The Staves

C'est un des maux de l'époque, la forme l'emporte trop souvent sur la substance. Et c'est un peu ce qu'on aurait pu reprocher aux musiciennes de The Staves le temps de leurs deux premiers albums. Groupe hautement instagramable s'il en est, The Staves était-il malade de son temps ? Ou allait-il savoir se réinventer ?

The Staves, ce sont trois sœurs, chacune chantant. De prime abord, elles nous en mettent plein les oreilles avec des harmonies vocales au cordeau. Ça chante très bien, c'est beau, c'est cosy. Comme si Crosby Stills and Nash avaient troqué les buvards de LSD pour des sachets de thé. On aurait aussi pu penser à une version édulcorée de Fleet Foxes, ou un First Aid Kit sans le charisme ni la personnalité. Erreur !
Plutôt que répéter cette formule tournant à vide, The Staves rangent la country au vestiaire. Et signent avec The Way Is Read une mue spectaculaire, à contre-courant de toutes les tendances musicales actuelles.

Pour cette nouvelle livraison, les trois sœurs semblent regarder du côté d'Agnès Obel. Ou de Philip Glass pour ces motifs répétitifs et entêtants comme sur The Way Is Read ou Take Me Home. Le tout en conservant la signature de leurs somptueuses harmonies vocales.
Au cœur de ce projet, une collaboration avec l'ensemble de musique contemporaine new yorkais, yMusic. Ce sextuor de vents, bois et cuivres a collaboré avec plusieurs grands noms de la musique pop, tels que Paul Simon, Ben Folds, Jose Gonzalez ou The Tallest Man On Earth. Sans jamais pour autant abandonner leur ambition d'innover pour repousser les limites de la grande musique.

En se plaçant ainsi à l'avant-garde, The Staves et yMusic signent un disque splendide, mariant arrangements baroques et mélodies folk hors du temps. Entre violons, flûtes et clarinette on se promène parfois en pleine poésie victorienne. Dans une scène de Barry Lindon, sur les pas de Yeats and Keats. Comme sur Trouble On My Mind, réussite la plus totale de cet album, en équilibre entre élégance, grâce et poésie.
Avec audace, The Staves nous invitent ainsi à un voyage musical peu commun, aux confins de la musique contemporaine. Et s'imposent avec une proposition artistique forte et originale. Sur la longueur cependant, l'écoute de The Way is Read est exigeante. Nous sommes ici en présence d'un album qui demande l'attention de son auditeur pour être pleinement apprécié. Ce qui n'est plus si courant à l'époque du streaming frénétique pour tous. C'est aussi que l'oreille contemporaine a perdu l'habitude de la musique non pulsée, sans percussions ni batterie, et des arrangements qui osent la dissonance.

En s'en donnant la peine, on plongera pourtant dans une musique merveilleuse, aux milles subtilités. Un disque hors des codes, dont les morceaux s'enchaînent pour former des suites inouïes. Et on célébrera ces musiciennes qui osent sortir des sentiers rebattus pour nous faire visiter des sous-bois musicaux inexplorés et florissants.