Chronique Album
Date de sortie : 04.10.2024
Label : XL Recordings
Rédigé par
Bertrand Corbaton, le 3 octobre 2024
Il n'aura fallu attendre que quelques mois pour que le trio Thom Yorke – Jonny Greenwood – Tom Skinner donne une suite à son Wall Of Eyes sorti en début d'année. Cette boulimie créatrice a de quoi laisser perplexe, tant elle est frénétique, et semble salvatrice pour Thom Yorke. Aussi, elle interroge une fois de plus sur ce que l'artiste peut bien avoir en tête, car à de maints égards, difficile de ne pas se dire que chaque nouvel album de The Smile nous éloigne un peu plus durablement de Radiohead. Ainsi, d'une simple parenthèse, le projet The Smile devient de plus en plus prégnant et prend une place que l'on avait peine à imaginer quelques mois plus tôt.
Mais c'est ainsi, The Smile repart dans une musique hallucinée, fantastique, parfois dépouillée des artifices qui faisaient la force de Radiohead. Ce qui fascine tant Thom Yorke et Jonny Greenwood, semble être la possibilité de se retrouver affranchis de compromis nécessaires. Certes, Thom Yorke expliquait lors de la sortie de OK Computer que si Radiohead était le monde, lui serait certainement les Etats-Unis. Une façon bien peu dissimulée de résumer son influence personnelle dans le groupe. Il n'empêche, même les États-Unis doivent discuter, et à ce petit jeu, l'interlocuteur unique ou presque, privilégié qu'est Jonny Greenwood dans le format The Smile doit certainement satisfaire le leader.
Peut-être fallait-il plus de liberté que ne lui en offrait Radiohead, et Cutouts semble tracer encore plus le sillon de l'exploration musicale déjà amorcée précédemment avec The Smile. Cutouts ne change pas particulièrement la donne de Wall Of Eyes, la démarche est la même et tout apparaît comme une continuité assez fluide de ce qui avait été précédemment amorcé.
Néanmoins, il n'est pas question de redite totale et Cutouts dévoile une espèce de recherche de liberté absolue. À cet égard, plusieurs morceaux tentent une approche aux relents jazzy, parfois dans les sonorités, comme sur les tumultueux Zero Sum et Eyes Mouth, parfois dans l'ambiance à l'image de ce Tiptoe étrange et secret.
Sur Color Fly, le trio s'amuse à teinter l'ensemble de touches orientales assez surprenantes mais tout à fait à propos. Ici rien ne dépareille et la singularité de Cutouts ne tranche jamais complètement avec leurs précédents travaux.
Ainsi les fondamentaux du groupe sont conservés à l'image de No Words et sa boucle électro légère et feutrée, ou sur le très psyché Instant Palm. Sur The Slip, l'équilibre est mis à mal, et le groupe joue sur l'impression que tout va s'écrouler. Tout donne une sensation de désarticulation, et pourtant, au final l'édifice tient debout. C'est assez remarquable.
Sur le lancinant Don't Get Me Started, The Smile reviennent à des ambiances sombres et inquiétantes, difficile de ne pas se laisser happer par cet état hypnotique. Enfin, le très particulier Foreign Spies vous transporte dans une scène du Mulholland Drive de David Lynch, dans une ambiance qui ne manquera d'évoquer les sonorités de la musique d'Angelo Badalamenti. Ce morceau évanescent et onirique ouvre l'album, mais aurait pu aussi bien trouver sa place en clôture.
Ici, tout semble interchangeable, comme dans un long-métrage où le spectateur construit lui même son histoire, avec les bouts que lui propose le réalisateur. Et si Cutouts n'était au final que ça ? Il est en tous cas une nouvelle preuve de la liberté de ton et d'action de The Smile. Certes, on retrouve des bases déjà établies précédemment, et de ce point de vue, difficile d'être réellement surpris par ce nouvel album. D'aucun pourrait même peut-être commencer à se lasser de ces pérégrinations. Pourtant, la richesse de ces nouvelles compositions a largement de quoi satisfaire tant les chemins de traverses empruntés sont multiples. Ils appellent à la liberté et à l'envol, encore et toujours. Une belle réussite.