongeant et la diluant tour à tour dans des environnements organiques, naturels, désuets, puis dans des ambiances en substance post-moderne, froids, métalliques. Si à l’écoute de
Street Horrrsing, jouant clairement sur la face organique, le parallèle ne s’était pas révélé évident, c’est bien parce qu’il manquait une pièce au puzzle qu’établissait le duo anglais. La clef est bien
Tarot Sport.
Exit les voix saturées, les cris hystériques, la tribalité de
Street Horrrsing.
Tarot Sport se pose quelque peu comme une anti-thèse du premier album de Fuck Buttons. Plus languissant, plus propre, moins déconstruit, moins viscéral. Dès l’ouverture pharaonique de
Surf Solar, les plans annoncés pour la suite sont imposés d’entrée. L’arrivée d’
Andrew Weatherall (
Two Lone Swordsmen) derrière les manettes est bien évidemment loin d’être étrangère à ce revirement flottant, mais fondamental. Weatherall, par son expérience et ses influences, est venu apporter un support bien plus encadré pour Andrew Hung et Benjamin Power. Inconsciemment, probablement avant même qu’une quelconque idée de l’album n’ait été imaginé, cette rencontre seule a imposé la ligne directrice de ce qu’allait devenir
Tarot Sport. Ce sens de la structure, de la conscience des limites, est très présent tout au long de l’album.
Construit comme un album opaque et cohésif,
Tarot Sport est cependant moins dense que son prédécesseur. Les longues plages espaçant le milieu de l’album (
The Lisbon Maru, Olympians) témoignent d’une architecture réfléchie en amont. Fuck Buttons évolue ainsi vers une électronica plus mélodique, plus recherchée, néanmoins bien plus classique. Les fortes envolées de
Surf Solar et
Rough Steez viennent donc s’échouer sur les rives moins agitées, plus stables également de compositions rappelant les sonorités proposées par Weatherall sur
Screamadelica de
Primal Scream. Ce lissage des certaines pistes vient alors surmonter le tranchant de l’indus
Rough Steez, ou surtout de l’essentielle
Flight Of The Feathered Serpent, envolée formidable de Hung et Power, toute en force et fol espoir. Si l’on peut regretter toutefois la folie non contenue de
Street Horrrsing, Tarot Sport fait évoluer l’œuvre globale des Fuck Buttons.
Avec
Street Horrrsing, Fuck Buttons nous emportait tous dans nos recoins privilégiés spécifiques, nous transportait dans un monde rien qu’à nous. Avec
Tarot Sport, ils se sont chargés de nous élever chacun vers la même destination. Diptyque d’une rare qualité et intensité, ces deux albums agissent en écho l’un de l’autre, faisant résonner indéfiniment nos sensations poussées à leur paroxysme. L’un représentant la vie, l’autre sa substance, chacun étant un syndrome péremptoire d’un début de siècle marqué par l’inclusion sans bornes d’un riche passé (Weatherall) à cette sensation libératrice néanmoins tétanisante d’un chaos souverain. Fuck Buttons, comme Weerasethakul, comme Lynch, comme Malick, comme Animal Collective, comme The Field, demeure un des témoins particuliers et privilégiés de ce monde qu’ils se plaisent à contempler et à récréer à l’infini.