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SPRINTS

Interview publiée par Adonis Didier le 25 septembre 2025

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Les irlandais et la canicule, ou la vie d'un mister Freeze perdu sur les dunes du Sahara. Début juillet à Paris, le thermomètre s'affole depuis maintenant deux semaines, et le meilleur groupe de Dublin City revient dans la capitale française pour promouvoir son deuxième album : All That Is Over, attendu le 26 septembre chez City Slang. Attendez, le meilleur groupe d'Irlande, Font... Eh non, c'est SPRINTS, alias Karla, Jack, Sam et Zac le petit nouveau, arrivé il y a un an en remplacement de l'ex-guitariste Colm O'Reilly.

Une interview à quatre dans une cave remplie de ventilateurs, parce que rappelez-vous il fait quarante degrés dehors et les irlandais fondent au soleil, de quoi évoquer à l'ombre une première année de musiciens à plein temps, l'arrivée d'un nouveau membre, un nouvel album dystopique et audacieux, l'Amérique, les tournées, et cette pression accrue des médias et des politiques sur tout ce peuvent dire les musiciens en 2025. Un thème qui suit d'une semaine le passage du groupe à Glastonbury, et quelques mois plus tard rien ne s'est vraiment arrangé, mais au moins il y a un nouvel album de SPRINTS qui sort et c'est déjà ça !

Pour ce deuxième album, vous êtes revenus enregistrer en France avec Daniel Fox, aux studios La Frette (ndlr : à La Frette-sur-Seine en banlieue parisienne). Vous prévoyez de déménager en France un jour ?

Karla : La France est une grosse part de notre histoire, mais c'est juste une coïncidence. On voulait un coin plutôt résidentiel, encore une fois on aime être en quelque sorte enfermés quelque part sans autre option que de faire de la musique. Ça nous évite les distractions du monde autour de nous, ça nous construit la petite bulle qu'il nous faut si on veut y arriver.
Zac : C'est aussi le seul pays qui a du beurre comparable au beurre irlandais ! (ndlr : du beurre salé)
Karla : Ouais, du beurre, du pain et du fromage !

Pour la sortie de votre premier album, vous veniez tous de quitter vos boulots « alimentaires » pour vous lancer totalement dans SPRINTS... Qu'est-ce que ça fait d'être musicien à plein temps depuis un an et demi ?

Karla : C'est fou.
Sam : Je suis plus occupé que quand j'avais un job.
Jack : Il faut dire que tu n'étais pas très occupé par ton boulot ! (rires) Il faut un temps pour s'y faire, parce qu'on a tourné genre tous les mois l'an dernier, donc il y a des moments où tu te dis que c'est intense. Mais on est super heureux de le faire et d'avoir la chance de le faire.
Karla : Je pense que la grosse différence c'est la santé mentale. Pouvoir finir une tournée, rentrer à la maison et juste se reposer, avoir le temps d'écrire ou juste de profiter de la vie au lieu de retourner directement bosser dans un 9h-18h, c'est royal. Ce qui nous plombait le plus avant c'était ce giga burnout mental, le stress de devoir trouver un équilibre entre deux vies très différentes, je me sentais comme Batman des fois !

Finalement, pendant cette grosse année, vous avez appris à vous accorder du temps libre et vous poser un peu ?

Karla : Je ne dirais pas qu'on a eu plus de temps libre, mais du temps libre de meilleure qualité. Parce que maintenant quand on a un ou deux jours off, on n'a pas à aller bosser, on peut juste redécouvrir le plaisir de se balader, de lire, de jouer en paix sans avoir mille trucs en retard à rattraper.
Jack : On a un job au lieu de deux, forcément ça soulage.

Oui, je comprends bien le sentiment (ndlr : je suis Batman). Devoir changer d'état mental en passant d'un boulot à un autre, et se reconnecter à sa partie créative ensuite...

Karla : Je pense que c'est la triste réalité pour quiconque bosse dans le domaine artistique et dans la création, le fait que ta passion ne paye souvent pas les factures. Tu dois faire deux, trois ou quatre boulots pour t'en sortir. Même nous cette année, sur notre temps libre, on se demandait « Oh merde, est-ce que je devrais prendre un petit boulot, du freelance ? Aller bosser quelques semaines chez un disquaire ? ». Parce que malheureusement il n'y a pas tant d'argent que ça dans la musique, en tout cas à notre niveau.

C'est ce dont parlait notamment Lily Fontaine (ndlr : chanteuse d'English Teacher), le fait que vivre chez leurs parents leur avait permis de survivre en tant que groupe, payer le loyer, toutes ces choses...

Karla : Oui, payer le loyer et tout ce qui va avec ça reste une grosse épée au-dessus de nos têtes, au-dessus de la tête de beaucoup dans notre société, mais on se débrouille et on en profite tant que ça tient.

Je suis désolé, on arrive maintenant à la partie difficile de l'interview, où on va devoir parler de Zac !

Zac : Oh mon dieu, pas moi ! (rires)

Colm qui est parti en milieu d'année dernière (ndlr : premier guitariste de SPRINTS, remplacé par Zac Stephenson), comment ça s'est passé, et comment vous avez géré ça ?

Jack : Ça a clairement été dur à vivre parce que c'était très soudain. On venait juste de terminer la première tournée de l'album, qui avait durée de janvier à mai je crois, et ensuite on avait deux semaines avant le début de la saison des festivals, et en avril il nous dit ça, qu'il veut partir, et on s'est dit « oh merde, qu'est-ce qu'on va faire ? ».
Karla : Oui, ça s'est passé juste avant la tournée irlandaise.
Jack : Pour être honnête, en termes de personnalité ce n'était pas tant une surprise, parce qu'il trouvait ça difficile d'être tout le temps en tournée, et il faut vraiment aimer ça pour continuer dans cette vie. Mais on s'est retrouvé dans cette situation, à réfléchir à ce qu'allait être le reste de notre année, et on a eu beaucoup de chance avec Zac qui nous a rejoints en une semaine ou deux. Au début, c'était censé n'être que pour l'été, la saison des festivals, on n'avait même pas vraiment réfléchi à la suite, mais immédiatement ça a cliqué, et on pourrait même dire que ça a amélioré beaucoup de choses, parce qu'on était tous là à 100% et qu'on se sentait tous bien de faire ce qu'on faisait, ensemble.
Karla : L'alchimie c'est un truc qu'on peut pas apprendre ou enseigner. Ça passe ou ça casse. Et notre idée de base c'était de prendre un musicien de studio/live et de rester juste nous trois, créer un groupe de confiance. Je veux dire, ça fait six ans et quelques qu'on joue ensemble, tu ne peux pas construire ça en trois jours, mais avec Zac il s'est passé quelque chose tout de suite, on a senti une alchimie sur scène, dans la dynamique, dans la manière dont on interagissait entre nous qui nous a donné un nouveau souffle. C'était une nouveauté qui a redonné du fun à ce truc qu'on faisait depuis des années.

Je suis très content que ça ait aussi bien marché, même si ma prochaine question c'était « au fait pourquoi pas moi ? » !

Jack : Ah mince ! Ta lettre a été perdue par la poste ! (rires)

J'ai comme l'impression qu'on a jamais lu mon mail, mais pas de problème, hein !

Jack : On ne regarde jamais nos mails tu sais ! Et puis ça a sans doute fini dans les spams, les boîtes mails, hein ! (rires)

Pour parler de ce deuxième album, All That Is Over, le fameux album de la confirmation, vous aviez attendu longtemps avant de sortir le premier, est-ce que vous avez eu peur de sortir celui-là trop vite ou de ne pas être au niveau en l'enregistrant ?

Sam : On n'a clairement pas eu le temps de tergiverser cette fois. Donc non, je ne crois pas qu'on ait eu peur de quoi que ce soit, on a toujours été plutôt sûrs de ce qu'on faisait. Avant, pendant, et après l'enregistrement.
Jack : Je pense que jouer de la musique à plein temps a beaucoup aidé pour ça. Faire un album n'était plus juste une aspiration, on l'a fait, c'est notre vie maintenant, on a fait des centaines de concerts, donc ce nouvel album c'était ce qu'on était censé faire de notre vie, point.
Sam : Après, c'est sûr que si je réécoutais le premier album, je me dirais « oh on aurait dû faire ça ou ça, plutôt comme ça... ». Et cet album dans un ou deux ans probablement aussi, mais c'est normal.
Karla : Je pense que tu seras toujours ton pire critique quelque part. Il y aura toujours quelque chose, un « ah, j'aurais dû faire ça », mais pour All That Is Over, tout a vraiment été fait à l'instinct, en pure action et réaction. On n'a jamais douté ou tergiversé, et je pense qu'on peut être fiers de la marche qu'on a gravie. On y est allé en cherchant à surprendre les gens, à nous surprendre nous-mêmes, et j'ai l'impression qu'on a réussi.
Sam : Beaucoup de gens proches de nous nous ont aussi énormément soutenus, et ça aide à garder confiance et foncer.

C'est vrai que ce nouvel album arrive vite, seulement un an et demi après le premier, là où d'autres attendent deux ans voire plus...

Karla : Notre nom c'est SPRINTS, hein ! (rires)
Sam : Pas mal de groupes sortent des albums plus vite aussi parce que tu ne veux pas disparaître, t'effacer. Il faut garder le momentum parce qu'il y a tellement de groupes, tellement d'albums qui sortent, ça va si vite qu'on t'oublie, et sauf si ton premier album a été vraiment énorme, tu peux pas dormir trois ou quatre ans dessus, il faut prendre le train tant qu'il est là, rappeler aux gens que tu existes.

Moi ça me va que vous sortiez un album chaque année, ça m'évite de me demander ce que sera le numéro 1 de mon Top 10 !

Zac : OK, on en fera dix dans l'année du coup !
Karla : Non ! On est pas King Gizzard & The Lizard Wizard !

OK, restons à un par an, surtout si chaque album évolue autant. Parce qu'ici on trouve beaucoup de nouvelles choses et quelques points de repère plus familiers, et je me demandais, Descartes en premier single c'était pour une transition plus douce ?

Karla : Oui, c'est ce que voulait le label, parce que c'est sans doute celle qui sonne le plus comme le premier album, avec quelques trucs un peu nouveau. Et c'est aussi une chanson qui frappe très rapidement, c'est accrocheur, donc ils ont considéré que ça faisait un bon premier saut de cet album dans le grand bain. Mais je suis surtout très excitée par les singles suivants, ça va montrer à tout le monde qu'on a beaucoup plus de cordes à notre arc que ce qu'on a montré jusqu'à présent. Donc même si on était un peu surpris que ce soit Descartes le choix, on comprend d'un point de vue stratégie, et crois-moi le reste sera encore plus intéressant que ça !

Donc le choix des singles, c'est le label qui le fait ?

Jack : C'est beaucoup de discussions...
Karla : Ne me fous pas dans la merde !
Zac : Ils n'ont rien eu à dire sur la création des chansons, il n'y avait que nous et Dan (ndlr : Daniel Fox, le producteur de l'album) là-dedans. Par contre, une fois qu'on avait tout enregistré, la tête dans le guidon c'était difficile d'être objectif sur ce qui devait ou non être un single.
Karla : Oui, on était clairement en tunnel vision, et puis on a forcément des chansons préférées, fonction de comment ça s'est passé en studio, comment on a personnellement ressenti la chanson, et c'est bien d'avoir une opinion qui se veut objective sur ce qui va bien passer à la radio, ce qui va marcher dans un format single, etc... Et de toute façon on aurait été contents que n'importe quelle chanson soit choisie, on estime qu'elles sont toutes bonnes, et j'espère que c'est le signe d'un album solide.
Jack : Et puis, notre label c'est notre label aussi parce que ce sont des gens en qui on a confiance, leur vision est là pour aider la nôtre, et on tire tous dans la même direction.
Karla : Exactement, et ne fais pas attention au flingue sur ma tempe, non c'est rien ce point rouge sur mon front, ne t'inquiètes pas ! (rires)

D'ailleurs à propos du tracklisting, où est passé Feast ?

Karla : Tu n'es pas le seul à te poser cette question !

Parce que Literary Mind avait figuré sur votre premier album, mais là, Feast, c'était plus un single de transition qu'autre chose finalement ?

Karla : Ça a été un gros débat. Certains d'entre nous étaient pro-Feast, d'autres anti-Feast, il y en a qui ont changé de camp pendant la bataille, toute une histoire. Personnellement, de tout ce qu'on a pu faire, c'est une de mes chansons préférées. Je l'adore, les paroles, l'ambiance, le son, tout. Mais mettre Feast sur l'album voulait dire enlever une autre chanson, et c'était impossible d'en choisir une à sacrifier. Après, ça ne veut pas dire qu'elle ne finira jamais sur une version de l'album. On l'a ré-enregistrée, elle existe, il y aura probablement des bundles ou des 45 tours spéciaux qui seront édités, en face B ou autre. Mais c'était une décision horrible à prendre, c'était comme abandonner un de ses enfants en évacuant le Titanic.
Zac : Si seulement les disques duraient cinq minutes de plus...
Jack : On vit toujours à l'ère du CD.
Karla : Heureusement ça ne disparaîtra pas des concerts avant un bout de temps. C'est vraiment une de celles qu'on préfère jouer.

OK, tant qu'elle est dans la setlist, ça me va ! (rires) D'ailleurs avec Feast vous aviez complètement changé la direction artistique du groupe, là pour cet album c‘est encore un relooking. Ça vous amuse de faire ça à chaque fois ?

Karla : Oui, c'est plutôt marrant à faire. On est créatures visuelles, on vit dans un univers très visuel, et avec l'arrivée de Zac, c'était une nouvelle et une bonne occasion de tout reprendre. Parce que cet album c'est une grosse étape, il sort en Amérique via Sub Pop, c'est un nouveau chapitre de la vie de SPRINTS, et je pense que ça méritait d'être bien marqué. On ne voulait pas que ça se confonde avec tout ce qu'on avait fait avant, on voulait que l'album soit une entité à part entière, sonore, visuelle, tout.

Pour le premier album, Karla m'avait parlé de films d'horreur pour l'inspiration, ici j'ai cru comprendre que c'était plus les jeux vidéos comme Fallout, et une inspiration post-apocalyptique au global...

Karla : Oui, on avait une image claire en tête du monde qu'on voulait construire, avec des influences bien au-delà de la musique. Fallout, comme tu disais, 1984, même le jeu The Last Of Us, on a récupéré un peu de toutes ces œuvres dystopiques qui sont juste des trucs qu'on aime et qu'on consomme, en tournée ou chez nous. Même si ce n'est pas si éloigné que ça d'un film d'horreur quand on voit dans quel monde on vit en ce moment. Et puis on adore les jeux vidéo. En tournée dans le van c‘est chacun sur son Steam Deck, avec le casque et les lunettes de soleil, en mode « ne me parle pas ! ».

Et maintenant vous prévoyez de faire le casting du prochain Mad Max ?

Karla : Oh oui ! Tu sais quoi ? Appelle Charlize Theron, je serai la nouvelle Furiosa !
Zac : Je veux être le mec sur le camion avec la grosse guitare qui crache du feu !
Karla : Si je pouvais choisir juste une scène d'un film que l'album devrait inspirer, ce serait celle-là ! Des lance-flammes qui hurlent sur le toit d'un trente-cinq tonnes au milieu du désert !
Zac : SPRINTS 2 : Fury Road !

Dans la même ambiance trente-cinq tonnes et lance-flamme, vous avez parlé de l'Amérique. Qu'est-ce que ça représente l'Amérique pour un groupe irlandais aujourd'hui ?

Jack : L'Amérique c'est un peu dans la tête de tout le monde, c'est tellement différent, énorme, excitant. Mais c'est aussi là qu'on a perdu le plus d'argent, et ça peut être vraiment flippant comme pays. Il y a une dualité assez complexe là-dedans, un mélange d'excitation et de craintes. L'an dernier on a tourné deux fois en Amérique, et au début de la deuxième tournée on s'est tous demandé « pourquoi on y retourne déjà ? ». Quand tu as été sur la route toute l'année, à un moment tu te demandes si tu vas encore trouver l'énergie, mais au final on l'a fait, et on a passé un super moment. Après, l'Amérique on est même plus sûrs de pouvoir y rentrer aujourd'hui, et pourtant on a toujours été super bien accueillis dans toutes les villes, les gens sont super, la scène musicale est top, enfin c'est...
Karla : Mais ça reste super excitant d'y retourner, cette fois avec le support de Sub Pop, et de voir comment l'expérience peut changer en étant signé sur un label américain.

Et peut-être que c'est le bon album pour l'Amérique. C'est probablement la musique le plus américaine que vous avez jamais faite...

Sam : Oui, quelqu'un au label nous a répété que les américains allaient adorer Pieces.
Karla : C'est sûr qu'il y a une influence un peu cowboy, une imagerie très désertique.
Sam : Rouler en Harley sur la Route 66 bébé !

Il y avait déjà ça sur Can't Get Enough Of It, mais ici on voit encore plus une influence Black Rebel Motorcycle Club sur certaines chansons, et en même temps l'album va dans tellement de directions... Là où le premier album était un gros bloc dense, ici ça part dans tous les sens en gardant la touche SPRINTS...

Karla : Oui on voulait clairement faire un album surprenant, différent, et passer encore un cap dans notre son. Les influences sont aussi beaucoup plus vastes, j'écoutais beaucoup The Dandy Warhols et Mannequin Pussy par exemple à ce moment-là.

Je vois le côté Boys Better (ndlr : chanson de The Dandy Warhols) !

Karla : Exactement, Boys Better a été une grosse inspiration pour Rage. On a aussi rajouté des éléments électroniques, l'influence de Zac a forcément modifié des choses aussi... Et puis je voulais juste faire des trucs cools et un peu différents.
Jack : Oui, le premier disque on a vraiment essayé de le rendre aussi cohérent que possible, alors que là sans enlever la cohérence on a juste cherché à développer toutes les idées qu'on avait, à faire les meilleures chansons, et la cohérence allait venir d'elle-même à la fin.
Zac : J'ai aussi vu The Jesus Lizard environ deux mois avant l'album, et je me suis dit que je devais essayer ça. Je n'avais jamais testé un bottleneck en cuivre, et dès j'ai entendu ça j'ai adoré et j'en ai mis dans trois ou quatre chansons.
Karla : On avait plein de pédales différentes à disposition, d'instruments et autres, et comme les musiciens sont des grands enfants on était juste là à jouer avec nos nouveaux jouets. On était des gosses dans un magasin de bonbons et on voulait se servir de tout, et d'être tous ensemble à bosser sur notre son en même temps dans le studio, ça a ajouté cette unité sans avoir à tellement changer la structure des chansons.

Ce qui m'a le plus choqué dans cette évolution, c'est Abandon, la première chanson. J'ai attendu toute sa durée qu'elle explose, et quand je suis passé à To The Bone je me suis dit « non, c'est pas possible ! » (rires)

Sam : C'est exactement ce qu'on avait en tête. On ne regarde pas forcément les critiques, mais une fois on a vu un commentaire qui disait que toutes les chansons de SPRINTS c'était une montée et une explosion à la fin, et quelque part ce n'était pas complètement faux ! Donc on a cherché à casser ça, mettre des chansons vraiment lentes, en mettre même deux de suite.
Karla : Je pense que c'est important qu'il y ait de la beauté dans la retenue. Il y avait une inspiration Portishead ici, et les chansons de Portishead ça n'explose pas, c'est sombre, tortueux, comme une mystérieuse introduction dans un nouveau monde.
Sam : Aussi, à un concert l'an dernier on avait testé de jouer deux chansons lentes d'affilée en intro, et on s'est rendu compte qu'on adorait construire jusqu'à atteindre ce super climax, ce moment où tout explose encore plus fort, ça semblait juste...
Jack : Mieux. Oui, le moment où la foule rentre dedans ça devient encore plus intense qu'avant, parce qu'il y a eu toute cette attente avant ça.

Votre dernier concert à Paris était un peu comme ça !

Karla : Oui, le dernier concert de l'année, le numéro 103. On avait fini par Fairytale Of New York, c'était magique.

Ce nouvel album, vous l'avez une nouvelle fois produit avec Daniel Fox. Ça devient la routine ?

Karla : Oui, il est toujours le cinquième membre non-officiel, et carrément un ami maintenant.
Jack : Il fait encore plus partie de la famille SPRINTS sur ce deuxième album. A chaque fois qu'on fait quelque chose ensemble, on se rapproche un peu plus et on travaille de mieux en mieux.
Zac : Personnellement, quand j'ai rejoint le groupe j'étais jaloux qu'ils aient la chance de passer une semaine avec Dan en France à boire du vin. Je voulais ça moi aussi ! (rires)
Karla : En vrai, on a essayé de travailler avec d'autres gens, mais à chaque fois ça ne marchait pas aussi bien. Et sur cet album, Dan s'est encore plus investi dans son rôle, il a vraiment pris la main par moments, on a fait plus de pré-prod que ce qu'on a jamais fait et beaucoup de choses sont venues de lui, même au niveau des chansons, de la structure. Ça nous a aidé à nous élever d'une certaine manière. Et ce n'est pas un homme de compliments, il est juste là dans le studio, à balancer de la tête, nous on est tous en sueur, et il nous regarde et il nous fait « Ouais, bonne chanson. ». C'est là qu'on sait qu'on a réussi.

En parlant de chansons réussies, Better et Coming Alive sont deux très chansons qui ont une touche assez pop je trouve, par rapport à du SPRINTS classique...

Karla : Oui ce sont des chansons plus accrocheuses, plus taillées pour les radios. En les écrivant on avait dollar, dollar, dollar dans les yeux ! (rires) D'ailleurs Better et Coming Alive étaient deux démos à moi qui traînaient depuis très longtemps, peut-être trois ou quatre ans, que les gars m'ont encouragé à ressortir et à relooker, et ça a plutôt bien marché puisqu'on les a gardées.
Sam : Ces chansons tu pourrais dire qu'elles sont plus populaires, mais sans être des chansons « faciles ». Il y a une belle structure, il n'y a pas un refrain évident ou une accroche grossière, mais ça prend vraiment et ça monte, monte, monte jusqu'au climax final.

Disons qu'elles sont plus douces à l'oreille quelque part. Elles sont vraiment parmi mes préférées, mais en même temps toutes les chansons sont mes préférées ! (rires)

Karla : Oui, je pense que ce seront les préférées de beaucoup de monde, ce qui se comprend et qui est cool parce que c'est aussi ce qu'on veut, s'ouvrir de nouvelles portes et s'ouvrir au maximum de gens. Même si j'appréhende beaucoup de jouer Coming Alive sur scène, c'est tellement un putain de marathon vocal. J'adore mettre plein de mots dans les chansons, mais là même moi je me dis que j'en ai peut-être trop fait !

Sur le thème de l'album, le premier était une sorte de thérapie personnelle... Est-ce que ce nouveau monde dystopique est une thérapie du monde ?

Karla : Ah donc maintenant je suis responsable de la thérapie de tout le monde !? (rires)

Je pensais à la phrase de Rage, « donne-moi le courage de changer ce que je ne peux changer »...

Karla : Disons que c'est une réaction au chaos dans lequel on vit et une tentative d'acceptation. Grandir, renaître, la fin et le début de quelque chose d'autre au milieu de la folie qui nous entoure. Cet album est presque plus personnel que le précédent, dans le sens où le premier était une collection d'expériences, quand celui-ci est un condensé de l'année qu'on vient de vivre, de tout ce qu'il fallait qu'on extériorise par rapport à ça.

Et donc, ces choses que tu voudrais changer mais que tu ne peux pas changer, c'est quoi ?

Karla : En fait cette phrase vient des réunions d'Alcooliques Anonymes aux Etats-Unis, il y a un côté très religieux et leur mantra c'est genre « Dieu, donne-moi la force de changer ce que je veux changer, donne-moi le courage de changer ce que je ne peux changer, et donne-moi la sagesse de distinguer la différence ». C'est une phrase intéressante, un bon mantra de réflexion interne, comme il y a des choses en toi que tu peux changer et d'autres qu'il faut accepter plutôt que de lutter contre. Et tout ce qui te rend malheureux dans la vie est modifiable, c'est juste la quantité de travail que ça va demander qui sera différente. C'est ce que m'ont appris les dernières années, de juste essayer de devenir la meilleure version de moi-même et de vivre ma vie en essayant simplement d'être heureuse, parce que la vie est trop courte pour se foutre les nerfs en pelote.

Et en même temps, tu essayes toujours de changer le monde à ton niveau et de te battre contre ça...

Karla : Je dirais qu'il y a des aspects du monde qu'on peut changer et contrôler, mais que tu vas te rendre fou à essayer de tout changer. Donc il y a des combats dont on se sent responsables, et des choses qu'on peut faire, et les choses qu'on ne peut pas faire on encourage ceux qui le peuvent à le faire, eux.

Comme à Glastonbury la semaine dernière, où vous avez joué en affichant notamment « les droits des personnes trans sont les droits humains ». Une édition de Glastonbury qui a été compliquée avec la non-retransmission du concert de KNEECAP et la coupure de Bob Vylan par la BBC (ndlr : suite à leur discours en concert pro-palestinien et anti-état d'Israël). Est-ce que vous ressentez plus de pression sur les choses que vous dites, sur scène ou sur les réseaux sociaux ou ailleurs ?

Zac : Ce n'est pas comme si c'était un discours qu'on ne voyait jamais, ce sont des choses qu'on dit depuis des mois à chacun de nos concerts, et du jour au lendemain tu vois des artistes se faire poursuivre pour ça et se retrouver dans la merde, c'est inquiétant.
Jack : Il y a définitivement eu un gros changement ces derniers mois. Même dans l'attention que les médias portent sur les musiciens, sur des groupes comme KNEECAP. Des discours auxquels personne n'aurait prêté attention depuis le 7 octobre, même encore il y a six mois, sont devenus l'occasion de faire de certains groupes des boucs émissaires. Tout s'intensifie, même pour avoir un Visa pour les US ça va devenir un problème, donc on a aucune idée de comment seront les choses dans deux mois, dans six mois...
Karla : C'est flippant de penser qu'on pourrait dire le mauvais truc sur scène ou ailleurs qui finirait par exploser et que ça puisse être la fin de notre carrière. Ça ne nous empêchera pas de continuer comme on l'a toujours fait, mais c'est une peur qui est de plus en plus réelle. C'est une réalité qui est de plus en plus ridicule.

Et les effets vont de plus en plus loin, on parle vraiment d'actions en justice maintenant pour ces discours, quand à côté des personnes disent des choses horribles d'extrême-droite sans que personne ne fasse rien...

Zac : Parce que c'est vraiment qu'une diversion. Ils sont juste en train de détourner l'attention en faisant croire que le problème, c'est les groupes qui se politisent alors qu'il y a un génocide en cours.
Sam : En plus, les groupes de musique ont toujours été politiques. Dans les années 60 tout le monde disait « faites l'amour pas la guerre », le rock a toujours protesté contre la guerre.
Jack : Regarde le nombre de chansons célèbres qui dénoncent la guerre du Vietnam...
Sam : Exactement ! Alors quand les gens disent qu'on ne devrait pas se mêler de politique...
Karla : Allô ? Vous avez entendu parler de Bruce Springsteen ?

Pour parler des tournées, vous allez faire les premières parties de Fontaines D.C. pendant l'été. C'était quoi vos premières parties préférées à faire ?

Sam : Franchement, Suede. La nourriture était top ! (rires)
Karla : J'ai adoré IDLES à Athènes, qu'on a fait le mois dernier. C'était un super concert, on a traîné avec eux après, ce sont des mecs très gentils, et leur concert était vraiment super à voir.
Sam : Oui c'est cool de voir un groupe de punk être une aussi grosse tête d'affiche. Et toute leur équipe est très cool, j'ai récupéré des cordes de basse gratuites aussi, parce que j'en avais cassé une et Adam m'a juste prêté sa basse en attendant.
Karla : C'était super de la part d'un groupe aussi connu d'avoir cette sympathie et cette proximité avec nous. Et sinon Pixies, Gossip, on a vraiment eu des super expériences pour l'instant. On verra pour Fontaines D.C. aussi. J'espère qu'il y aura de la Guinness !

J'ai entendu dire que vous vous étiez calmés sur la consommation de Guinness, pourtant !

Karla : Maintenant c'est seulement après le concert, oui ! Avant on se chauffe, on s'étire, et on mange du hummus. Et après on mange du hummus avec de la Guinness ! (rires)

J'ai vu pas mal de groupes qui sont venus jouer au Supersonic à Paris à qui le club offrait beaucoup de shots avant le concert qui ont...

Karla : On n'a pas joué au Supersonic ?
Jack : Non c'était le POPUP!, le Supersonic nous donnait genre 200 balles, on a dit fuck. Depuis l'Irlande ce n'était pas rentable.

Disons que c'est gratuit pour rentrer, donc fatalement... Mais c'est une économie qui a l'air de tourner. En tout cas j'ai vu beaucoup de groupe arrêter de boire après un concert au Supersonic !

Sam : Oui, clairement ! On a rencontré des groupes quand on a commencé les festivals qui buvaient et plus et tout ça, et tu les retrouves l'année d'après il reste que la moitié du groupe et tout le monde est sobre ! (rires) Nous on joue sur le long terme, on est là pour rester.

C'est peut-être moins rock n'roll mais c'est un job au final. Et en parlant première partie, ce n'est pas trop dur de retourner faire des premières parties quand on commence à faire de gros concerts par soi-même ?

Sam : Être en première partie c'est cool parce que tu fais les balances et tu joues presque direct derrière. Alors que quand c'est toi la tête d'affiche tu arrives beaucoup plus tôt et il faut attendre jusque tard pour jouer.
Jack : La journée de travail est carrément plus courte. Et si tu aimes bien le groupe avec qui tu joues, tu peux les voir tous les soirs gratuitement !
Karla : Et puis c'est comme ça qu'on progresse. C'est hyper important de grandir, grossir, on veut des nouveaux fans, toucher un nouveau public, et une bonne manière de faire ça ça reste les premières parties. En plus c'est « facile ». Pas de responsabilités, tu joues une demi-heure, retour backstage, fini.

Et ce n'est pas trop dur parfois de jouer devant des gens qui ne sont pas venus pour vous ?

Karla : On a connu ça, évidemment, on a déjà joué dans des salles devant cinq personnes, et ça arrive à tous les groupes. On a tous déjà joué devant trois potes et des gens qui étaient là parce qu'ils avaient vu de la lumière.

Mais sur une première partie par exemple ? Parce que je repense à Fontaines D.C. à Paris l'an dernier, où Wunderhorse avaient joué devant une foule qui discutait et qui s'en foutait ouvertement...

Sam : Personellement je suis un peu nerveux pour Fontaines D.C., parce qu'ils sont devenus tellement énormes, et c'est sûr que plein de gens vont s'en foutre de nous.
Zac : Mais des fois ça te fait jouer encore plus agressif en retour, pour prouver.
Jack : Comme quand on a ouvert pour Liam Gallagher à Belfast et que la foule n'avait pas la moindre idée de qui on était ! On était des randoms, mais on jouait devant dix mille personnes donc c'était OK !
Karla : Et puis je m'en fous. On est là pour faire le boulot, pour chauffer la salle, on donne tout pour que le public soit prêt pour ce qui arrive derrière, ça on y croit, et si les gens ne vont pas nous écouter en sortant, ça me va. C'est leur décision, dommage pour eux, bye !

D'ailleurs, Karla, tu avais eu des problèmes en tout début de tournée l'an dernier, avec des comportements inacceptables dans le public (ndlr : des attouchements). Vous avez fait quelque chose pour éviter ça par la suite ?

Karla : Ce que j'ai dit c'est que ce n'est pas à moi de résoudre ces problèmes, et je ne suis pas responsable du comportement des gens. C'est mon job d'aller sur scène et de faire le meilleur concert possible et de m'assurer que les gens dans la salle passent un bon moment, et si quelqu'un dépasse les limites, je n'aurai aucun problème à le remettre à sa place et on le dégagera. Ça c'est mon rôle, et pour le reste j'ai appris à m'en foutre et à faire ce que je voulais quand je voulais comme je voulais.

C'est parfait, rien à ajouter. Et dernière question, à moitié une vanne, est-ce que tu te sens d'écrire un jour des chansons qui ne commencent pas par « est-ce que tu te sens... » ? (ndlr : do you ever feel like writing songs not beginning with do you ever feel ?)

Karla : Merde, j'ai fait ça dans quoi ?

J'ai compté Heavy et Something's Gonna Happen !

Jack : On n'avait pas une démo où tu commençais comme ça aussi ?
Karla : Oh super ! Merci d'en parler, maintenant je ne vais plus penser qu'à ça ! Mais je ne sais pas, je trouve que ça engage l'auditeur de poser des questions, ça... Et puis c'est un rappel du premier album, c'est... Oui, c'est une boucle temporelle, je suis un génie en fait ! Mais maintenant ça veut dire que je vais devoir faire ça sur chaque album ! (rires)

Pour être honnête, tu poses beaucoup moins de questions dans les chansons qu'avant...

Karla : C'est parce que j'ai plus confiance en moi.

Lors de notre interview pour votre premier album, j'avais listé toutes les différentes questions qu'il y avait dans l'album, et oui ça en faisait une bonne quinzaine !

Karla : Oh mais laisse-moi vivre ! (rires) Ecoute, je posais beaucoup de questions, et maintenant j'y réponds ! Et je suis très heureuse de ne plus avoir à répondre aux tiennes avant au moins deux ans ! (rires)