Le chroniqueur rock ne prend guère de repos durant l’été. Entre deux festivals, c’est à domicile qu’il exerce sa profession et c’est à quelques jours de la rentrée que nous retrouvons Gruff Rhys, lui-même à son domicile et toujours avec sa casquette sur la tête, pour nous raconter l’histoire de Dim Probs, en version originale, s’il vous plaît.
Salut Gruff ! Es-tu encore en vacances ?
Oui, c'est encore les vacances ici, les enfants n'ont pas encore repris l'école.
Comment c'est passé ton été, tu as été bien occupé je crois ?
Oui, j'ai joué dans plusieurs festivals, dont le Green Man au Pays de Galles et le Big City à Glasgow, c'est le festival qu'ont créé Mogwai (ndlr : Dim Probs sort sur le label de Mogwai, Rock Action Records), et il y en aura quelques autres en septembre.
Tu ne chômes pas l'été ! Ton nouvel album Dim Probs sort donc en cette rentrée. C'est ton neuvième en solo, mais je n'inclue pas toutes les collaborations ou les bandes originales que tu as pu faire entre temps. Tu sembles ne jamais t'arrêter de créer. Y-a-t-il eu un moment dans ta carrière où tu t'es senti comme en panne d'inspiration ?
Étonnamment, écrire des chansons n'est pas toujours facile ! Bien que l'on soit entrainé à cela, il y a des moments où notre esprit n'y est pas. Il faut aussi assurer les tournées, mais parfois, entre deux concerts, l'inspiration revient !
Il semble qu'écrire entre les tournées soit ta méthode, comme tu nous l'avais expliqué à l'époque de Seeking New Gods et aussi de Sadness Sets Me Free...
En fait, je n'ai pas de moments privilégiés pour écrire, il faut juste sentir que l'on a du temps devant soi et, parfois, ça peut prendre jusqu'à trois années.
Tu as pourtant un joli palmarès : neuf disques en vingt ans de carrière solo, c'est un beau score, tu ne trouves pas ?
Déjà ? Oui en effet c'est pas mal ! [rires] C'est amusant, je lisais il y a peu un article sur Neil Young, sur le rythme des disques qui sortaient dans les années 70, sur les musiciens qui sortaient continuellement des albums... Il faut juste trouver le temps de bien l'écrire, ça peut être rapide comme plus lent.
Lorsque que l'on écoute tes disques, il semble que les thèmes soient illimités, c'est à chaque fois une nouvelle aventure à laquelle personne ne s'attend. Dim Probs est intégralement chanté en gallois. N'ayant pas amélioré mon niveau dans cette langue depuis notre dernière rencontre, et n'utilisant pas non plus Google Translate, peux-tu nous dire brièvement de quoi parle ton disque ?
En parlant de traduction, le label m'a justement demandé de traduire en anglais les chansons pour pouvoir assurer sa promotion dans les autres pays. Donc j'ai bien dû faire office de traducteur [rires]. Le disque aborde un peu toutes les émotions, il est gai mais aussi parfois lugubre. En fait, pendant son écriture, j'ai beaucoup écouté de post-punk des années 80, de musique électro, ce type d'ambiances. Tu sais, ce genre de musique qui collait avec l'atmosphère de la Guerre Froide. C'est une musique sérieuse, existentialiste mais que je fais sonner joyeuse.
Peut-on déduire que tu fais usage d'ironie, y'a-t-il un côté un peu doux-amer dans tes paroles ?
Personnellement j'aime beaucoup les jeux de mots, l'humour subtil, et la musique pop est un vecteur parfait pour faire passer tous les types de messages. J'évoque des situations qui me rappellent mon enfance au Pays de Galles, avec beaucoup de nature autour...
On passe donc du charmant au lugubre ? C'est intéressant comme concept... Le fait que tout soit en gallois, est-ce parce qu'il t'est naturel de composer dans cette langue ou était-ce une volonté bien particulière ?
Oui, c'est naturel pour moi, j'ai été élevé en parlant le gallois. Je dirais même qu'après neufs albums en solo, c'est même étrange que seulement trois soient chantés dans cette langue [rires]. Attention, je ne juge pas défavorablement mon travail, mais considérant que c'est ma langue maternelle... J'aime beaucoup la langue anglaise, c'est d'ailleurs la langue la plus appropriée pour composer de la musique pop, c'est un langage universel ! J'ai été intronisé à l'anglais très jeune avec la télévision, dans ma communauté on ne parlait que gallois. L'anglais était informel. J'ai parlé anglais quand je suis entrée en secondaire vers dix-sept ans, c'est à ce moment que j'ai écrit et lu en anglais, c'est donc devenu très simple de composer dans cette langue.
Lorsque nous nous sommes vus la dernière fois (ndlr : janvier 2024 pour la promotion de Sadness Sets Me Free), tu composais justement l'album à venir, et rien à propos qu'il soit en gallois n'avait percé dans nos discussions. Quand t'es-tu décidé ?
Je compose des chansons et selon leurs thèmes ou leurs langues, je les regroupe. J'imagine que celles qui sont le mieux ressorties étant en gallois, elles ont été l'alpha pour l'album, tout le reste n'a fait que suivre. C'est ce que je fais pour le mixage, je regroupe. Pour ces chansons, petit à petit c'est l'acoustique qui est ressorti comme le plus approprié pour le mixage, en rajoutant de ci de là un peu de boîte à rythmes. En studio on a tenté avec Klipch Scurlock telle percussion et Huw Williams la double basse...
La dernière fois également, à la question « comment sonnera le prochain disque ? », tu m'avais annoncé qu'il serait probablement plus « rock ». Nous en sommes encore loin ! As-tu définitivement tiré un trait sur la guitare électrique ?
Mais je joue de la guitare électrique sur le disque [rires] ! OK c'est un peu minimaliste, je le reconnais. Le spécialiste ici c'est Ali Chant (ndlr : producteur du disque). Il fourmille d'idées, il sait quand exactement nous proposer tel ou tel rajout. Il s'ouvre à une grande multiplicité d'options, il a une sacrée oreille. C'est surtout un homme très curieux. Il a fait des miracles sur American Interiors à l'époque, il est à la source de beaucoup des idées que l'on a proposé dans ce disque.
Tu as dû lui traduire les paroles à lui aussi ?
Oui, tout à fait, c'est quand même plus facile de s'imprégner de l'atmosphère quand on comprend les paroles des chansons.
Nous connaissons en France quelques formations qui chantent en gallois maintenant. Notamment le groupe Adwaith, qui a sorti un album en février dernier. Ça n'est pas une langue si facile à exporter dans le rock, nous ne dévons donc pas en connaître la moitié ! Est-ce que la scène galloise chante beaucoup dans sa langue ?
Oui et c'est quelque chose que je trouve très sain. Avec la musique digitale, on peut bien plus facilement s'enregistrer et diffuser sa musique, c'est donc plus facile de faire de la musique en gallois qu'avant. Il y a aussi de plus en plus de petits pubs qui font jouer des groupes locaux et tout en gallois. Et surtout, on en entend de plus en plus à la radio et à la télé.
J'imagine que c'est plus facile pour un artiste avec ta notoriété de te plier à cet exercice à l'international, tu es un très bon ambassadeur de ta langue natale !
Ça peut prendre du temps pour se faire entendre. J'ai déjà joué avec pas mal de groupes qui chantent aussi en gallois, comme Adwaith justement, ou Gwenno. C'est une manière de les mettre en avant. C'est une bonne chose, ça permet la diversité, car l'anglais domine depuis la seconde guerre mondiale dans la pop internationale. On a aussi beaucoup d'autres styles, comme le hip-hop, comme le font KNEECAP par exemple. On entend maintenant d'autres langues qui étaient inconnues, et qui sont mises en avant, c'est une bonne chose.
A quoi ressembleront tes prochains concerts pour Dim Probs ?
Eh bien, j'ai joué en solo tout comme avec le groupe durant les festivals, les deux options sont possibles. Je suis toujours en train de réfléchir à cela, et je suis déjà en train de travailler sur la suite !