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Mount Kimbie

MK 3.5: Die Cuts | City Planning

Mount Kimbie - MK 3.5: Die Cuts | City Planning
Chronique Album
Date de sortie : 04.11.2022
Label : Warp Records
45
Rédigé par Franck Narquin, le 4 novembre 2022
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Sorti il y a déjà douze ans, Crooks & Lovers, premier album remarquable et remarqué, a valu à Mount Kimbie le statut de fer de lance de la scène dubstep, ce style musical né dans le sud de Londres consistant en gros à envoyer des rythmiques syncopées sur d'énormes lignes de basses. Leur approche avant-gardiste et décalée engendra même un nouveau sous-genre à elle seule, le post-dubstep. Beaucoup de groupes se seraient alors transformés en petits comptables du cool, resservant sans cesse et sans scrupule cette même recette. Ce n'est heureusement pas du tout le genre de nos deux lascars car si l'on peut penser ce qu'on veut de l'œuvre de Dom Maker et Kai Campos (trop intellos, trop rugueux, trop dispersés ?), on ne peut que saluer leur ligne de conduite faite d'indépendance, de perpétuelle remise en question et de prises de risques. Ainsi à chaque nouvel album, le duo s'impose un salvateur tabula rasa.

Après leur signature chez Warp, les anglais ont développé sur leur second essai, Cold Spring Fault Less Youth (2013) une electronica complexe et subtile avant d'achever leur transition transgenre en 2017 avec l'excellent Love What Survives qui incorpore à leur musique des éléments de hip-hop, post-rock et techno. S'ils gèrent à eux deux, ou plutôt chacun de leur côté, l'intégralité de leur univers musical, ces cerveaux bouillonnants savent aussi très bien s'entourer et collaborent régulièrement avec des artistes aussi brillants qu'exigeants comme King Krule, Micachu et James Blake.

Pour leur quatrième LP, Mount Kimbie ne proposent pas vraiment un double album mais bien deux disques radicalement opposés, deux gestes contraires unis par une vision commune et jusqu'au-boutiste de leur art, comme deux faces d'une même médaille. Die Cuts composé par Dom Maker est une œuvre solaire et groovy, débordant de featurings (slowthai, Danny Brown, James Blake, Reggie, Wiki, j'en passe et des meilleurs...) tandis que City Planning de Kai Campos, s'apparente à un voyage introspectif et personnel voir solitaire s'aventurant sur les terres arides d'une musique électronique sombre, dure et quasi-expérimentale.

Bien qu'aucune rumeur de séparation ne soit arrivée à nos oreilles, on sait que le duo ne se fréquente guère dans le civil. Dom Maker vit à Los Angeles et produit la fine fleur des artistes hip-hop de Jay-Z à slowthai tandis que Kai Kampos, toujours londonien, se consacre au DJing et exhume les clubs en compagnie du DJ anglais Actress (Darren Cunningham) avec lequel il a sorti cette année le single AZD SURF au moment même où Dom remixait Palaces de Flume avec Damon Albarn et le rappeur Zelooperz. Deux salles, deux ambiances !

Avec Die Cuts, Dom Maker risque de déstabiliser pas mal de fans de Mount Kimbie tant il s'éloigne ici de leur travail passé et tout simplement de l'idée qu'on peut se faire d'un album de Mount Kimbie. Les douze titres de l'album naviguent entre hip-hop, soul et RnB et comptent pas moins de dix invités. City Planning est quant à lui l'œuvre du seul Kai Campos. Si jamais le groupe n'avait poussé aussi loin les curseurs vers une techno noire et mentale, qu'on dirait faite pour les dark rooms berlinoises moites et enfumées (oui, encore enfumées, on a des adresses à Kreuzberg qu'on peut partager en MP), la proposition de Kai est en fait moins radicale que celle de Dom, cet album s'avérant typiquement « Warpien », parfaitement à sa place aux côtés des productions de The Black Dog, Squarepusher ou Autechre.

Bien que les onze titres de City Planning affichent à peine vingt-cinq minutes au compteur, il faut un peu de temps pour se laisser happer et dompter ces morceaux mal élevés. Une fois cette étape passée (on vous prévient ça ne sera pas le cas pour tout le monde), on peut s'y attarder et se laisser enivrer par l'hypnotique Transit Map, le scintillant Satellite 7, voir même le bruitiste Quartz, que Kampos a placé en tout début d'album pour envoyer un message clair à l'auditeur : pas sérieux s'abstenir.

A nous lire on pourrait croire qu'on fait la fine bouche devant City Planning. Bien au contraire, l'album seul décocherait un bon 4 sur 5 grâce à sa production brillante et sa cohérence stylistique. Mais la grande affaire de ce projet monstre bicéphale demeure Die Cuts. Une analyse titre par titre serait superfétatoire au vu de l'exceptionnel niveau de chaque morceau, même James Blake semble ici enfin sortir de sa léthargie. Vous pourriez en toute bonne foi m'opposer qu'il n'y à rien de révolutionnaire à sortir en 2022 un album alternant bangers rap (ce duo slowthai, Danny Brown sur in your eyes !) et douces pépites soul (cette interprétation de Reggie sur end of the road !), ce modèle étant même devenu le lot commun des projets hip-hop depuis le succès de Flower Boy de Tyler, The Creator. Et vous n'auriez pas tort sur le fond, car Dom Maker, visiblement bien adapté à sa nouvelle vie angeline, reprend à la lettre cette formule efficace destinée à plaire au plus grand nombre.

En revanche, ce qu'il arrive à en faire écarte d'un revers de main toute réserve. On n'avait pas entendu de production d'un album de hip-hop (ou pour être plus précis de musiques urbaines, cet horrible terme fourre-tout désignant le rap, le RnB et la soul moderne) d'un tel niveau depuis Blonde de Frank Ocean. Tout ce qu'entreprend Maker sur ces douze titres est fluide, aérien, inspiré et inventif. Par exemple, jamais Wiki, le rappeur culte de Brooklyn et ancien compagnon de Princess Nokia pour les amateurs des pages roses, n'avait posé son flow nasillard sur une aussi bonne prod que celle de if and when. Avec Die Cuts, Dom Maker signe un grand disque « overground », imposant la liberté créative de l'underground à un projet d'apparence presque mainstream, comme l'on fait d'autres avant lui, de David Bowie à Daft Punk en passant par le paria bipolaire mais néanmoins souvent génial Kanye West.

Dom Maker et Kai Campos auraient pu passer outre leurs divergences artistiques et chercher des compromis pour sortir un album commun de Mount Kimbie. Face à ce choix adulte et fade, ils ont pris l'option adolescente et casse-gueule de ne rien lâcher, d'aller au bout de leurs convictions personnelles et de livrer cet objet hybride et atypique. De cette étonnante réussite, nous retirerons une leçon importante : toujours rester radical !
tracklisting
    Die Cuts (Dom Maker)
  • 01. dvd (ft. Choker)
  • 02. in your eyes (ft. Danny Brown & slowthai)
  • 03. f1 racer (ft. KUCKA)
  • 04. heat on, lips on
  • 05. end of the road (ft. reggie)
  • 06. somehow she’s still here (ft. James Blake)
  • 07. kissing (ft. slowthai)
  • 08. say that (ft. Nomi)
  • 09. need u tonight
  • 10. if and when (ft. Wiki)
  • 11. tender hearts meet the sky (ft. KeiyaA)
  • 12. a deities encore (ft. Liv.e)
  • City Planning (Kai Campos)
  • 01. Q
  • 02. Quartz
  • 03. Transit Map (Flattened)
  • 04. Satellite 7
  • 05. Satellite 9
  • 06. Satellite 6 (Corrupted)
  • 07. Zone 3 (City Limits)
  • 08. Zone 2 (Last Connection)
  • 09. Zone 1 (24 Hours)
  • 10. Industry
  • 11. Human Voices
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    in your eyes - end of the road - if and when - Transit Map (Flattened) - Satellite 7
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