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Mount Kimbie

The Sunset Violent

Mount Kimbie - The Sunset Violent
Chronique Album
Date de sortie : 05.04.2024
Label : Warp Records
45
Rédigé par Franck Narquin, le 3 avril 2024
A part recevoir un bon gros coup de boule, le risque majeur de la critique assassine est l'épreuve du temps et tout particulièrement lorsque celle-ci vise le premier album d'un groupe qui, quatorze ans plus tard, se sera imposé comme une des plus belles têtes chercheuses de la musique électronique. Avec une note d'un sur cinq, une conclusion cinglante invitant à « plutôt écouter le bruit des travaux de ses voisins » et un manque de discernement allant jusqu'à affirmer que « Fuck Buttons apportent un supplément d'âme à l'expérimentation électronique alors que Mount Kimbie cherchent encore quoi faire avec tous leurs samples désorganisés », on ne peut que plaider coupable et reconnaître qu'on était complétement à côté de la plaque. Ce n'était pas le cas du label Warp Records qui les signa dans la foulée et sur lequel leurs quatre albums suivants sortirent, dont le présent The Sunset Violent. Ce n'était pas non plus le cas de King Krule, Micachu et James Blake qui collaborent régulièrement avec le duo depuis de nombreuses années. Quand les médias culturels mainstream font de même, on leur tombe dessus à bras raccourcis, il n'y a donc aucune raison de ne pas balayer devant notre porte.

Si nous avons mal évalué Crooks & Lovers, album emblématique de la vague post-dubstep britannique, nous avons ensuite rectifié le tir pour considérer Mount Kimbie à leur juste valeur. L'insolente liberté de leur deuxième opus, Cold Spring Fault Less Youth, leur permit de se défaire de l'étiquette dubstep qui leur collait à la peau tandis que Love What Survive, sur lequel les anglais opéraient un virage plus rock sans renier leurs racines électroniques, les imposa comme une des formations les plus excitantes du Royaume-Unis. En 2022, Dom Maker et Kai Campos livraient avec MK 3.5: Die Cuts | City Planning un double album aussi improbable que réjouissant. La face A (Die Cuts) composée par Dom et accompagnée d'une multitude d'invités prestigieux était une œuvre solaire, groovy et résolument hip-hop tandis que la face B intitulée City Planning voyait Kai s'aventurer dans les contrées sombres et radicales de la musique électronique minimale et expérimentale. Considérée par certains comme une simple parenthèse, cet audacieux projet aura été pour Mount Kimbie une vivifiante bouffée d'air permettant à chacun d'exprimer le plus librement possible ses velléités artistiques avant de reformer leur bon vieux couple pour l'enregistrement de leur « quatrième » album officiel, The Sunset Violent. A cette occasion la famille s'est élargie en intégrant comme nouveaux membres à part entière leurs deux musiciens de scène, à savoir le batteur Marc Pell et la claviériste Andrea Balency-Béarn.

Comme toujours, le groupe sait mieux que personne capter l'air du temps sans jamais se perdre dans le ventre mou du peloton. Ainsi The Sunset Violent, avec ses guitares vaporeuses et ses mélodies cotonneuses, surfe crânement sur la vague du revival shoegaze, mais sonne avant tout comme un disque de Mount Kimbie. Là où les jeunes pousses tentent de renouveler le genre en suivant les pas de leurs glorieux ainés, parfois avec brio comme chez deary ou TTSFU, Mount Kimbie font encore mieux, ou tout du moins différemment, ils s'en approprient les codes pour en restituer une version hautement personnelle.

Dom et Kai se sont rencontrés sur les bancs de l'université de Southbank où ils étudiaient le cinéma. Naquit alors une véritable bromance voyant les deux apprentis cinéastes délaisser leurs rêves de palme d'or pour passer l'essentiel de leur temps à triturer leurs machines dans leur petit home studio de Peckham. Mais, depuis 2017, les anciens inséparables font chambre à part, l'un vivant à Los Angeles et l'autre à Londres. L'écriture de The Sunset Violent a donc fort logiquement pris des allures de grandes retrouvailles et comme dans toute thérapie de couple constructive (quel oxymore !), chacun y a mis du sien pour que tout se passe bien. Le duo s'est ainsi transformé en quatuor pour apporter un peu de fraîcheur et insuffler une dynamique de groupe, ils se sont tous deux délestés de leurs marottes hip-hop ou techno sur leur précédent disque dont on ne retrouve ici aucune trace et, surtout, ils se sont isolés pendant un mois à Yucca Valley en plein désert des Mojaves. Principalement peuplée de coyotes, scorpions et serpents à sonnettes, les promenades en ville y sont tout autant déconseillées que les trajets en transport en commun à Paris pendant les Jeux Olympiques. Dom et Kai ne pouvaient donc faire guère autre chose que de travailler sur l'album, la principale inconnue en étant le dénouement façon Brokeback Mountain ou Duel au Soleil.

Attention spoiler, leur séjour à l'Est d'Eden se termina par un happy end suivi d'un retour au bercail pour enregistrer l'album à Londres en compagnie de leurs deux nouveaux acolytes et de leur éternel compagnon de route Archy Marshall aka King Krule qui pose sa voix rocailleuse sur Boxing et Empty And Silent. A l'image des terres sur lesquelles il a été composé, The Sunset Violent (tiens, encore un oxymore) va à l'essentiel, systématiquement délesté de tout gras ou tout effet superfétatoire, il ne compte que neuf titres pour une durée de trente-sept minutes. Un album court et à l'os, presque aride, mais dont l'horizon s'étend à l'infini.
Si Mount Kimbie demeurent une hydre à deux têtes et désormais huit jambes, ils semblent parler pour la première fois d'une seule voix. On aimait leurs trois premiers albums pour leurs incessants changements de styles, chaque morceau étant éligible au crédit impôt recherche musicale. On adore leur quatrième pour sa cohérence et son unicité de ton. Une première écoute distraite pourrait laisser croire à une certaine monotonie et entrevoir un opus manquant de relief et de titres accrocheurs. Une première écoute distraite suffit quand il s'agit du bruit des travaux de ses voisins (ndlr : James Stewart likes this) mais pas pour analyser un album de Mount Kimbie. C'est là où toi, fidèle lecteur de Sound of Violence canal historique faisant régner la peur et le respect sur notre forum (excuse-moi, sur TON forum) ou simple internaute suivant le hashtag « oxymore » et arrivé par hasard sur le meilleur webzine du monde traitant en langue française de l'actualité musicale britannique et irlandaise, tu vas devoir te mettre à bosser. Car un grand disque n'est pas juste l'œuvre d'un grand groupe, c'est la rencontre d'un grand groupe et d'un grand auditeur.

The Sunset Violent a été pensé dans le désert californien puis mis en forme dans un studio londonien mais il n'existera vraiment que dans tes oreilles, que celles-ci se trouvent à Paris, Melun, Niederschaeffolsheim, Pouldreuzic, Cancale ou Kyoto. Il suffit de tendre une oreille classée pour réaliser que bien que la production de l'album soit discrète, elle n'en est pas moins complétement folle, un peu comme mon ex. Les neufs titres de The Sunset Violent sont portés par un son ultra organique, lié d'une part à l'utilisation prépondérante des guitares, fait relativement rare pour un groupe issu de la scène électronique et d'autre part par celle de la boîte à rythmes LinnDrum popularisée dans les années quatre-vingt par des groupes aussi variés que Prince, Dead or Alive ou A-Ha ainsi que par les bandes originales de Miami Vice et du Flic de Beverly Hills (ouais, mec !). La particularité de la LinnDrum est d'avoir été la toute première boîte à rythmes à utilisant des échantillons issus d'un vrai kit de batterie.
Un autre point fort du LP est son nombre limité de titres. La répartition des revenus des plateformes de streaming incitant les artistes à sortir des albums avec le plus grand nombre de titres possibles, on se retrouve souvent avec de disques comme le dernier Beyonce qui affiche vingt-six plages au compteur dont plusieurs d'à peine une minute. Certains jugent cela révolutionnaire et ça l'est sûrement si on est actionnaire d'un fonds de pension coté en bourse. Le portefeuille-titres de notre rédacteur en chef a beau avoir généré un rendement au cours de l'année passée qui aurait à lui seul permis de prolonger Kylian Mbappé au PSG, nous autres scribouillards de l'ombre préférons nous contenter d'œuvres privilégiant la qualité à la quantité avec neuf titres impeccables comme sur The Sunset Violent ou l'épatant Effigy de Talk Show.

On a beau régulièrement tresser des louanges à Dom Maker, il faut admettre qu'il ne possède pas la plume d'Oscar Wilde (Gérard Larcher me glisse à l'oreillette qu'Aya Nakamura non plus. Pas faux Gégé, mais ce qu'on veut vraiment savoir est si en catchana baby, tu dead ça.) Sans tout connaitre de leurs vies personnelles, on ne peut qu'observer que leur relation fusionnelle a pris du plomb dans l'aile et constater que ces chansons écrites à une poignée de kilomètres du parc de Joshua Tree ne font rien d'autre qu'hurler « With or without you, I can't live ». Quelques exemples : « Wake me up next time you're round, Wake me up next summer man » (Dumb Guitar), « Now is there someone you need, maybe someone unique » (Shipwreck), « You've got me fucked up, I've been waiting on you » (Got Me) ou encore « Just wake up one day, I'm right back where it all began » (A Figure In The Surf). Grâce à son esprit de synthèse, Lara Fabian aurait tout résumé en une simple punchline, « Je t'aime, comme un fou, comme un soldat, comme une star de cinéma ».
On recommande d'écouter The Sunset Violent d'une seule traite, dans l'ordre et plusieurs fois ! Pas forcément d'affilé, sauf si vous si vous ne pouvez pas vous en empêcher, car les belles sorties d'albums s'enchaînent en ce début de printemps (celui de Vegyn, premier 5 sur 5 de l'année et qui sort le même jour, mais aussi dans la foulée les premiers LP de English Teacher, Nia Archives, Big Special et porij, pour ne parler que des petits nouveaux). Si vous préférez picorer, la puissance et l'efficacité mélodique de Dumb Guitar, Shipwreck, Fishbrain et Empty And Silent feront office d'excellentes portes d'entrées. Les fans de shoegaze se jetteront sur l'instrumental The Trail ou les lents et sombres Boxing, A Figure In The Surf et Yukka Tree et tout le monde se câlinera sur le piano chatoyant et la douce mélancolie de Got Me.

Après avoir passé des années à chercher et à innover et alors même qu'on pensait qu'ils étaient sur le point de se perdre, Mount Kimbie nous offrent avec The Sunset Violent leur album le plus simple et le plus facile d'accès mais peut être aussi leur meilleur, signe d'un groupe qui, à force d'emprunter systématiquement les chemins de traverse et d'avancer en refusant de suivre toute boussole, a fini par pleinement se trouver.
tracklisting
    01. The Trail
  • 02. Dumb Guitar
  • 03. Shipwreck
  • 04. Boxing (feat. King Krule)
  • 05. Got Me
  • 06. A Figure In The Surf
  • 07. Fishbrain
  • 08. Yukka Tree
  • 09. Empty And Silent (feat. King Krule)
titres conseillés
    Dumb Guitar - Fishbrain - Empty And Silent
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