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Nadine Shah

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 23 août 2017

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Nadine Shah est une femme engagée. Probablement de par ses origines, la Londonienne de 31 ans a décidé de se battre avec ses mots et sa musique contre un système, le gouvernement britannique qu'elle déteste de plus en plus. Son troisième album Holiday Destination est une ode à l’accueil des réfugiés du monde entier. Nous l'avons rencontrée lors de son passage à Paris pour une journée de promotion et un showcase en formation très réduite, découvrant une artiste, qui n’a, comme on pouvait s’en douter, pas sa langue dans sa poche.

Sur l'édition limitée de ton précédent album vendue par Rough Trade, il y avait un CD bonus de quatre titres. Celui-ci contient Jolly Sailor qui est le dernier morceau de ton nouveau disque. La version est d'ailleurs différente. Est-ce que tu avais d'autres anciens morceaux pour ce disque ou les neuf autres compositions sont-elles récentes ?

Tu es le premier à me parler de ça ! (Rires) Jolly Sailor ne devait pas figurer sur Holiday Destination, mais c'est une chanson que j'aime bien. Aussi j'ai retravaillé les paroles, le second couplet, pour qu'elles soient axées sur le thème de cet album. C'est une chanson qui a été composée en trente minutes. On nous avait demandé d'avoir des faces-b de disponibles. Nous nous sommes retrouvés en studio pendant quatre heures et nous l'avons rapidement terminée. J'ai commencé à écrire pour cet album à la fin de 2015. Holiday Destination, qui donne son nom à l'album, fut la première chanson que j'ai composée. Quand les réfugiés sont arrivées sur l'île de Kos, on en a beaucoup parlé à la télévision et j'avais ce besoin d'écrire dessus. Et en 2016, de plus en plus, on a parlé de ça, sans arrêt.

Il y a beaucoup de cynisme dans l'ouverture de l'album avec Place Like This. C'est une chanson groovy-funky, mais le thème qu'elle aborde est dramatique. Qu'entend-on à la fin de celle-ci ?

Il y avait une manifestation à Londres et je l'ai enregistrée sur mon iPhone. Les manifestants s'exclamaient : « Say it loud ! Say it clear ! Refugees are wecome here ! ». Il y avait des milliers de personnes qui criaient ça. C'était incroyable ! C'est un phénomène qu'on observe un peu partout, en France ou en Europe. Il y a cette montée du nationalisme. Mais l'empathie des gens est plus forte que ce dernier. Quand tu vas à une manifestation, tu te rends compte de la puissance de l'action des gens qui s'y trouvent. Et cette force est bien supérieure à certaines actions politiques. Les gens s'en rendent compte et se sentent concernés. Je voulais vraiment que cette partie soit présente au tout début de l'album. Cela affiche le contexte du disque. Les gens qui se sont fait arrêter comprennent parfaitement de quoi je parle. Mais sinon, il est toujours possible de passer à la seconde chanson de l'album ! (Rires)

Il fallait que le disque soit énergique.

On dirait qu'il y a une sorte de progression tout au long de l'album. Jusqu'au dernier morceau on ressent une tension qui finalement disparait, un peu comme dans une forme de soulagement. A quoi est-ce dû ?

Je pense que c'est dû au travail de Ben Hillier à la production. Il s'est impliqué avec beaucoup de passion par rapport au sujet de cet album. Nous avons pris la décision commune que la musique ne soit pas dans un tempo lent. Il fallait que le disque soit énergique, un peu comme mon artiste préféré de tous les temps : Stevie Wonder. Il faisait passer un vrai message politique très fort, et il était capable de faire un morceau dansant en même temps. J‘espère que le rythme du disque ne va pas éloigner l'audience du message que je tenais à faire passer. Je tenais à ce qu'il y ait beaucoup d'énergie derrière tout cela. On a joué les chansons sur scène à Glastonbury et les gens dansaient dessus. Ils ne semblaient pas prêter attention au message, ils bougeaient surtout. La tension est très présente sur le disque mais il y a du groove dessus.

Sur Holiday Destination, il y a ces paroles : « Damn your men, damn your women, damn your children, damn yourself ». A quoi fais-tu exactement référence ?

Je suis en colère après le gouvernement britannique. Il tente de détruire notre liberté. Cette chanson parle de la crise des réfugiés, du manque d'empathie des politiques, des mensonges proférés aux gens. Les mères et pères craignent pour le futur de leurs enfants, comment ils vont pouvoir les nourrir... Ce refrain « How you're gonna sleep tonight? » est très cynique, de par la culpabilité causée par les agissements de ces politiques. Le pire c'est que bon nombre de personnes ne ressent aucune culpabilité. J'aimerai tant qu'ils la ressentent ! Malheureusement. C'est la triste réalité.

D'où provient la photographie présente sur la pochette de l'album ?

C'est une photo de Gaza. C'était très important pour moi qu'elle figure dessus. Je ne voulais pas une photo de la Syrie parce que les gens parlent énormément de la situation de ce pays, de ses réfugiés. Mais ce ne sont pas les seuls réfugiés dans le monde. Au Soudan, Afghanistan, Corée du Nord ou Pakistan, il y a tant de gens qui essaient de s'échapper de leur pays pour de nombreuses raisons. Il y a ce journaliste, Christian Stephen, qui n'a que vingt-deux ans. Il a pris cette photographie l'année dernière. Je pense qu'il est le correspondant mondial le plus jeune au monde. Il prend des photos, réalise des reportages depuis qu'il a dix-sept ans. C'est un jeune homme très inspirant. Je l'ai rencontré sur un concert. Nous avons discuté de mon nouvel album. Il voulait travailler avec moi. J'ai immédiatement accepté. Il m'a montré des photos qu'il a prises. Celle-ci était vraiment parfaitement adaptée car, dans cette image de dévastation, il y a ce jeune garçon qui fait le signe de la paix. Il a une telle détermination en lui, un tel courage, c'est juste incroyable ! Il inspire l'espoir. Christian m'a montré des clichés terriblement insupportables. Ils étaient tellement tristes, je ne voulais pas mettre ça sur la pochette de mon album. Celle-ci est un réel symbole d'espoir. Elle pourrait avoir été prise n'importe où.

J'adore PJ Harvey mais constamment les gens font le rapprochement entre sa musique et la mienne.

Tu utilises plusieurs fois le saxophone sur ce disque. Est-ce que PJ Harvey t'a inspirée en ce sens ou est-ce plutôt le rapport au jazz que tu as pu avoir dans le passé qui est à son origine ?

C'est étrange car elle lorsqu'elle a sorti The Hope Six Demolition Project, j'avais déjà commencé à travailler sur Holiday Destination. J'adore PJ Harvey mais constamment les gens font le rapprochement entre sa musique et la mienne. La vérité c'est que je n'avais pas du tout écouté son nouveau disque. Quelqu'un m'en a parlé. Et là j'ai pensé : « Merde alors ! » (Rires). En fait, je voulais simplement ajouter un degré supplémentaire d'énergie à ma musique. Le saxophone est un instrument parfaitement adapté pour cela, surtout pour la musique jouée live. En Angleterre, il y a cette personne célèbre, Pete Wareham, qui fait partie de Acoustic Ladyland. Très gentiment, il a accepté de jouer en live avec nous, même s'il est généralement très peu disponible. Je trouve qu'il a fait de l'excellent travail sur cet album.

L'album est un peu plus étiré que d'habitude. Certaines chansons sont très longues dessus, comme Jolly Sailor. Il y a un peu un côté cinématographique dans cette chanson, comme si elle pouvait durer encore et encore...

Je suis désolé pour ça (Rires). On a eu pas mal de difficultés à établir le tracklisting de l'album. On a essayé de positionner cette chanson au milieu du disque mais l'énergie retombait et repartait ensuite, et ce n'était pas une bonne idée. La placer à la fin permet au disque de trouver davantage d'espace. Un espace pour permettre à l'auditeur de digérer tout ce qu'il vient d'ingurgiter.

Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur la vidéo de Out Of The Way où tu apparais avec le visage tuméfié ?

Le stroboscope était un peu difficile à supporter pour moi. Mais j'avais besoin de représenter un groupe de personnes marginalisé sans que cela crée de stéréotypes. Je voulais que cela soit lié au nationalisme mais sans l'afficher. Pas de têtes rasées avec des tatouages de football, surtout pas d'amalgames. J'ai d'ailleurs été très surprise que certaines personnes dans mes connaissances soient nationalistes, alors que je ne l'aurai jamais imaginé une seule seconde. La vidéo est basée sur le tribunal des sorcières de Salem. Cela est revisité d'une façon moderne, puisque je suis présente avec cette veste qui n'est absolument pas d'époque. Il était important de choquer les personnes qui verraient cette vidéo. Il y a tant de vidéos avec des jolies filles maquillées et superbement coiffées. Je ne voulais surtout pas reproduire cette image de la femme. C'est très choquant de voir le visage abimé d'une femme. Ma mère déteste la vidéo. Mais parfois, il faut se montrer extrême pour faire passer un message. Peut-être sommes-nous allés un peu trop loin ? Désolé ! (Rires)

Tu as commercialisé un t-shirt avec le slogan : Immigration – Immigration - Immigration. C'est quelque chose qui te tenait à cœur ?

J'ai pris cette décision très consciemment. Et je comprends que cela va diviser les gens. Je suis convaincue d'avoir déjà perdu des fans. Et si c'est le cas je m'en fous. J'espère toutefois qu'ils reviendront, qu'ils écouteront et surtout comprendront ce que j'ai voulu faire. Ce message est inspiré d'une campagne d'un politicien il y a pas mal d'années de cela. C'était : Education – Education – Education. On s'en est servi (Rires). Sans immigration, je ne serais jamais née. Mon père est Pakistanais, ma mère Norvégienne.

Comment est la situation à Londres après ce terrible accident avec cette tour qui a brûlée ?

Ce fut affreux, vraiment triste. Mais en même temps beaucoup de positivité en est ressorti. Je ne crois pas que ces personnes sont mortes pour rien. Les gens continuent de scander leurs noms. Cela aurait pu être évité mais le gouvernement que nous avons n'a cure des pauvres. C'est un moment très excitant avec notamment Jeremy Corbyn. Il est passé tellement près de la victoire... Nous n'aurions jamais espéré un tel résultat. Les gens en ont vraiment marre et ne peuvent plus supporter que cela continue de la sorte encore et encore. Il y a tant de mensonges qui ne peuvent plus être cachés et la GreenField Tower est vraiment devenu un immense symbole de toute cette politique menée depuis de si nombreuses années. Les choses sont vraiment en train de changer à Londres en ce moment. Cela a inspiré énormément d'unité entre les gens.