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Joe Goddard

Harmonics

Joe Goddard - Harmonics
Chronique Album
Date de sortie : 12.07.2024
Label : Domino Records
4
Rédigé par Franck Narquin, le 11 juillet 2024
« La photographie, c'est la vérité et le cinéma, c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde ». On aime toujours réciter l'évangile selon Saint Jean-Luc. Tandis que dans la famille Goddard (on n'est pas un à d prêt), Joe a beau avoir fondé le son Hot Chip, remixé avec brio le Who's Who de l'électro-pop des quinze dernières années, lancé Tirzah et Disclosure sur son label Greco Roman, il reste condamné à demeurer sous-coté, à n'être que le gros sympa de Hot Chip. On avance à petits pas. Les femmes, les gays et les noirs qui marquent des buts commencent à être acceptés, mais pour les reubeus, les trans, les gros et Ousmane Dembélé la marche reste longue. En tant qu'ex et futur gros et lamentable joueur de football, je sais de quoi je parle. Car oui Joe Goddard est peut être un des mecs les plus importants de la musique anglaise du siècle en cours, mais comme il n'a ni la petite gueule ni la grande gueule de Liam, il brille moins, fait moins de bruit. Pourtant, jusqu'à nouvel ordre, il y avait belle lurette que le Royaume-Uni n'avait pas vu tel génie de la pop électronique. Harmonics n'est pas l'album du siècle et reste assez loin du niveau de la sainte trinité que composent The Warning, Made In The Dark et One Life Stand, mais Joe mérite un peu plus de respect et de considération. Joe Goddard maintenant remis à sa place, celle qu'il mérite depuis longtemps, on va pouvoir sans crainte remettre Harmonics à la sienne.

Les invités sur ce disque sont aussi nombreux que prestigieux. On y compte entre autres Alexis Taylor et Al Doyle, membres de Hot Chip, Eno Williams de Ibibio Sound Machine, le rappeur britannique Oranje, l'ancien leader de Wild Beasts Hayden Thorpe, Tom McFarland de Jungle, la chanteuse guinéenne Falle Nioke et le musicien de jazz britannique Alabaster DePlume. Ces luxuriantes collaborations ne visent pas comme trop souvent à gonfler le nombre de streamings mais témoignent de l'ouverture d'esprit de l'anglais et de son sens inné du jeu collectif. Ainsi, il confie « si j'ai voulu appeler cet album Harmonics, c'est en partie parce que j'essayais de créer quelque chose de très inclusif et empathique, quelque chose d'harmonieux. Il y a beaucoup de divisions agressives dans le monde, et je voulais que ce disque soit aimant, romantique et amusant ». Pop, électronica, soul, funk, house ou garage, la musique de Joe demeure avant tout celle de la rencontre et du partage. En bref, la musique d'un chic type, celui qui bosse dans l'ombre, récupère le ballon et délivre aux autres les passes décisives. Joe Goddard, Ngolo Kanté, même combat. Que des numéros 6 dans ma team.

L'album s'ouvre avec Moments Die, petit bonbon aussi acidulé qu'amer célébrant la mélancolie dansante de Hot Chip. Mais on touche vite la limite des albums solo de Joe Goddard, bien que celui-ci soit surement son meilleur, avec Progress qui s'avère presque trop progressiste à vouloir marier afro-beat, vocoder, french touch, refrain grandiloquant de pop 80's et instrumentations jazzy dans un unique morceau. De même, si Destiny tape en plein dans la tendance actuelle de la musique de club vocale 90's, ce titre est loin d'en être la plus brillante version entendue cette année, tandis que bien plus classique, moins ambitieux et un peu plus mainstream, New World (Flow) nous impressionne nettement plus, tout simplement car c'est une bien meilleure chanson. L'éternel joueur collectif pêche quand il force son talent, quand il veut trop prouver ce qu'il est capable de faire, enchainant dribles et passements de jambes tout en oubliant de regarder le jeu. Pourtant c'est quand il la joue simple qu'il nous touche le plus et que sa musique fait mouche.

Quand il s'efface sur When Love's Out Of Fashion pour laisser Oranje briller, il fait mouche. Quand tout seul, il livre la pépite pop Follow You, aussi simple que touchante, il faut mouche. Mais quand il s'invente roi du breakbeat 2step sur On My Mind, il fait fausse route. Heureusement, Il retrouve rapidement le bon chemin avec Summon et When You Call, impeccables hits électro-pop auxquels il manque juste ce petit je ne sais quoi qui font que des tubes de Hot Chip sont des tubes de Hot Chip. Sur Out At Night, il ralentit le rythme et nous livre un morceau atmosphérique tout en vocoder ouateux digne du grand gourou Oneohtrix Point Never (l'Aphex Twin des années 2000). Hot Chip a beau être un quintet, les trois membres clés en sont Joe, Alexis Taylor et Al Doyle. Ainsi on retrouve avec bonheur la voix d'Alexis et la touche d'Al sur l'envoutant Mountains.

Les trois derniers titres font presque office de rappel avec des featurings de hauts vols aux styles très différents. Tom McFarland de Jungle apporte son groove soul et sa voix de tête sur l'hypnotique Ghosts et là où le titre avec Ibibio Sound Machine se perdait à vouloir emprunter de trop nombreuses voies, Miles Away vise en plein mille avec une formule minimale composée d'uniquement deux éléments, un chant afro à la ligne claire et une section rythmique rave aussi épurée qu'addictive. Revery vient clôturer l'album avec brio. Sa première partie s'impose comme une petite merveille de house pointilliste à la Four Tet tandis que sa seconde nous transporte avec son électro-jazz libre et légère comme une plume.

Fort de ses dix invités, ses quatorze titres et sa durée supérieure à une heure, le troisième album de Joe Goddard affirme sans fard ses grandes ambitions. S'il en fait parfois trop, s'il lui manque par moment un peu de folie et s'il peine à se hisser au niveau des plus grandes réussites de Hot Chip, Harmonics s'impose sans mal comme un des disques importants de 2024 et comme une impressionnante démonstration de l'étendue du talent de l'anglais. On conclura cette chronique comme on l'avait débutée, en citant l'évangile selon Saint Jean-Luc car avec Harmonics, Joe Goddard substitue à nos oreilles, un monde qui s'accorde à nos désirs.
tracklisting
    01. Moments Die (feat. Barrie)
  • 02. Progress (feat. Ibibio Sound Machine)
  • 03. Destiny (feat. Findia)
  • 04. New World (Flow) (feat. Florious)
  • 05. When Love's out of Fashion feat. Oranje)
  • 06. Follow You
  • 07. On My Mind
  • 08. Summon (feat. Hayden Thorpe)
  • 09. When You Call (feat. Findia)
  • 10. Out at Night
  • 11. Mountains (feat. Alexis Taylor & Al Doyle)
  • 12. Ghosts (feat. Tom McFarland)
  • 13. Miles Away (feat. Falle Nioke)
  • 14. Revery (feat. Alabaster dePlume)
titres conseillés
    Moments Die - Follow You - Miles Away
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