Nadine Shah

Talentueuse et perfectionniste, Nadine Shah, avec son cinquième album, poursuit une discographie sans faute.

Il est facile de prendre au sens littéral son titre Filthy Underneath. Sa voix élégante se détache de manière assez évidente dès la première écoute et la rythmique sophistiquée qui l'accompagne, la place aisément au côté des divas du rock (PJ Harvey, Siouxsie Sioux...). Voilà pour la surface flamboyante. En y prêtant un plus attention on entend des guitares stridentes, des sirènes, et des bruits industrielles qui se glissent insidieusement dans une musique faussement naïve à la manière de Depeche Mode du milieu des années 80s. Voilà pour la sous-couche peu reluisante.

Inspirée par le jazz, Nadine s'est très tôt installée à Londres pour entamer une carrière de chanteuse jazz. Elle y a croisé une étoile filante, Amy Winehouse. Témoin privilégiée des coulisses obscures de l'industrie musicale, Nadine Shah, femme musulmane, a vécu ou subi son lot d'injustices et drames. Ses albums en sont des exécutoires.
Son précédent, Kitchen Sink, avait été écrit alors que sa mère avait été diagnostiquée d'un cancer avancé des poumons. Quand celle-ci meurt deux mois après la sortie de l'album, entre deux confinements, c'en est trop. L'addiction de Nadine pour la drogue s'intensifie et sa vie perd son sens. En avril 2022, elle laisse un message en forme d'épitaphe sur Twitter. Ce cri d'alarme sera entendu par des proches de plus en plus inquiets, et la conduira en cure de désintoxication. Ce sera peut-être la dernière fois que l'oiseau bleu aura été utile.


Filthy Underneath est un album de survivante. Son auteur s'est demandée si ce n'était pas trop, et a fini par assumer la violence de ses propos qui ne sont que le reflet de son expérience. Si la matière est dure, Nadine Shah n'en reste pas moins une artiste et autant les paroles que la musique fond du disque une œuvre poétique et onirique forte. Bien que les thèmes abordés soient lourds, des morceaux de génie comme Keeping Score, Greatest Dancer, Twenty Things ou French Exit accrochent l'oreille et transforment l'écoute en une expérience quasi jubilatoire.

Ben Hillier, qui a produit tous les albums de Nadine Shah, et deux albums de Depeche Mode, délivre une production impeccable qui conjugue instrumentation rock classique avec de nombreux bruitages et sons hybrides de sirènes, synthés ou guitares. Ce mélange des ambiances amplifie la rencontre des ambiances tribales et urbaines dans les rythmiques et des inspirations européennes et pakistanaises dans la voix de la chanteuse.

Cet album, en apparence homogène, révèle en réalité de multiples facettes qui rappellent finalement la complexité de toute chose, aussi simple ou ardue qu'elle puisse paraître.