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Loyle Carner - hugo
Chronique Album
Date de sortie : 21.10.2022
Label : EMI
5
Rédigé par Franck Narquin, le 18 octobre 2022
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Plier le game : frapper un coup si fort qu'il rend toute concurrence impossible et par là même met fin au jeu. Exemple : « Karim, il a plié le game du Ballon d'Or ». S'il a fait sensation en 2017 en débarquant à tout juste vingt-deux ans avec Yesterday's Gone, premier album salué unanimement par la critique, puis confirmé l'essai avec son second opus de 2019, Not Waving, But Drowning, Loyle Carner séduisait avant tout par sa fraîcheur et sa capacité à moderniser un rap à l'ancienne, basé sur des samples de jazz, des textes chiadés et un flow impeccable. Ses productions de qualité, sa belle gueule et son charisme imparable en ont fait un de nos gars-sûrs du hip-hop britannique. Avec ses deux bons albums et quelques grands morceaux, le londonien assurait tranquillement sa place de titulaire dans l'équipe. On était loin d'imaginer qu'avec son troisième LP il allait s'imposer comme son capitaine.

Loyle Carner, qu'on a connu chantre du cool et des ambiances laidback, prend d'entrée l'auditeur à contre-pied avec Hate, titre d'ouverture tout en tension. Sur une production cinématographique, flirtant avec l'électronique et où les breaks de batterie martèlent les tympans, l'anglo-guyanais délivre un texte politique très sombre avec un flow incisif. On pense alors à Priority Boredom de Kae Tempest ouvrant The Line Is A Curve, dernier album de l'artiste natif de Brockley. Même urgence, même ton véhément, même volonté de renouvellement permanent et même exigence artistique, ces fines lames de la musique anglaise urbaine semblent plus que jamais sur la même longueur d'onde. L'album part sur les chapeaux de roues, mais c'est avec Ladis Road basé sur un sample de Nobody Knows de Pastor T. L. Barrett's, flamboyante pépite de gospel soul de 1971, que Carner impressionne le plus. Puissant et émouvant, jubilatoire et mélancolique, ce morceau nous fait passer par toutes les émotions et s'impose comme un des meilleurs titres de hip-hop de l'année, toutes catégories et tous pays confondus. On n'avait jamais entendu Loyle Carner à un tel niveau avant ce petit chef d'œuvre suave et intemporel.

Après une telle entrée en matière, le rappeur ne faiblit pas et parvient à garder le rythme. Introduit et clôt par un sample du poète guyanais John Agard et produit par la légende du rap US Madlib, Georgetown confirme la veine engagée de cet album et la recherche de sons plus rentre-dedans tout en conservant une belle complexité. Avec sa petite boucle en forme de ritournelle et sa boîte à rythmes sèche, Speed Of Plight calme le jeu tout en distillant sa rage contenue pour un résultat entêtant et addictif. Après seulement quatre morceaux, force est de constater que l'anglais a sacrément musclé son jeu.
Il va alors nous prouver qu'il n'en n'a pas pour autant perdu son style. Ses fameuses orchestrations jazzy, véritable signature des deux premiers opus du londonien sont de retour sur Homerton. La jeune Olivia Dean vient y déposer sa voix de velours toute en sensualité soul et tient haut la main la comparaison avec la grande Jorja Smith, invitée sur Not Waving, But Drowning. On croit alors avoir tout vu, mais il ne faut guère plus qu'une boucle vocale incantatoire et quelques notes de piano à Loyle Carner pour faire de Blood On My Nikes un des sommets de hugo, sombre et intense. Le speech final d'Athan Akec, tout jeune militant dont la voix singulière dénote et détone dans le paysage politique anglais infesté d'horribles brexiteurs et de blondinets ventripotents, finit de nous glacer.

Armé d'une basse tout en rondeur et d'arrangements jazz, Plastic déroule son groove nonchalant. Débutant en mode pilote automatique, on craint un instant le trou d'air avant que le morceau ne mute à mi-parcours à coup de salvateurs synthés rétrofuturistes lui apportant une belle dose d'étrangeté. On retrouve le Loyle Carner des débuts sur l'introspectif A Lasting Place avec sa formule minimaliste piano-beat-voix et le délicat Polyfilla avec son boom-bap rehaussé de chœurs de chorale. Si ces deux titres ont un petit goût de déjà-vu ils n'en demeurent pas moins extrêmement émouvants. Le rappeur ressort les crocs sur HGU, ultime titre, où son flow rageur fait mouche et prend un relief tout particulier sur cette douce instrumentation.

Alors que la plupart de ses confrères sortent des albums à rallonge pour booster les chiffres du streaming, Loyle Carner fait le choix, aujourd'hui radical, de ne proposer que dix titres d'une durée totale de tout juste trente-quatre minutes. Avec ses morceaux d'une folle variété stylistique, à la production ambitieuse et inspirée et aux textes furieusement politiques, hugo impressionne de bout en bout sans jamais montrer le moindre signe de faiblesse. On peut l'affirmer haut et fort et sans aucune réserve, on tient ici le meilleur album de rap anglais de l'année. Avec hugo, Loyle Carner vient tout simplement de plier le game.
tracklisting
    01. Hate
  • 02. Ladis Road (Nobody Knows)
  • 03. Georgetown Ft. John Agard
  • 04. Speed Of Plight
  • 05. Homerton Ft. JNR Williams & Olivia Dean
  • 06. Blood On My Nikes Ft. Wesley Joseph & Athian Akec
  • 07. Plastic
  • 08. A Lasting Place
  • 09. Polyfilla
  • 10. HGU
titres conseillés
    Hate - Ladis Road (Nobody Knows) - Speed Of Plight - Blood On My Nikes
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