Palace

Allongé sur le canapé, la tête sur deux oreillers et une marmotte en peluche, je regarde le soleil strier mon plafond de ses rayons, chaleureux voyeur incrustant sa personne par l'interstice de volets entrouverts. Du bout du pied, je tire un pan de fenêtre à moi, et laisse le vent flotter sur mes joues, enlacer mes bras, et amener avec lui la fraîcheur de l'averse passée. L'esprit dérivant d'une illusion à une autre, j'imagine encore mille choses qui n'auront jamais cours, et songe que le nouvel album de Palace sort demain. Deux heures maintenant qu'il tourne à côté de moi, berçant une sieste de printemps dont la douceur ne ramènera pas le temps perdu, mais lui donnera la valeur inestimable que l'on accorde aux erreurs suaves, à l'oisiveté coupable qu'aucun bonus de fin d'année ne pourra jamais offrir.

Les chansons défilent, l'âme en pleine digestion mélange autant les accords que les aliments, les nappes électroniques brouillent des sens qui ne se soucient déjà plus du haut ni du bas. Je ferme les yeux, et plonge dans un océan au-dessus du ciel, celui dont Jéhovah se servit pour inonder la Terre. Sous moi je vois une ville, et au-dessus aussi, comme si le monde n'était plus qu'un donut à la fraise entourant une goutte d'eau. Des cauchemars et des crèmes glacées flottent avec moi, dans cet espace abyssal où la musique se déforme et s'étire, puis sur moi se replie sous la pression du reflux sanguin. L'eau est rouge dans un cœur battant la chamade, si vite qu'il s'en déchire et me répand sur le sol moelleux, où me revient l'idée de retourner à ma sieste. J'espère que quelqu'un prendra le temps d'écrire une jolie chronique sur cet album. Quelqu'un de moins occupé à faire la sieste.

Cet album, c'est le quatrième de Palace, regroupant les deux EPs sortis l'année dernière, agrémentés de six nouvelles chansons dont les sublimes Love Is A Precious Thing et Son, ainsi que la faussement badine Say The Words. Un album pour moitié délicat et rêveur, aux chansons douces et soyeuses, quand filent avec mélancolie Bleach, Make You Proud, Inside My Chest, ou encore How Far We've Come. Un album pour moitié dense et terrible, évoquant l'anéantissement par l'accumulation de couches électroniques, étouffant l'homme fou dans le confort d'un oreiller glissé sur la bouche, mort intérieure et silencieuse de l'esprit brisé, capitonné dans ses rêves défaits. Une descente vertigineuse provoquée par When Everything Was Lost, Nightmares & Ice Cream, All We've Ever Wanted, et la finale Goodnight, Farewell. Farewell my friend, mais un adieu qui n'en est sans doute pas un, tant Palace semblent expérimenter ici une musique plus lente, plus intérieure, plus inquiétante aussi, reflet d'une transition en cours qui n'en est sûrement pas à son apogée.

Car on reprochera tout de même à Ultrasound une étrange sensation d'hétérogénéité, typique du jeune groupe qui tâtonne et concatène des EPs, ainsi que, paradoxalement, de trop grandes similitudes de rythme laissant la lassitude s'installer le long de l'écoute, manquant de sublimer les chansons les plus lentes par le contraste de titres plus dynamiques. Reste que chaque chanson prise séparément est assurément une petite perle n'attendant plus qu'un collier à sa mesure, et si un album du calibre d'Ultrasound est pour Palace un album qui se cherche, l'on ose imaginer ce que cela donnera quand le quatuor se sera de nouveau trouvé.