Arctic Monkeys

« We're Arctic Monkeys from High Geen baby ! » : enregistré au début de la tournée Tranquility Base Hotel + Casino, ce Live At The Royal Albert Hall, est le premier album live de la formation de Sheffield depuis la sortie du DVD At The Apollo, réalisé par Richard Ayoade, en 2007. Si cette sortie n'était pas celle attendue par les fans à l'orée de la nouvelle année, et si elle semble même tomber comme un cheveu sur la soupe, il est bon de voir les Arctic Monkeys livrer un album live tout en se mobilisant pour la bonne cause. En effet, tous les profits iront à l'ONG War Child UK, qui fournit une assistance aux enfants dans les zones de conflits, pour l'aider à combler un déficit de 2 millions de Livres sterling, causé par l'impact dévastateur de la COVID-19 sur leur collecte de fonds.

Deux ans après avoir repris ses atouts de crooner pour livrer un second effort au sein de The Last Shadow Puppets en forme de chroniques de trentenaires libidineux, Alex Turner a désormais dépassé le rock qui l'a porté au pinacle. Loin de ses terres natives, la star anglaise est depuis longtemps devenue intouchable. Au point que ses reprises les plus approximatives avec son compère Miles Kane, ou leurs concerts franchement poussifs, n'ont pas écorné sa stature. Dans la continuité des dernières collaborations du chanteur avec Alexandra Savior et The Last Shadow Puppets, les Arctic Monkeys visent un son cohérent et intense avec Tranquility Base Hotel + Casino. Ils ont habilement utilisé leur image, sachant bien que leur dernier-né serait décortiqué jusqu'à la moelle, et on su conserver une intégrité artistique et une soif de renouvellement indéniable.

De la tournée qui s'en est suivie, c'est leur concert au mythique Royal Albert Hall de Londres - vitrine magistrale du rock britannique - que le groupe a choisi d'immortaliser en album live. Dès les premières secondes, on est plongé dans l'univers de Tranquility Base Hotel + Casino : Alex Turner et sa bande entonnent Four Out Of Five, premier single de leur dernier opus, qui fantasme une lune gentrifiée et dont le clip fait écho à l'univers absurde et psychédélique de Stanley Kubrick. Comme s'il fallait prouver que les shows des Monkeys demeurent de vrais concerts de rock, les quatre Anglais enchaînent avec les indéboulonnables Brianstorm, Crying Lightning et Do I Wanna Know?, trois hymnes ravageurs qui ont été les porte-étendards de leurs albums respectifs. Ceux qui s'inquiétaient du nouveau visage affiché par le groupe de Sheffield peuvent donc être rassurés quant au devenir de leur énergie scénique.

L'intensité baisse d'un cran pour entonner Why'd You Only Call Me When You're High? et la ballade 505, deux morceaux durant lesquels le groupe fait preuve d'une délicatesse surprenante, mais où la fin se révèle explosive. « Chassez le naturel... », vous connaissez la suite. One Point Perspective symbolise le virage pris par les Arctic Monkeys dans leur dernier album studio, quintessence du changement depuis leurs précédents efforts ; un synthé qui abuse de petites notes répétitives exaspérantes, une basse qui cachetonne avec béatitude, une guitare famélique au possible - quand elle est présente -, une batterie abattue, et pourtant on ne peut être que séduit par la façon dont Turner caresse le temps de sa magnifique éloquence. Si l'on quitte l'ambiance piano-bar de leur dernier disque, on reste tout de même dans la nostalgie avec l'interprétation des chansons plus méconnues du grand public, mais toujours aussi efficaces, Knee Socks, Do Me A Favour ou encore la plus énervée Pretty Visitors. Si She Looks Like Fun semble un des rares morceaux du nouvel opus faisant la part belle à la guitare pour le plus grand plaisir de Jamie Cook, il y a fort à parier qu'elle ne restera pas longtemps dans la setlist des quatre Anglais.

L'énergie revenue, le groupe surprend l'assemblée avec la ligne de basse de Nick O'Malley qui entame From The Ritz To The Rubble, titre du auréolé premier album qu'ils n'avaient plus joué en live depuis 2011 ! L'occasion pour le batteur Matt Helders de s'en donner à coeur joie, lui qui a été (pratiquement) relayé au rang de métronome sur les nouvelles compositions. L'élan de nostalgie ne s'arrête pas là et pour cause. « We are Arctic Monkeys and this is I Bet You Look Good On The Dancefloor. Don't believe the hype ». Les puristes auront reconnu la phrase exacte prononcée par Alex Turner dans le clip qui a mis à genoux les Britanniques en 2006. Turner prend ensuite la place derrière un piano avant de chanter l'introduction de son nouvel opus, Star Treatment, qui réussit à maintenir l'énergie de la foule à un niveau élevé malgré la baisse de rythme du morceau. Une attention récompensée par une nouvelle cure de jouvence qu'est The View From The Afternoon et une version « extended » du désormais classique R U Mine? pour finir en beauté.

Véritable cadeau tombé du ciel, ce Live At The Royal Albert Hall est une preuve supplémentaire du renouvellement perpétuel des Arctic Monkeys sur leurs albums, mais aussi en live ! Désormais accompagnés de musiciens additionnels, les morceaux les plus anciens du groupe prennent une dimension nouvelle sur scène tout en n'étant jamais dénaturés. L'équilibre entre ces titres et les inédits plus crépusculaires est parfaitement dosé. Un joli tour de force quand on sait que la formation de Sheffield compte désormais six albums studio dans sa discographie. Si l'attitude et la désinvolture goguenarde du groupe est désormais un lointain souvenir, force est de constater que comme le bon vin, son son et sa prestation scénique, eux, se bonifient avec le temps. La sortie de cet album live des Arctic Monkeys est un événement (surtout en 2020) et y prêter l'oreille une obligation. Pour le clin d'oeil à la chanson, on est tenté de mettre un « Five Stars Out of Five » à cet album, qui a toute sa place au pied du sapin.