The Smile

En 2021, alors que les annonces d'annulations de festivals battent leur plein, une information filtre sur la toile concernant un nouveau groupe : The Smile, composé d'une partie des membres de Radiohead et de Tom Skinner, batteur de Sons Of Kemet, un groupe de jazz. Pourquoi un énième side-project de Thom Yorke (en solo, Atoms For Peace) et Jonny Greenwood (qui œuvre énormément au sein du London Contemporary Orchestra et du BBC Concert Orchestra mais compose également de nombreuses bandes originales de films) ? La réponse viendra de Greenwood, affirmant en interview qu'ils voulaient passer le temps pendant le confinement en terminant des titres sur lesquels ils avaient déjà commencé à travailler précédemment.

Ces sessions durant les lockdowns donnent donc aujourd'hui naissance à A Light For Attracting Attention, premier album studio de ce super-groupe, produit par l'inénarrable Nigel Godrich, compagnon de toujours depuis les débuts de Radiohead. Les musiciens du London Contemporary Orchestra (pour les cordes) ainsi qu'une section de cuivres composée de jazzmen britanniques viennent compléter ce panel d'artistes de prestige.
C'est lors de l'édition en livestream de Glastonbury en 2021 que The Smile nous feront découvrir pour la première fois la teneur de leurs compositions. S'en suivra, début 2022, une série de trois concerts très privés à Londres retransmis en direct sur internet. Les mois qui suivent verront également la sortie de six singles (soit la moitié de l'album, certains diront qu'une -trop ?- grande partie du contenu aura été révélée avant le jour J).

A Light For Attracting Attention saura ravir les fans de Radiohead de la première heure puisque plusieurs morceaux joués par le quintet d'Oxford figurent au programme comme Sktrting On The Surface (et son magnifique clip en 16mm, en noir et blanc, dans une mine) qui avait déjà été jouée par Atoms For Peace et Radiohead depuis de nombreuses années et sous différentes versions ; c'est finalement dans une ambiance plus dépouillée que le morceau verra le jour dans la version studio. Open The Floodgates, elle aussi jouée depuis bien longtemps, propose ici une transposition piano ponctuée d'un clavier robotique auquel viennent s'ajouter quelques arpèges de guitare. La voix de Yorke n'en est que plus sublimée. Finalement, ce titre résume assez bien l'essence de The Smile : la plupart du temps, nous sommes loin des explorations sonores de Radiohead, l'inspiration est circonscrite à l'essentiel.

Car oui, il paraît important de noter que cet album n'est pas du Radiohead, même si on reconnaît forcément d'emblée l'empreinte sonore (la voix de Yorke, la Telecaster de Greenwood ou encore la production de Nigel Godrich). The Same rappelle bien Everything In Its Right Place et avec sa boucle hypnotique et Waving A White Flag a de petites consonances Like Spinning Plates mais la comparaison peut bel et bien s'arrêter là. Cet album revêt de nombreuses facettes, qui peuvent de prime abord paraître trop hétéroclites pour former un tout cohérent ; nous avions découvert en guise de premier single le surprenant You Will Never Work in Television Again et sa rythmique conférant au post-punk. Un morceau simple, direct, de moins de trois minutes, venant balayer les doutes quant au fait que The Smile ne serait qu'un album de membres de Radiohead évadés sous une autre étiquette.
Parallèlement, on peut aussi trouver Thin Thing, relevée d'une petite guitare entêtante. Il s'agit probablement du morceau le moins consensuel de l'album, celui qui comporte le plus la touche de Thom Yorke. Sa progression crescendo est l'un des temps forts de l'écoute. Le groupe n'a donc aucun complexe et fait se côtoyer les styles et les influences.

Les compositions s'enchaînent et ne se ressemblent pas, pourtant, on termine en se disant que le tout fait néanmoins sens, si on veut paraphraser l'analyse de Godrich dans une récente interview. Free In The Knowledge vient une nouvelle fois prouver que la simplicité sied à merveille à The Smile. Le titre, déjà interprété il y a quelques mois lors des shows solo de Thom Yorke, est encore une fois assez dépouillé instrumentalement parlant et il n'a besoin de rien de plus pour être sublime ; sa douce mélancolie (« Free in the knowledge, that one day this will end »), enlevée par la voix de Thom et bercée par les cordes, tend à la perfection.

Six ans presque jour pour jour après la sortie de A Moon Shaped Pool, dernier album studio de Radiohead qui versait déjà largement dans la nostalgie, ce nouveau projet offre une œuvre où la mélancolie est appréhendée sous un prisme différent et de manière peut-être plus directe et spontanée, notamment par les choix stylistiques de certains morceaux. Par le biais de ce premier album, le groupe dresse un état des nombreuses facettes que peuvent revêtir les trois comparses. On retrouve des titres déjà joués depuis plusieurs années et ce qui peut paraître étonnant pour des artistes comme Yorke et Greenwood, c'est que le choix instrumental est souvent épuré, minimaliste. Loin d'être redondant, A Light For Attracting Attention est un projet cohérent et convaincant, dont on espère voir une suite dans les prochaines années. En attendant, le groupe débute une tournée qui passera en juin par la capitale.