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Reeperbahn Festival 2025

Dossier réalisé par Adonis Didier le 22 octobre 2025

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Des néons partout, des sex-shops aussi, des dames en lingerie qui dansent aux fenêtres, des bars, des discothèques, des théâtres et des kebabs sur deux kilomètres, et au milieu de tout ça : un festival. Le Reeperbahn Festival c'est son nom, situé à Hambourg et centré autour de la célèbre Reeperbahn avenue, résultat d'un mélange des plus dangereux entre le Strip de Las Vegas et Pigalle. Un festival au croisement de The Great Escape, SXSW, Block Party et Left Of The Dial, où on passe d'une salle à une autre en plein centre-ville en esquivant la faune locale et la tentation de passer sa soirée au bar. Mais ne soyez point perdus, inquiets ou impressionnés, car heureusement pour vous, vous êtes tombés sur le guide ultime du festivalier urbain, la bible du marcheur solitaire en quête de son, bien décidé à monter jusqu'aux confins du territoire allemand pour se mettre une bonne dose de rock derrière les tympans, et ça commence maintenant.

Partie 1 : Hambourg, kézaco ?
Alors déjà, pour finir à Hambourg, comptez en partant de Paris : neuf heures de train avec probablement un changement à Mannheim ou une heure et demie d'avion. Un choix difficile mais que j'ai quand même tenté en train parce que vive la planète, et vive la gouaille de Jean-Philippe Jaworski pour passer le temps. Ensuite, pour le logement, le festival est globalement bien desservi en métro, donc même en logeant vers la gare centrale ou à l'est de la ville, comptez à peine plus de vingt minutes pour rejoindre la zone du festival qui consiste, très basiquement, en un triangle entre les stations Reeperbahn, St. Pauli et Feldstrasse. Et si vous préférez être au plus près du festival, hors adepte de la grosse fiesta toute la nuit, évitez l'avenue Reeperbahn et les rues adjacentes, et préférez le petit quartier art-bobo au nord entre Bernstorffstrasse et Wohlwillstrasse.


Partie 2 : Les salles, ou comme on dit là-bas, « die Konzertsäle ».
L'avantage du Reeperbahn Festival, si on le compare à tous ses petits copains festivals de centre-ville, c'est la proximité des salles. Presque toutes condensées sur Reeperbahn avenue ou à une rue de là, pas de vingt minutes de marche entre chaque concert, quasi pas de sacrifices à faire sur le programme, le festival se veut simple d'organisation et pas un prétexte à faire une grande randonnée. D'ailleurs les salles ne sont généralement pas remplies, à part pour les groupes les plus hypes, et le « turnover » est assez important, dans le sens où une partie du public travaille dans l'industrie musicale et va voir des groupes pour se faire un avis en quinze minutes avant de ressortir. Donc si la file avance, ça vaut le coup parce que vous devriez souvent rentrer en cinq minutes. Dernier tip, l'appli pour smartphone sur laquelle la fréquentation des salles est assez correctement mise à jour et permet de savoir si la prochaine destination est déjà pleine ou non. Et pour vous donner un petit avant-goût de chaque lieu, voici une présentation détaillée de la logistique ainsi que des groupes qu'on a pu trouver à l'intérieur.


Molotow Club : Commençons par le commencement, LE club de rock et de punk historique d'Hambourg. Des murs tapissés d'affiches des plus grands groupes passés par là, et du haut de ses marches d'escalier, trente-cinq ans d'histoire nous contemplent. De l'intérieur, le lieu ressemble à un Supersonic grand format, mi-boîte de nuit mi-salle de rock, et si vous êtes amateur de rock et de punk c'est là que vous passerez la majorité de votre temps. Cette année 2025 on a eu droit à :
The Pill : bombinette punk féministe en duo, Lily et Lottie qui font du Lambrini Girls en plus pop sur l'île de Wight. Si vous aimez les concerts énervés, c'est par là.
Florence Road : encore des irlandais qui montent, Florence Road c'est du Cranberries version adolescente, du grunge-pop qui balance entre écorché et mièvre mais quand ça fonctionne, qu'est-ce que ça fonctionne !
Getdown Services : le concert le plus drôle et déhanché de la semaine au Molotow. Deux anglais qui font un one-man show sur scène entre musique disco-soul-rock et vannes sur les allemands et leur légendaire sens du fun. Si vous voulez faire la fête, Getdown Services à votre service.
Man/Woman/Chainsaw : Peut-être le meilleur groupe du festival, et peut-être le meilleur jeune groupe de ces douze derniers mois. Six sur scène pour une déferlante de rock épique magnifié par des tempêtes de violon, des voix entremêlées et pas une chanson en-dessous d'excellent, que demande le peuple ? Sûrement un homme, une femme, et une tronçonneuse.
Full Flower Moon Band : Le Reeperbahn ce n'est pas que de l'anglais irlandais, c'est aussi des australiens, et pas n'importe lesquels. Le secret le mieux caché du hard-blues wallaby, Full Flower Moon Band c'est la puissance d'un trente-cinq tonnes, la nervosité d'un crotale sous speed et la sensualité ébréchée de sa frontwoman Babyshakes. Trois guitares en bandoulière, les riffs pleuvent, la sueur coule, et si un certain chroniqueur s'est fadé dix-huit heures de train aller-retour, c'est en grande partie pour ces quarante-cinq minutes de bonheur à l'odeur de gasoil.
slate : Alors, avant de parler de slate, laissez-moi vous parler du Molotow Top10. En résumé, c'est la même entrée, mais ça veut dire que le groupe va jouer dans un recoin au sous-sol entre le bar et les toilettes, un concept qui fera qu'on ne verra pas grand-chose du concert de slate, mais sachez que ce sont des gallois ténébreux et torturés, ça joue d'un genre de post-punk un peu dans les mêmes tons, et ça déclame de grands poèmes en gallois au milieu du set. Bref, ça vaut le coup si vous aimez ça.
Teenage Dads : Autres australiens, autre ambiance. Ici on va chercher vers la pop la plus pure et les plages de Victoria. Petite reprise gratos de Video Killed The Radio Star, parce que Royel Otis ont prouvé que reprendre une chanson un peu kitsch ça marchait du feu de dieu, et s'il fait dix degrés dehors il en fait bien plus dans le Molotow. Parce que oui, aurais-je oublié de vous dire que c'est toujours blindé et chaud quand j'ai parlé de « Supersonic grand format » ?
Carsick : l'alliance anglaise du pop-punk et du grime, de la violence sonore et des refrains faciles sur un phrasé ultra-rapide. Et évidemment du bordel. Des mecs intenables sur scène qui créeront l'un des seuls pogos du festival, ça part jouer dans la fosse, ça incite à la baston et à finir ses pintes cul-sec, bref c'est con mais c'est fun et c'est surtout terriblement efficace en live.
naya mö : retour au Top10, c'est-à-dire au sous-sol, et pour naya mö pas tellement besoin de voir. L'idée est plus de se faire emporter dans le très joli dream rock de la bordelaise (oui, une française, vous avez bien lu, et ce sera la seule), alors on ferme les yeux et on s'assoit au bar prendre un Fritz-Kola, parce qu'à choisir c'est encore meilleur que la bière locale.
The Buoys : nouveau tour du monde, retour en Australie et plus précisément à Sydney. The Buoys, le top of the pop-rock locale avec Teen Jesus And The Jean Teasers, et une collection de chansons adultescentes faites de peines de cœur et de solos de guitare, The Beths infusés à Green Day et au pop-punk californien. Zoe, Tess, Hilary et Courtney qui prouvent que, finalement, les australiens qui font le mieux du rock ce sont encore les australiennes.
Laura-Mary Carter : programmer Laura-Mary Carter à 23h au Molotow un samedi soir ça porte un nom, c'est du terrorisme. L'anglaise en solo et sa très jolie pop-country tirée des années 50 devant un parterre de gens probablement venus entendre du Blood Red Shoes, y a-t-il vraiment besoin d'en dire plus ? Au moins on aura vite gagné de la place dans la fosse pour apprécier la musique tendre et délicate de Laura-Mary, accompagnée de son groupe et devant se débrouiller avec des instruments prêtés parce que British Airways et les bagages, ça fait deux. Un grand bravo, même si on aurait clairement préféré la voir dans un théâtre ou une église, et quel bonheur ça aurait été.


Stage 15 : Sorti du Molotow, vous avez exactement un passage piéton à traverser et une cinquante de mètres devant des sex-shops à parcourir pour arriver jusqu'au Stage 15. Un bar plutôt bien foutu et aéré, doté d'une petite fosse avec devant elle une petite scène, petite scène orientée découvertes pop et artistes débarqués dans l'espoir de se faire un début de réputation outre-Manche :
PUNCHBAG : de la pop de stade dans une cave, c'est ultra punchy, Clara Bach hurle et saute sur scène pendant que son frère Anders jongle entre sa guitare et son clavier, le truc est pensé pour le live, leur batteur finira avec une serviette sur la tête pour se rafraîchir. Bref, le nouveau groupe préféré des fans de grosse pop rentre-dedans qui carburent au Redbull.
Ellie Dixon : toujours de la pop, mais moins jeune et bourrine, Ellie Dixon est un one-woman show armé d'une basse et secondé d'un batteur. L'armure complète de ses concerts UK n'aura visiblement pas passé la douane, mais l'âme de la chevalière et de son EP Tales Of A Knight reste entier, sans compter les jams funky en live, l'exercice de chant en superposant trois lignes vocales de suite pour recréer le Dancing Queen d'ABBA, et enfin Feel Good Inc. de Gorillaz mélangée au New Rules de Dua Lipa. Une tournée auto-financée pour la bombe pop Ellie Dixon, dont on espère qu'elle finisse par exploser au grand public, parce que le même concert devant deux milles personnes oh mama !

Nochtspeicher : à deux ou trois rues vers le fleuve, la porte à côté du musée de l'érotisme, LE bar rock-folk-country de Hambourg. Mi-speakeasy mi-ancienne usine désaffectée, le Nochtspeicher est la définition même de la ville dans laquelle il se trouve, en plus d'être une salle avec une âme et une ambiance radicalement envoûtante. Les hasards de la programmation auront fait que l'on n'aura qu'un concert entre ses briques rouges et ses poutres apparentes, mais quel concert :
Westside Cowboy : la lignée du W, un mélange explosif de Weezer et de Wilco venu de Wanchester, une ville qui est à Manchester ce que Wario est à Mario et Waluigi à Luigi. De la folie, des mélodies, et la fougue d'une jeunesse hilare pour propulser la fusée Westside Cowboy vers des hauteurs rarement atteintes par de l'americana. Le Nochtspeicher est blindé, la hype semble infinie, et tout cela se finira comme toujours à quatre autour d'un même microphone, d'un tom et d'une guitare. Une bande de potes au génie pas fait exprès, à jamais les premiers et les derniers Gaston Lagaffe du rock britannique.

Angie's : situé sur la grande avenue, avec sa petite entrée en trou de souris à côté du grand théâtre Tivoli, ce qui est d'habitude une boîte de nuit orientée rock et cocktails sera cette semaine dédié à combler les trous du programme. Du garage, de la folk, du gros métal, on n'ira pas chercher la cohérence mais on profitera des tables pour s'asseoir un peu et se détendre avec un très joli concert, probablement le plus calme de la semaine au Angie's :
Flora Hibberd : « Dans ma tête c'est du punk mais le reste du groupe appelle ça du folk » est peut-être la meilleure description que l'on pourrait faire de Flora Hibberd. Une londonienne qui vit à Paris depuis une dizaine d'années, et voilà que l'on attend d'être à Hambourg pour la découvrir, elle, son folk-rock délicat et sa voix profonde. Des airs de King Hannah ou d'Anna B Savage, mais au global surtout du Flora Hibberd, pour l'occasion en formation réduite avec elle et son guitariste, et une petite demi-heure plus qu'appréciable hors du temps.

Grosse Freiheit 36 : la Grosse Liberté numéro 36, et la seule enseigne lumineuse de la rue Grosse Freiheit à arborer une guitare et non un ou une pin-up. Rue perpendiculaire à Reeperbahn avenue dont le croisement se nomme Beatles Platz, on imagine tout et n'importe quoi en rentrant dans Grosse Freiheit 36, et la vérité est encore plus surprenante. Une salle immense, un saloon géant à deux étages aux balustrades en bois massif du Texas qui servira principalement à passer du rap, de l'électro, de la pop, et ce truc un peu inclassable que deux gars ont décidé de titrer BIG SPECIAL :
BIG SPECIAL : Le Gros Spécial dans la Grosse Freiheit, et à peine le temps de rentrer que déjà « England is a shithole ! ». Callum à la batterie, Joe aux hurlements et aux déclamations engagées, la scène est immense mais encore trop petite pour ce groupe engendré par l'infidélité d'une bétonneuse avec un complexe HLM. Les deux enragés descendent dans la fosse pour chercher de la weed, ça crie « Free Palestine », ça klaxonne entre les chansons, et ça finit en ouvrant la valise du merch pour commencer la vente en direct, du producteur au consommateur. Allez-y, il n'y aura aucun regret, et si ça vous donne envie de caillasser l'Elysée, c'est du bonus.


Kaiserkeller : La porte à côté du Grosse Freiheit 36, le Kaiserkeller c'est là où Ringo a rencontré les Beatles, et là où les quatre garçons dans le vent seraient devenus, selon leurs propres mots, un vrai groupe de rock et des adultes. Pour le côté adulte je vous renvoie à la définition du quartier de Reeperbahn, et pour le groupe de rock c'est effectivement la DA du Kaiserkeller, un immense sous-sol industriel bas de plafond dédié à l'électricité suante et puante :
Gallus : la scène punk de Glasgow, une petite niche qui tape aussi fort que son accent est imbitable, et entre SOAPBOX et Gallus son avenir est bien assuré. Un pogo dès la deuxième chanson, le set le plus bordélique du festival, Barry le frontman qui fête ses trente ans avec une bougie dans une bouteille de bière et une flasque de whisky, ça va vite et ça va fort et c'est très con, mais qu'est-ce que c'est bon ! « Si vous êtes de l'industrie, on fera Glastonbury en 2027 », en tout cas on te le souhaite, et vive Gallus !
Dream Nails : du riot-punk au pop-punk, le trajet musical de Dream Nails qui après avoir changé deux fois de chanteuse se sont fixées sur un trio plutôt qu'un quatuor. Anya Pearson qui débarque les cheveux rasés et blonds, le crush sur sa coiffeuse est visiblement toujours là, les solos de guitare aussi, et les chansons qui marchent le mieux sont encore les nouvelles parce que pensées pour être jouées à trois. C'est DIY, c'est fun, c'est engagé, et c'est surtout de la très bonne musique, sans compter que vous pouvez repartir avec des baguettes gratos si vous promettez de vous mettre à la batterie dès le lendemain !

Bahnhof Pauli : Pour les moins germaniques d'entre vous, bahnhof ça veut dire gare, et c'est bien tout le concept de la Bahnhof Pauli. L'ancienne station de métro de Sankt Pauli reconvertie en salle de concert, avec le typique plafond arqué et les ventilateurs géants de rigueur. Un climat parfait autant pour de la techno berlinoise que pour le shoegaze torturé, et en parlant de shoegaze torturé :
Just Mustard : un des plus gros coups de cœur de cette édition, le retour de Just Mustard après trois ans d'absence. Le groupe a haussé le niveau, dynamisé son shoegaze industriel ectoplasmique, les nappes métalliques résonnent dans les circuits de ventilation, les guitares crissent comme les freins du métro, la batterie s'écrase sur le béton comme les pas d'un million d'hommes et de femmes coincés dans leur routine morbide, et rarement l'alliance d'un groupe et d'une salle aura aussi bien fonctionné qu'en cette fin de soirée dans les entrailles de la Terre.

Pocca Bar : Un petit bar tout le temps blindé dans lequel vous ne verrez probablement jamais le groupe, donc à part si c'est votre concert de la semaine, à éviter :
The Funeral Crankies : ça aussi, à éviter. Un grunge-doom allemand au chant approximatif et à la rythmique incertaine, on n'était pas dans les meilleures dispositions mais même, comme on disait en 2007, Next !


Uebel & Gefährlich : Anecdote ! Le Uebel & Gefährlich est une salle située au quatrième étage du bunker St. Pauli sur Feldstrasse, un bunker anti-aérien de trente-cinq mètres de haut construit en 1942, un truc absolument immanquable qui surplombe le stade municipal ainsi que le village du Reeperbahn festival. Une vue absolument magnifique sur la ville de Hambourg depuis les escaliers extérieurs, mais malheureusement pas d'accès à l'intérieur depuis là, et devinez qui a monté trois cent quarante marches avant de s'en rendre compte ? Heureusement, le coucher de soleil était sublime, mais retenez que l'entrée est au rez-de-chaussée et qu'il faut monter depuis l'intérieur, ça vous évitera quelques crampes. Pour ce qui est de la salle, c'est grand, légèrement en pente, et bien foutu pour les concerts de rock qui y ont régulièrement lieu, comme SPRINTS en mars prochain par exemple (au hasard) :
Chloe Slater : la sensation pop-rock anglaise qui monte et qui monte, et une jeune musicienne de plus en plus rôdée à l'exercice du live. Vue trois fois cette année et à chaque fois une nouvelle marche de franchie, Chloe Slater est une tornade pop engagée et politique qui dénonce les conditions de vie en Angleterre et se pointe sur scène avec un drapeau palestinien. Et si vous trouvez ça trop pop sur disque, le live monte sérieusement les potards de la distorsion et tire sur les cordes vocales. Une artiste à voir absolument si vous voulez être à la pointe de la hype.
The Haunted Youth : des nappes de brouillard, partout des nappes de brouillard. Putain de blizzard comme diraient Fauve, mais le blizzard est le meilleur ami de The Haunted Youth, quatre belges perdus dans la neige, cachés par la brume, soufflant leur dream rock comme on souffle sur une vitre en hiver, dessinant dans la buée des motifs en tourbillon prêts à s'effacer d'un mouvement d'air. Une métaphore à peine métaphorique tant le groupe était une ombre dans la fumée violette, un contre-jour ravageur qui du dream rock possède autant le dream que le rock.

Knust : situé de l'autre côté de la rue par rapport au bunker, le Knust et le Uebel & Gefährlich sont les deux salles les plus éloignées de l'axe Reeperbahn avenue, comptez donc une bonne quinzaine de minutes à pied depuis le Molotow par exemple. On aura donc passé une soirée entière à simplement alterner entre le Knust et le Uebel, et c'était plutôt reposant pour être honnête. Une soirée marquée par un match du FC St. Pauli et autant vous dire qu'il y avait plus de monde devant le match à l'extérieur que dans la grande halle qu'est le Knust. Mais pour l'occasion il y avait aussi des food trucks, un bon moyen de manger un truc rapide et correct en ratant le moins de musique possible, et ça commence tout de suite :
Luvcat : le léopard de l'amour et ses bottes rouge cerise, l'alter ego veuve noire de Sophie Morgan Howarth, la réincarnation d'Amy Winehouse orchestrée par Aphrodite. Dr. Howarth et Mrs. Luvcat, une soul sombre mêlée à du blues brillant comme les lustres en cristal de la brasserie Zédel. Des hommes qui jouent toute la nuit du piano pour elle, qui l'emmènent à Paris et allongent les billets pour trois minutes de son temps, mais Luvcat ne rêve que de déjeuners chez Tiffany's et de mettre le feu aux planches du monde entier. Un cabaret à voir absolument... si votre cœur est suffisamment accroché.
Night Tapes : dans le genre à voir absolument, Night Tapes est un groupe qui se révèle exclusivement sur scène. Alors oui, il y a déjà un album, mais pour la véritable expérience, c'est en live ou rien. L'expérience de Iiris Vesik (iiris avec deux i), musicienne estonienne depuis exportée à Londres qui brûle de ce feu froid et chamanique partout où elle passe. Iiris vêtue en incantatrice du dancefloor et d'une dream pop aussi vaporeuse que dansante, le tout fait parfois kitsch, disco, eurodance, mais la joie et l'énergie dégagées ne laissent pas indifférent, on inspire, on expire, on lève les bras et on crie et on termine en boîte de nuit avec celle qui semble être prof de yoga à mi-temps et divinité scandinave à plein temps.
Far Caspian : dixit une amie, « un de mes trois meilleurs concerts de l'année ». Si vous êtes fan de rock très vaporeux, si vous êtes du genre à fermer les yeux pendant les concerts, Far Caspian est fait pour vous. Un feeling à la bdrmm, de belles chansons bien explosives sur la fin, on ne dira pas top 3 mais on dira qu'on était content d'y être !

St. Pauli Kirche : Une « salle » pas si bien située qui demande de traverser quelques allées ni bien éclairées ni bien fréquentées pour y accéder, mais le graal vaut bien les cinq minutes de pittoresque balade nocturne. La seule église du line-up, et c'est bien dommage parce que qu'est-ce que c'est beau un concert dans une église. Niveau programmation, pas vraiment du rock dans cette grande bâtisse dédiée à Sankt Pauli, mais plutôt des artistes en solo avec une voix qui crève le plafond et redessine la chapelle Sixtine en même temps, et d'ailleurs en parlant de ça :
I Am Roze : seule avec son guitariste devant un parterre comble de festivaliers assis les uns sur les autres, Roze revient de loin. Sans-abri en Louisiane en 2020 après l'ouragan Laura, obligée de déménager à Londres pour vivre plus sereinement sa non-binarité, I Am Roze s'est construite dans la résilience et affirme désormais qui iel est au point d'en faire son nom de scène. Repérée sur Instagram par Fred again.., la chanteuse soul et gospel a depuis gravi l'escalier qui mène au paradis, et c'est bien iel qui aura eu droit à la plus longue ovation du festival. La moitié de la salle est au bord des larmes, le reste a déjà sorti les mouchoirs, le son est gargantuesque et la sublimissime Dollar ne fera qu'ajouter de l'eau salée sur les paupières. Combien mon abonnement Spotify tue-t-il de personnes par jour ? Déjà trop, alors « Free Palestine, et free tous les pays du monde putain ! ». Roze, un des plus grands espoirs de la neo-soul internationale, et si vous ne savez pas encore qui iel est, c'est dans le nom, I Am Roze.

Imperial Theater : le Grand Rex en miniature tout en haut de Reeperbahn Avenue. Le théâtre impérial c'est deux étages de sièges face à la scène et des couloirs remplis d'affiches de vieux films d'horreur, et exceptionnellement pour le festival, c'est aussi une très jolie salle de concert. Quelques podcasts et débats de société en milieu d'après-midi puis la place à des concerts de folk en soirée, un écrin théâtral pour une musique du romantisme et de la tragédie lyrique, ou quand deux et deux font deux :
Rowena Wise : venue de Melbourne avec sa guitare, son jet-lag et ses histoires de cœur, Rowena Wise a deux qualités : un talent rare pour se mettre dans des galères amoureuses, et au moins autant de talent pour les raconter. Une chanteuse-guitariste très bavarde qui passe deux bonnes minutes entre chaque chanson à expliquer de quoi va parler la chanson suivante, une rupture par téléphone, vingt-six heures d'avion avec son ex, un nouvel an à Stockholm, sa découverte des curry wurst seulement quelques heures plus tôt, bref tout ce qui lui passe par la tête. Une belle manière de terminer un festival si vous êtes amateur de folk délicat et passionné, ou si vous voulez juste occuper trois quart d'heures avec une fille qui a des tas d'histoires à raconter.

Partie 3 : La conclusion.
Le Reeperbahn Festival, bien ou bien ? Eh bah pas mal, si vous aimez l'underground plus tellement underground, le curry wurst, les sex-shops, et si vous n'aimez pas courir partout pour voir dix groupes en une heure. Des qualités rendues possibles par une programmation plus resserrée sur des artistes indépendants mais déjà confirmés, des salles au global très proches les unes des autres avec des jauges bien réglées, des salles au son d'ailleurs toujours correct voire très bon et pour ce genre de festival c'est pas tous les jours, de quoi faire donc tranquillement cinq-six concerts dans la soirée et remplir détendu sa collection de cartes Panini extension rock underground.

Alors bien sûr, si vous étiez là pour voir Everything Everything clôturer le festival, oui c'était blindé, oui il fallait probablement y être une à deux heures en avance et y dédier sa soirée, mais est-ce qu'on va vraiment au Reeperbahn Festival pour voir Everything Everything ou Kate Nash ? Est-ce vraiment raisonnable de se fader neuf heures de train aller et neuf heures de train retour pour voir des gens qui de toute façon passeront à la Cigale ou au Trabendo ? Pas sûr, et en même temps j'ai fait dix-huit heures de train pour voir des groupes qui de toute façon passeront au Supersonic, donc qui vais-je juger ? Et pour les quelques points négatifs, disons que le plus gros défaut du Reeperbahn Festival, c'est clairement Reeperbahn. L'avenue principale du festival, Las Vegas x le quartier rouge qui, plutôt que de créer une ambiance de complicité festivalière propice à discuter et échanger des noms de groupes pour savoir qui aura la plus grande culture underground, donne la même envie qu'en plein milieu de la rue de Lappe à trois heures du matin : sortir de là le plus vite possible. Comme si le festival était une approximation négligeable dans le calcul des soirées hambourgeoises, le sentiment général d'être une fourmi audiophile dans un sous-bois de néons roses et de bouteilles brisées se fait rapidement sentir. Alors forcément, un festival en ville c'est toujours différent d'un festival classique sur un terrain vague, mais le Great Escape ou le Left Of The Dial se font facilement l'attraction principale de Brighton et Rotterdam pendant quelques jours, tout du moins dans la dizaine de rues qui concernent l'événement, on recroise des gens, on échange des sourires, et même à vivre l'expérience seul on s'amuse bien. Enfin, amateurs de pogos n'espérez pas que ce soit le feu en permanence, une grande partie des gens présents sont des professionnels de la musique, des attachés presse, des programmateurs, des gens pas venus là pour se la coller dans la moiteur d'un circle pit. Mais en choisissant les bons groupes, vous aurez quand même souvent l'occasion de vous détendre la nuque et de jouer un peu des épaules en toute camaraderie (et pas des coudes, vraiment rangez vos coudes dans les pogos les gens !).


En conclusion et en bref, si vous en avez l'occasion, le Reeperbahn est le genre de festival qui mérite d'être vécu, une expérience assez unique dans la vie de tout fan de rock indé, une plongée au cœur d'un monde étrange, chatoyant, rempli de grosses guitares et de menottes en fourrure, rempli de hallo, de danke schön et de berliner weisse. Et si vous avez un doute sur le fait que le concept vous plaise, il y a la Block Party en mai à Bastille, c'est tout pareil mais en plus petit et en moins allemand, alors n'hésitez pas à tester avant de passer à la version premium. C'était le petit routard du festivalier à Hambourg, abonnez-vous, mettez un pouce bleu, lâchez un commentaire, et sur ce : auf Wiedersehen !