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Vingt ans de Blur

Dossier réalisé par Amandine le 30 août 2012

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Difficile d'évoquer la pop britannique en passant à côté de quelques grands noms : les 60's-70's ont eu The Kinks et les 90's ont, quant à elles, eu Blur, incarnant, avec une poignée de groupes tels que Suede ou Pulp, le renouveau des pop songs à texte.


L'histoire commence à la fin des années 80's lorsque Damon Albarn et Graham Coxon, amis depuis le lycée, décident de monter un groupe ; le premier chante, joue du piano et de la guitare tandis que le second se consacre à la six cordes. Reste à trouver un bassiste et un batteur. Graham pense alors à cet étudiant en français rencontré dans un pub, à Londres, un certain Alex James : son air désabusé et ses lignes de basse sont rapidement adoptées. Ils débusquent ensuite le discret mais non moins talentueux Dave Rowntree et montent Seymour, hommage à un personnage d'un roman de Salinger.
Andy Ross, directeur du label Food Records, souhaite derechef les signer à une condition, qu'ils changent de nom : Blur était né. En 1990, ils sortent leur premier single, She's So High, qui fait une apparition furtive dans les charts UK et c'est en 1991, à la fin de l'euphorie Madchester, que Blur va, pour la première fois, marquer les esprits avec leur frais et étonnant There's No Other Way, aux influences The Stone Roses encore très marquées. Dès lors, le quatuor n'aura de cesse de faire parler de lui et permettra à l'Angleterre de vivre une nouvelle ère musicale, tout aussi palpitante que les précédentes.
A l'été 91 sort Leisure, premier album studio du groupe. Si l'on sent des similitudes parfois mal digérées avec la période Madchester, on aperçoit tout de même le brouillon de ce qui deviendra le son Blur. Contrairement à ce qu'avait connu la fin des 70's avec ses revendications punk, Damon et sa bande n'ont pas grand chose à dire mais ils le font de la plus belle des manières. Ici, l'hédonisme et la légèreté prédominent et, pour ne rien retirer à la qualité de cet opus, celui-ci est produit par Stephen Street, accompagnateur légendaire des Smiths. Face à un succès probant, les Britons font le choix de traverser l'Atlantique et de tenter leur chance aux États-Unis. Malheureusement, la tournée n'aura pas l'intérêt escompté ; en effet, les Américains préfèrent à la riante pop la noirceur du grunge et nos petits gars, désespérés du peu d'attention qu'ils suscitent, choisissent alors de se saouler et de se battre tous les soirs dans les bars miteux, faisant ainsi passer les frères Gallagher pour de véritables enfants de chœur.


Revenus au bercail, ils constatent que Suede occupe désormais la place que Blur tenait quelques mois auparavant : loin de se laisser submerger par le désespoir, Damon reprend vite du poil de la bête et le résultat ne se fera pas attendre. Malgré les recommandations de Food Records pensant que le groupe court à sa perte, ils signent au printemps 93 leur Modern Life Is Rubbish. Véritable manifeste de l'anglo-centrisme et tout droit sorti des pop bands des années 60, il marque au fer rouge la « patte » de Blur. Damon Albarn, véritable Ray Davies des temps modernes, commence à affiner sa plume pour dépeindre une satire de la société britannique à travers des compositions telles que For Tomorrow.
A peine un an plus tard, ils enfoncent le clou avec Parklife, lequel participe, avec quelques autres grands noms, à la naissance de la palpitante épopée des années 90 : la Britpop. Avec ses hymnes ayant accompagné toute une génération (Girls & Boys et Parklife en tête de file), ce troisième album, dans la continuité naturelle du précédent, est celui de la consécration. On retrouve l'humour cynique et le regard amusé que pose le mutin Albarn sur la société britannique (critique acerbe des banlieues londoniennes sur Parklife où le groupe est accompagné de l'acteur Phil Daniels et son accent cockney si prononcé ou encore Girls & Boys, affichant le goût des Britanniques pour déserter en masse leur île chaque été en faveur de la Grèce). Graham Coxon commence ici à dévoiler tout son potentiel et montre qu'il faudra désormais compter sur son talent. Un duo avec Laetitia Sadier (Stereolab), To The End, pour clore ce qui reste, à ce jour, l'une des plus belles œuvres de cette époque et le phénomène est né.


Il faut, pour terminer en beauté ce qui deviendra la grande trilogie de la Britpop, parfaire l’œuvre entamée. Pour ce faire, The Great Escape et sa pochette estivale est dégainé ; triple disque de platine, les ventes et les critiques ne tarissent plus. Ce premier concept album autour de la solitude sera le premier dans l'introspection du talentueux Damon Albarn. Que ce soit l'entraînant Charmless Man (qui fait indéniablement référence à This Charming Man des Smiths) ou le mélancolique The Universal, tout droit sorti de l'univers de Kubrick avec son clip oppressant, The Great Escape, en pleine guerre médiatico-égotique avec Oasis, propose des titres diversifiés. L'écriture grinçante continue de nous narrer une société anglaise sclérosée. Le son ne cesse de s'étoffer, les cuivres se multiplient et la pop légère des débuts prend de plus en plus de place pour s'enrichir de titre en titre. Malgré les déclarations récentes de Damon Albarn affirmant que cet album est une calamité, The Great Escape renferme des joyaux bruts, tels que It Could Be You ou encore Stereotypes. Des titres qui, en dépit d'une filiation avec les pop songs période Modern Life Is Rubbish, sont parfaitement ficelées et aboutis.

On observe cependant que Damon Albarn et Graham Coxon commencent à se sentir à l'étroit dans le carcan de la britpop et leur génie inépuisable a désormais besoin de s'exprimer en dehors des sentiers tracés. Sort alors, début 97, le sobrement intitulé Blur, qui marquera le tournant musical du groupe. On y reconnaît à la fois la touche Blur (le jeu de guitare de Coxon, les cuivres, les mélodies imparables) mais tout a évolué ou muté. La mélancolie est omniprésente, le ton se veut moins léger. Toutes ces transformations ont lieu d'une manière totalement naturelle et ce disque éponyme est l'amorce de la volonté du groupe de se tourner vers des sonorités plus noisy. Damon prend de plus en plus d'importance ; s'il était déjà le pilier du groupe, il en est maintenant le maître à bord, même si Graham Coxon n'entend pas rester sur la touche. Ici, le spectre de Bowie n'est pas loin tandis que celui de Ray Davies s'éloigne inexorablement. Sans concession, il recèle à la fois des hymnes fédérateurs (on préférera d'ailleurs Beetlebum à Song 2, bien trop éculée) et des compositions tragiques ; ainsi, Death Of The Party, sorte de pendant de The Universal, entraîne l'auditeur dans les abysses dépressives tandis que M.O.R. (avec la participation de Brian Eno et David Bowie) et On Your Own nous réconcilient avec les « lalala » tant chéris. Pour la première fois, Graham Coxon chante sur You're So Great et le binoclard semble vouloir se hisser aux côtés de son meilleur ennemi. Les riffs appuyés et les choix radicaux permettent à Blur, en même temps qu'ils perdent une partie de leurs fans de la première heure, de commencer une nouvelle carrière, avec un public plus large, différent. Dès lors, les voilà perçus comme l'un des groupes, avec Radiohead, explorateurs sonores.
Dans la continuité logique sort, deux ans plus tard, 13. Ici, nous assistons à la rupture avec leur producteur historique Stephen Street et c'est désormais William Orbit, le spécialiste des musiques électroniques, aux commandes.


13, résultat de centaines d'heures d'improvisation fait état de l'humeur maussade de Damon Albarn. Tout juste abandonné par sa belle Justine Frishman (Elastica), le sale gamin préfère noyer sa peine dans des titres mélancoliques à souhait. 13, ce sont des montagnes russes où le très bon côtoie le moins bon. L'entame sur Tender et ses chœurs gospel vient définitivement nous faire comprendre que la britpop est loin, très loin ! Heureusement, quelques éclaircies joyeuses pointent le bout de leur nez, comme Coffee And TV, premier titre à la fois composé et chanté par Coxon. C'est également sur ce disque qu'est présentée la magnifique No Distance Left To Run, venant prouver une ultime fois la capacité de Blur à alterner le léger et le tragique. Avec la déconstruction de la pop song traditionnelle, 13 ne laisse personne indifférent, signe que Blur ne se cantonne pas à du réchauffé. Ce dernier signe aussi l'amorce de ce qui deviendra Gorillaz (Trailerpark).
Il faut ensuite attendre quatre longues années, le temps que les musiciens assouvissent leur besoin de créativité au sein de projets solos pour découvrir ce qui sera, à ce jour, le dernier album studio de Blur. Think Tank peut être considéré comme l'anti-Parklife. Si le premier était centré sur Albion, le second, lui, est une ouverture complète au monde. Composé entre le Maroc et l'Angleterre, il se joue des influences World Music désormais chères à Albarn. Le spleen se mélange au voyage, les expérimentations n'en finissent plus. Entre des collaborations avec Fatboy Slim (Crazy Beat et Gene By Gene) et des incompatibilités d'humeur, le torchon brûle entre les deux cerveaux de Blur. Alors que Damon part dans ses élucubrations hip-hop et world, Graham Coxon s'enfonce dans le krautrock et le lo-fi et rapidement, la collaboration semble impossible. C'est alors que l'inconcevable se produit : Coxon quitte le groupe après l'enregistrement d'une poignée de titres. Si Think Tank ramènera une nouvelle catégorie d'auditeurs, on peut tout de même émettre quelques réserves sur la véracité du projet qui semble plus être l’œuvre d'un seul homme que d'un groupe.


Depuis, les fans attendent fébrilement un retour. Quelques concerts en 2009, Fool's Day, nouveau titre composé pour le Record Store Day en 2010 et des rumeurs incessantes, mais toujours pas d'officialisation de nouvelles sorties.
Aujourd'hui, pour le vingt-et-unième anniversaire de Leisure, Blur nous proposent leur Box 21 et, contrairement à quelques farceurs abusant le porte-monnaie de leurs auditeurs, les Anglais ne se moquent pas de nous. Outre le remastering, leurs sept albums studio sont chacun agrémentés d'un CD constitué de bonus tracks et autres raretés ainsi que de DVD, inédits et autres vinyles de Seymour. Les collectionneurs y trouveront donc leur bonheur mais les curieux également. En effet, le matériel bonus vient révéler le panel inépuisable des quatre têtes à claques : des titres de qualité dignes de figurer sur album (la mélodie sucrée d'Unkle Love ou l'intriguante A Song), des lives féroces, des reprises improbables comme celle de Maggie May ou encore des remixes parfois douteux, bref, il y en a pour tout le monde. Intéressant dans ses choix de titres, excitant par son contenu, Blur vont décidément ruiner quelques afficionados en publiant coup sur coup cette box et leur dernier concert à Hyde Park pour la clôture de Jeux Olympiques de Londres.

De quoi passer du bon temps en attendant une potentielle prochaine sortie !