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The Divine Comedy

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 14 septembre 2025

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C'est toujours un réel plaisir d'avoir la chance de pouvoir converser avec Neil Hannon. A l'occasion de la sortie de son nouvel album, Rainy Sunday Afternoon, l'Irlandais était de passage à Paris. Le soleil était de mise ce jour là et nous avons pu parler ensemble de la rétrospective de The Divine Comedy à la Cité de la Musique, de son nouvel album mais aussi de Taylor Swift ou encore Beyoncé. Retour sur ce bon moment.

Comment as-tu vécu l'expérience si particulière de la rétrospective à Paris et à Londres ?

C'était effectivement particulier. C'est amusant, car on préparait ça depuis des années. Ça devait avoir lieu avant la sortie du Best Of mais, en raison du COVID-19, ça a finalement eu lieu après. C'est peut-être mieux ainsi, car c'était un projet extrêmement difficile. Rejouer tous les albums dans leur intégralité, ce n'est pas rien. Il a fallu réinventer le son pour chacun d'entre eux. Mais j'ai aimé relever ce défi. Andrew Skeet (ndlr : membre de The Divine Comedy) m'a beaucoup aidé à organiser tout ça et à assurer que chaque album était fidèlement restitué. Pour me simplifier la tâche, j'ai décidé de ne pas jouer de guitare et de me concentrer uniquement sur les paroles.

Est-ce que ça a été difficile de te souvenir de toutes les paroles, avec autant de chansons au programme ?

Je disposais d'un iPad avec toutes les paroles de chaque chanson, mais j'ai été surpris de constater à quel point je n'avais pas besoin de m'en servir. Je pensais que j'aurais des trous de mémoire, mais en réalité, tout était bien dans ma tête.

C'est impressionnant ! Quand vous avez rejoué tous vos albums, y a-t-il des morceaux que vous n'avez pas eu de plaisir à interpréter ?

Très peu, à vrai dire. Je parviens encore à comprendre ce qui m'a poussé à écrire certaines chansons, même si je ne les referais pas aujourd'hui. On change constamment, on a d'autres idées, d'autres obsessions musicales. Mais dans l'ensemble, ça va. Peut-être que Timewatching, sur Liberation, m'a moins plu. J'avais vingt-deux ans quand je l'ai écrite, et je voulais faire quelque chose de presque « Bachien », avec des voix qui se croisent sans cesse. Mais aujourd'hui, je trouve que ça manque de dynamique, que ça traîne trop. On se dit : « Mais quand est-ce que ça termine ? ». Celle-là, je l'ai moins appréciée. Mais globalement, non, j'ai pris plaisir à jouer ces chansons. Même si parfois, certaines paroles posent problème avec le temps, car les mentalités évoluent.

Pourquoi n'avez-vous joué aucune chanson de Office Politics, pas même en rappel ?

Quand on a prévu de faire cette rétrospective, on sortait tout juste de la tournée Office Politics. On avait joué cet album presque intégralement tous les soirs. Je me suis dit : « Ils l'ont déjà entendu, à quoi bon recommencer ? » Et puis, ça aurait fait un nombre impair d'albums au lieu de deux par soir. Alors j'ai préféré ne pas l'inclure. Honnêtement, je pense que ça aurait été la goutte d'eau qui aurait fait déborder le vase, car c'est un album extrêmement complexe à reproduire. Il y a tellement de changements de son dans ce disque qu'on aurait eu du mal à recréer ça en live.

Charmed life, le Best Of, c'était une idée que tu avais dès le départ, ou bien c'est venu ensuite pour toucher les fans qui n'avaient pas pu acheter le coffret ?

En fait, j'ai toujours voulu faire un coffret, parce que je trouve ça vraiment chouette. Et je crois que celui-ci est particulièrement réussi. Mais je me suis aussi rendu compte qu'il s'était aussi passé vingt ans depuis notre dernière compilation (A Secret History... The Best of the Divine Comedy). Donc c'était logique d'en refaire une. Un Best of, c'est avant tout une façon de rappeler aux gens qu'on existe, qu'on peut encore passer à la radio, qu'on a des chansons qu'ils pourraient avoir envie de réécouter. Pour les auditeurs occasionnels qui ne connaissent pas bien The Divine Comedy, c'est aussi une porte d'entrée idéale. Moi-même, j'ai souvent commencé par écouter les Best Of d'autres groupes. Et puis, c'est aussi une excellente excuse pour repartir en tournée et gagner un peu d'argent (rires) sans avoir besoin d'écrire un nouvel album. Ce n'est pas négligeable.

Tu composé la bande originale de Wonka. Comment as-tu vécu cette expérience, qui est finalement très différente de ce que tu as fait jusque-là, puisque tu ne chantes pas ?

J'ai adoré. Je me suis senti comme un vrai songwriter à l'ancienne, à la manière du Brill Building pop ou de compositeurs comme Rodgers et Hammerstein, Cole Porter, Lionel Bart, Kander et Ebb. J'aime énormément tous ces auteurs, et j'ai puisé beaucoup d'inspiration dans leurs chansons au fil des années. Un projet comme celui-là, ce n'est pas du tout comme faire un album. Tu utilises uniquement une facette de ton savoir-faire et tu la mets au service de tout le monde. On devient un maillon de la chaîne, au même titre que le costumier ou le décorateur. Il faut remplir ce rôle et ce n'est pas facile de pouvoir satisfaire tout le monde. Pour certaines chansons, j'ai dû parfois faire douze ou treize versions différentes ! Et parfois, ce n'étaient même pas des versions d'une même idée, mais des morceaux totalement différents proposés trois fois pour une seule scène. Mais je voulais que ça fonctionne, et surtout que Paul King (ndlr : le réalisateur) soit content du résultat. Il faut comprendre qu'avec des films de ce calibre, où les budgets sont énormes, tout doit être parfait. Ils ne peuvent pas se permettre que cela soit un échec. Rien n'est laissé au hasard. C'était une nouvelle expérience pour moi. Mais je suis ravi de l'avoir faite, et je la referais volontiers. C'est à la fois excitant, stimulant... et très bien payé ! (rires) Mais je ne voudrais jamais réaliser mes propres albums de cette manière.

Raining Sunday Afternoon semble revenir à quelque chose de plus concentré, plus focalisé, contrairement à l'album précédent où tu explorais beaucoup de styles musicaux. Était-ce une volonté de revenir à l'essence même de The Divine Comedy ?

Pas vraiment. Ce que les gens ne comprennent pas toujours, c'est que je ne pars pas d'une idée comme « peut-être que ça, ils vont aimer » ou « je devrais faire ça pour leur plaire ». Je cherche uniquement à construire un album qui se tienne, qui ait une cohérence interne. Le public, j'y pense en dernier, une fois le disque fini. C'est probablement une erreur, mais c'est comme ça que je fonctionne. À la fin seulement, je me dis : « Ah oui, d'autres gens vont l'écouter… J'espère que ça leur plaira ! ». Avec Office Politics, l'idée était au contraire de faire quelque chose de volontairement chaotique, comme un disque qui reflétait ma vision de la société moderne. J'y criais ma colère, ma frustration : « Mais pourquoi êtes-vous tous si stupides ? ». Sur Raining Sunday Afternoon, je me suis davantage recentré sur l'intime, le personnel. Une fois que j'ai choisi les chansons qui me semblaient essentielles, j'en ai écrit d'autres pour compléter, en pensant à ce que ça donnerait à Abbey Road avec de belles cordes, un son somptueux, et à la manière dont ça rendrait sur vinyle. Je ne dis pas qu'il faut absolument l'écouter sur vinyle, mais je voulais recréer cette richesse sonore de la fin des années 60 et du début des années 70, ce côté luxuriant. En un sens, c'était mon cadeau d'anniversaire pour moi-même.

Tu t'es dit : « Je vais m'offrir dix jours d'enregistrement avec le groupe dans le studio d'Abbey Road » ?

Exactement ! (rires) C'était fantastique, mais aussi assez stressant, parce que le temps était compté.

Avec ce nouveau disque, peut-on dire que « la fête est finie » ?

Quelle fête ? (rires) Si tu parles de la fête, elle s'est terminée en 2001 !

Je parlais de la fête de Office Politics...

Je vois. En réalité, ce n'était pas vraiment une fête mais plutôt un grand cri contre la société. Toute ma colère à ce moment-là, et après j'ai pu passer à autre chose. Mais attention, je recommencerai sans doute. J'écrirai encore des disques qui énerveront certains, et je m'en fiche. Car je dois avant tout faire le disque que j'ai besoin de faire à un moment donné. Celui-là, j'avais besoin de l'écrire, et je l'ai fait.

Achilles, le premier extrait de Rainy Sunday Afternoon, est une chanson qui a mis beaucoup de temps à être achevée. Peux-tu nous expliquer pourquoi ? Qu'est-ce qui lui manquait ?

Elle date en effet de pas mal d'années mais c'était un peu comme essayer de faire entrer un carré dans un rond. Le sujet ne collait pas du tout avec Foreverland, qui tournait entièrement autour de moi et Cathy. Et puis, on a essayé pour Office Politics. On l'a même enregistrée deux fois, avec le groupe au complet et des orchestrations mais ça ne fonctionnait toujours pas, il y avait quelque chose qui clochait, la chanson ne décollait pas. Donc je l'ai laissée de côté. Je ne l'ai pas non plus incluse dans l'album bonus de Charmed Life parce que je savais que c'était une bonne chanson, qu'elle méritait mieux. Ce nouvel album lui offre un contexte parfait, et elle a trouvé sa place en tant que morceau d'ouverture.

Était-ce la seule chanson qui traînait depuis longtemps dans les tiroirs ?

Non, il y en a quelques autres. I Want You, par exemple, j'ai commencé à l'écrire en 2019. Ce n'est pas si ancien, mais ça remonte un peu quand même. Et puis, certaines chansons venaient en fait de projets pour Wonka qui n'ont pas été retenus. Comme j'aimais les mélodies, je les ai réutilisées.

Comme l'instrumental à la fin du disque ?

Non, pas Can't Let Go. Mais par exemple, un couplet de All The Pretty Lights vient à l'origine d'une autre chanson. Puis il s'est transformé en quelque chose de totalement différent avec un nouveau refrain. Et Invisible Thread était quasiment terminée pour Wonka, mais elle n'a pas été utilisée. Le plus drôle, c'est qu'une fois l'album terminé, j'ai fait écouter Invisible Thread à ma femme. Et elle m'a dit: « Je te laisse utiliser ce texte, mais c'est moi qui l'ai écrit ! » (rires). En fait, la première phrase, « I'm sewn into your collar », vient d'une de ses chansons datant de 2008. Sans m'en rendre compte, j'avais plagié ma propre épouse ! J'ai travaillé dessus pendant cinq ans et je n'avais pas remarqué. Mais bon, je considère qu'elle me devait bien ça. (rires)

The last Time I Saw the Old Man est une chanson très émouvante. Était-ce simple de mettre des choses aussi personnelles dans une chanson ?

Eh bien, c'est justement parce que je ne suis pas très émotif que je suis capable de le faire. La seule façon d'aborder un sujet comme celui-là, c'est de se contenter d'une observation brute, sans faire de commentaires, sans déclarations profondes, et de dire simplement ce que l'on voit. C'est tout ce qu'il faut. C'est suffisant.

Elle sonne très John Barry musicalement.

Oui, mais tu peux aussi dire qu'elle évoque Serge Gainsbourg. Elle fait penser à Bonnie and Clyde. J'aime beaucoup.

The Man Who Turned Into A Chair ressemble à un conte féérique...

C'est inspiré d'histoires un peu semi-mythologiques, comme Le Prince Heureux d'Oscar Wilde avec ce côté réalisme magique. En gros, j'aime m'asseoir. J'aime les chaises. J'aime boire un verre de sherry. J'aime regarder la télé. Et parfois, ma femme me dit : « Si tu ne te lèves pas, tu vas finir par te transformer en chaise ». Du coup j'ai écrit « the man who turned into a chair » dans mon carnet. Puis, dans la chanson, j'ai fait en sorte que les couplets me représentent. Quand j'étais jeune, tout tournait autour du mouvement. Puis un jour, sans savoir pourquoi, je me suis arrêté. Les voix étranges du refrain viennent décrire pourquoi il est assis là et comment il ne finit par ne plus faire qu'un avec la chaise. J'aime bien ça. Ça me rappelle Bizarre, Bizarre, une série télévisée britannique des années 70 et 80. Chaque épisode concerne une histoire différente qui avait toujours une légère touche surnaturelle, et rien n'avait jamais vraiment de sens. C'est ce que je cherchais pour cette chanson.

Y a t-il un lien entre I Want You et The Heart Is A Lonely Hunter?

Non, il n'y en a pas. Ce sont simplement différentes façons d'aborder des sujets similaires. Je pense que The Heart Is A Lonely Hunter parle du fait qu'on peut passer notre vie à chercher. Je suppose que cette chanson reflète la vie d'un solitaire, dont je suis fier de faire partie. Je suis introspectif, légèrement antisocial. Je ne passe pas beaucoup de temps avec les autres. Je préfère passer du temps avec mes chiens.

Pas avec tes chevaux ?

J'aime regarder les chevaux, mais ils m'ont toujours un peu déconcerté. Ma mère m'a mis sur un cheval quand j'étais enfant, et il s'est enfui. Et je me suis dit « Je ne remonterai plus jamais sur un cheval ». J'ai beaucoup de respect pour eux en tant qu'individus avec leur propre personnalité. Mais pourquoi diable voudraient-ils de moi sur leur dos ? Bref. Je suis un peu quelqu'un de reclus. Je suis allé il y a quelques semaines à une fête pour la première fois depuis environ cinq ans et j'ai vraiment beaucoup apprécié. J'ai dû me saouler, mais j'ai apprécié. C'était comme une vraie fête entre adultes. Il y avait du vin blanc et des beignets de crabe. Et je me suis dit : « Bon sang, tu as peut-être raté quelque chose en ne participant pas à ces fêtes ». Je crois que je m'éloigne un peu du sujet. Pose-moi une autre question.

Mar-A-Lago By The Sea, il fallait oser !

Cela correspond parfaitement à l'immense superficialité et à la vulgarité de l'homme dont ça parle. Non seulement je déteste tout ce qu'il représente, et encore détester est un mot trop faible, mais c'est aussi l'être le plus grotesque et le plus vulgaire qui soit. Il y a donc dans cette chanson une certaine part de manifestation, car il devrait être actuellement dans une cellule de prison, en train de penser à sa belle maison et à quel point il aimerait être dedans. Malheureusement ce n'est pas le cas.

La chanson Rainy Sunday afternoon a un côté joyeux. C'est un peu comme le Happy When It Rains de Garbage, tu es heureux quand il pleut ?

Oui, c'est assez joyeux. Dans l'esprit Do You Know The Way To San Jose? de Dionne Warwick ou peut-être plutôt dans le style de Randy Newman. Mais je voulais que ça ressemble un peu à Carole King, comme un extrait de son album Tapestry, mais c'est assez difficile à faire. C'est ce sentiment, cette sensation d'agitation que l'on ressent après une dispute, quand on se dit : « Oh, mon Dieu, pourquoi les gens ne peuvent-ils pas comprendre ? » Et on commence à tout blâmer. Puis, petit à petit, on se calme et on se dit : « Oh, attends. C'était peut-être de ma faute ». C'est une chanson sur le confinement qui a été tellement frustrant. Mais elle parle aussi de ces hommes stupides qui foutent le monde en l'air. Tu sais, si je suis capable de m'excuser auprès de ma femme, alors il est possible de s'excuser auprès du monde entier et de mieux le diriger.

All The Pretty Lights apparaît comme un voyage dans l'enfance...

Ça fait des années que je veux écrire une chanson là-dessus, mais je ne m'y suis jamais mis. C'était en 1978, je crois, et tout à coup, nous nous sommes retrouvés dans un avion pour Londres pour passer Noël là-bas. C'était comme si le monde venait soudainement de s'ouvrir pour moi. C'était la première fois que je prenais l'avion et c'était incroyablement excitant. Nous sommes montés sur le HMS Belfast, le cuirassé, ce qui pour un garçon de huit ans est tout simplement la meilleure chose qui soit. Nous sommes allés chez Madame Tussauds et chez Hamleys, le plus grand magasin de jouets de Londres. C'est un magasin qu'on ne peut même pas imaginer avec ses quatre étages remplis uniquement de jouets. J'y ai acheté un Dalek du Dr Who. Dans la chanson, je parle du taxi dans la neige mais je ne me souviens pas s'il avait vraiment neigé à ce moment-là. Je mélange un peu tout avec les films de Disney. Mais ça fait partie de l'idée de la chanson, cette jolie auréole autour de l'enfance. Car on ne retrouvera plus ça au cours de toute notre vie. On fait des choses pour essayer de retrouver un peu ce sentiment. Certains prennent de la cocaïne ou font du saut à l'élastique, juste pour retrouver un peu cette excitation folle de l'enfance. J'essaie plutôt de me souvenir des choses avant de les oublier à jamais.

Est-ce que le temps qui passe et le fait de vieillir sont des sources d'inspiration pour toi ?

Malheureusement, oui. C'est quelque chose qui arrive et on ne peut pas l'empêcher. C'est important de l'accepter, de ne pas essayer de l'éviter, de ne pas essayer de composer des petites chansons pop que l'on chanterait à vingt ans, parce que ça semble ridicule. Je pense que je ne peux que faire de la musique pour ça et être simplement moi-même.

A la rentrée tu démarres une tournée, qui passera par la France en mars 2026. A quoi peut-on s'attendre ?

Ce sera un peu comme celle de Taylor Swift. Je porterai une combinaison à paillettes. De grosses bottes de cowboy aussi, comme Beyoncé ! (rires) Je ne sais pas encore exactement comment ça va se passer. Je veux juste que ce soit une soirée divertissante et ça le sera.