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Muse

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 4 juin 2015

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L'hôtel Park Hyatt, rue Vendôme, 2ème arrondissement de Paris. Drôle d'endroit pour une interview ? Pas vraiment, si on prend en compte le nom du groupe rencontré et son aura dans le monde entier. Muse et ses vingt millions d'albums vendus ont quasiment transformé, avec des groupes comme U2, le concept du stadium band en franchise mondiale, avec ses règles et ses points de démesures. Moins conceptuel que les Pink Floyd (pionniers de concerts à thème géants), le trio réunissant Matthew Bellamy, Dominic Howard et Christopher Wolstenholme mène la danse des gigantesques messes rock depuis presque vingt ans, maintenant.

Numéros un des charts dans de nombreux pays à chaque sortie d'album, Muse ont une pression énorme sur les épaules et savent qu'aucune critique ne leur sera épargnée quand vient le temps d'un nouvel opus. Avec leur septième album studio, Drones, ils poursuivent leur œuvre démarrée en 1994 et continuent d'exploiter leurs sujets favoris : la guerre, la dictature (politique ou médiatique) et la résistance. Résistance qu'entend conduire le trio de anglais de Teignmouth, dans le Devon, quitte à passer, parfois, pour des maquisards et des alter-mondialistes du rock un peu déphasés et désorientés entre deux Palaces internationaux et deux hélicoptères… Bien plus inorganique et abrupte que son prédécesseur, le son de Drones renoue avec les débuts de Muse. Le contraste est total quand Dominic, frêle batteur d'un groupe en or massif, nous accueille sur la luxueuse terrasse cachée de l'hôtel cinq étoiles parisien… Vingt minutes d'interview montre en main, pas le temps de faire mumuse.

Votre nouvel album se nomme Drones et a pour thèmes, la guerre, Big Brother ou la politique du tout sécuritaire... À l'écoute de vos nouveaux titres, on peut penser que nos modèles de société nous mènent droit dans le mur ?

Ta première question pèse lourd ! Mais, oui on peut dire cela comme ça. Le monde est un lieu magnifique où les êtres humains et leurs sociétés voient leurs cerveaux et leurs volontés mises à mal et sous contrôles par une poignée d'individus. On influence les gens avec des peurs qui ne devraient pas êtres aussi prégnantes et qui deviennent viscérales. C'est de cela que parle ce nouvel album. Le titre, Drones, est une métaphore des sociétés rendues vulnérables par une peur de masse. Ne plus penser par soi-même est un véritable danger. Et, cela peut émaner de tous les cotés. De tes amis, des médias, du gouvernement... Tous peuvent participer à des théories fumeuses que les gens vont finir par croire vraies, mais qui ne le sont pas. Comme s'il y avait un sombre plan établi à l'avance par les gouvernements. Ça, c'est pour le titre de l'album. Le contenu, lui, parle d'une personne en proie à ces théories et comment il se sort de là et se pose en rupture de la peur. Il se réveille, envoie balader tout cela et se met à penser par lui-même.

Nous avons voulu nous confronter à nouveau à ce son un peu plus lourd qui nous avait accompagnés à nos débuts.

Le son de ce nouvel album est plus lourd, plus imposant que sur votre disique précédent. Avez-vous ressenti le besoin de revenir aux fondamentaux de Muse ?

Oui, absolument. Nous avons voulu nous confronter à nouveau à ce son un peu plus lourd qui nous avait accompagnés à nos débuts. Nous ne l'avons jamais perdu, en live, mais il nous fallait redécouvrir cela, en studio. C'est notre son, de toute façon. Le son qui sort de nos instruments quand nous sommes tous les trois réunis. Ce son est toujours puissant. Sur nos deux derniers albums, nous nous en sommes éloignés et avons ajouté pas mal de calques sur nos compositions. Notre avant-dernier album, particulièrement, était très diversifié question sonorités. Cette fois-ci, avec Drones, nous avons voulu nous replonger dans l'énergie pure et crue du son de nos débuts.

C'est une volonté que nous avons pu constater lors de votre récente tournée au Royaume-Uni où vous avez joué un nombre important de vos anciens titres. Est-ce là un indice pour vos prochaines setlists lors de la grande tournée qui s'annonce ?

Il se peut que ce soit vrai... Pour des raisons qui le regardent, Matt avait envie que nous remettions en route pas mal de nos anciens titres. Je lui ai posé la question : pourquoi jouer autant de nos anciens titres ? Mais, je te rassure, nous allons également jouer beaucoup de nos nouveaux titres sur cette tournée. Je crois que Matt voulait rétablir un lien, une connexion entre notre passé et notre présent en programmant autant d'anciens titres... Et je dois avouer que j'ai pris beaucoup de plaisir à les rejouer. Nous avons quelques anciens morceaux pas trop mauvais, je crois (rires). Nous avions envie d'offrir des concerts plus rock que les précédents à notre public.


Vous avez choisi la ville de Vancouver pour enregistrer Drones. Pourquoi ce choix ?

Je crois que nous avions besoin de nous éloigner de nos bases habituelles. De trouver un lieu différent de ceux où nous vivons ; Londres et Los Angeles, en qui nous concerne. L'album précédent avait été enregistré à Londres et c'est la ville dans laquelle certains d'entre nous sont confrontés à leur vie de famille, leurs amis, leurs distractions... Nous nous sommes dits : Mettons de la distance avec toutes nos distractions et partons dans un lieu ou nous pourrons nous concentrer à cent pour cent sur notre musique. Vancouver est une très belle ville et abrite un très bon studio d'enregistrement, le Warehouse Studio. Il appartient à Bryan Adams et il fait tout pour que ce lieu soit à la pointe de la technologie. Il possède également un son fabuleux et des facilités très enviées. Il est situé dans une zone industrielle de Vancouver appelée, Gastown. Le producteur de Drones, Robert Mutt Lange, connaissait déjà ce studio et il nous a conseillé ce lieu. Et je dois dire que nous avons été capables d'abattre un travail considérable en très peu de temps là-bas. Nous étions très concentrés sur ce que nous faisions à Vancouver. Chaque jour, nous commencions la journée par une séance à la salle de sport et puis nous allions travailler toute la journée durant à ce nouvel album. Parfois, pendant dix ou douze heures d'affilées. Puis, sage retour à l'hôtel et rebelote, le lendemain... et cela pendant quinze jours consécutifs ! Cela peut paraître ennuyeux sur le papier, mais ça ne l'était pas. Et, comparé au précédent album qui nous a pris une éternité à finaliser – nous avions passé huit mois en studio à Londres ! – nous avons été, cette fois ci d'une efficacité redoutable.

Combien de temps vous ont pris l'écriture et la finalisation de Drones ?

Je pense que nous avons posé les premières bases des premiers titres en juin de l'année dernière et en octobre, tout était quasiment fini. Jusqu'au mixage, cela nous a pris six mois. Mais après quatre semaines, à peine, tout était déjà enregistré.

Je ne pense pas que les groupes de rock doivent être spécialement engagés.

Dans l'album, il y a un extrait de discours d'un sergent instructeur semblant tout droit sorti de Full Metal Jacket et même un extrait d'un discours de John F Kennedy. Vouliez-vous inclure un aspect engagé, voire politique à ce nouvel album ? Le rock doit-il être engagé ?

Je ne pense pas que les groupes de rock doivent être spécialement engagés. Mais, il est clair que nous avons délibérément tenté de faire passer des messages sociétaux dans cet album. En fait, nous l'avons toujours fait... Nous avons toujours voulu tenter de faire prendre conscience de certains problèmes à notre public. Il y a tellement de musique, de groupes et de chansons qui sont sans fond dans l'industrie, de nos jours spécialement, dans le secteur de la pop. Personne n'est obligé de se sentir responsable ou porteur d'un message, mais ce qui se passe dans le monde actuellement concerne tout un chacun, les groupes de rock y compris. Et si, à notre niveau, nous arrivons à colporter un message ou à dénoncer un problème qui touche le monde dans nos chansons, alors c'est une très bonne chose. Je repense souvent à des groupes comme Rage Against The Machine. Il n'y a pas eu assez de groupes comme eux portés par l'industrie du disque, à mon sens. Et même si, personnellement je ne suis pas aussi politisé qu'ils l'étaient, c'est triste de voir autant de bons groupes ne pas avoir de messages à faire passer autre que des futilités. D'ailleurs, je n'ai pas toujours tout compris dans les paroles de Rage Against The Machine (rires). Mais leur puissance et leur engagement m'ont touché et ils sont devenus des icônes à mes yeux. Le problème c'est que ce qu'ils dénonçaient alors est toujours d'actualité, malheureusement...

Comme souvent, vos récents shows ont été grandioses et parfaitement mis en scène et j'ai même entendu dire que, à l'instar des Pink Floyd et de leur cochon volant à leur époque, des drones pourraient voler au-dessus du public dans vos prochains concerts. Qu'en est-il ?

Si on nous autorise à faire voler des machines au-dessus du public dans nos prochaines dates, je pense que c'est quelque chose qui se fera. Mais, chaque pays ayant des lois différentes à ce sujet, ce ne sera pas facile. Il y a des pales en rotation sur les drones et ça peut poser des problèmes (rires). Mais nous avons d'autres idées pour nos mise en scène ; des idées qui prendront sûrement place dans nos propres concerts – où nous avons une plus grande maîtrise des éléments scéniques – et moins dans les festivals que nous allons fréquenter cet été et à l'automne. Tout ce que je peux te dire, c'est que nous travaillons à un concept que nous n'avons encore jamais tenté, jusque-là, mais que nous avons toujours voulu mettre en place.

Le vidéo clip du premier single tiré de Drones, Psycho, a été rendu public sur Internet, il y a quelques semaines. Êtes-vous impliqués dans la création et la réalisation de vos clips ou de vos artworks ?

Oui. Avec l'aide de personnes très qualifiées comme le réalisateur qui a crée le clip de Psycho, Tom Kirk – qui est un de nos anciens collègue de collège (ndlr : le Teignmouth Community College dans le Devon) – et qui a également réalisé beaucoup de nos animations vidéos et autres captations live ces dernières années. Il y a une collaboration assez intime entre Muse et ces artistes là. Pour l'artwork, nous avons travaillé avec Matt Mauhrin qui nous a été recommandés pour son talent d'illustrateur et de peintre contemporain. C'est quelqu'un dont les œuvres sont également très engagées et quand nous lui avons parlé du projet, pour la première fois, il a tout de suite su où mener ses recherches et a produit différentes propositions qui nous ont toutes emballées. Il a créé une superbe pochette de disque.


Muse est plus ou moins apparu avec l'avènement d'Internet. Pense-tu que les problèmes liés à l'industrie du disque aujourd'hui sont en rapport avec le streaming ou le téléchargement illégal ?

Oui, je pense que cela a causé, en partie, la perte de l'industrie du disque. Les tailles des maisons de disque ont terriblement rétréci ces dernières années. Ils embauchent beaucoup moins de personnel qu'ils n'en embauchaient à nos débuts. Ce qui est une mauvaise nouvelle. Mais, il faut reconnaître qu'il s'agit là d'un changement d'époque et de modèle économique et que certains ont su s'y adapter, et d'autres pas. Ce qui me chagrine, c'est que le téléchargement, illégal ou pas, a tué le CD. Et le téléchargement lui-même est en train de se casser la figure, de nos jours. Le streaming est en train de remplacer l'appropriation du fichier son en lui-même. Tout cela a une grande influence sur le secteur de l'industrie du disque. Du point de vue des maisons de disques, tout cela fait peur et représente un vrai challenge à ne pas louper. D'un point de vue artistique, c'est une ouverture gigantesque sur le monde entier, tant il est vrai qu'il devient plus facile d'être vus et entendus par un nombre important d'internautes. À l'époque où nous avons démarré, il était impossible de ne pas avoir de contrats avec un label ; sans cela, tu n'avais aucune chance d'être connu ou écouté. Ce n'est plus le cas aujourd'hui ! Tu peux tout à fait envisager d'enregistrer ton premier album dans ta chambre, le poster sur Youtube ou Spotify et avoir une audience. Mais pour les labels, c'est une autre histoire... les pauvres (rires) !

Quel est le secret de Muse pour produire un son si reconnaissable à la première écoute ?

Je ne sais pas vraiment... Je pense qu'être et rester un trio contribue essentiellement à ce son qui est le notre. Au départ, nous étions inquiets de n'être que trois musiciens et nous avons souvent pensé à intégrer une autre personne, un deuxième guitariste ou un claviériste, par exemple. Mais nous avons fait de notre petit nombre une force et cela nous a poussés à jouer d'une certaine façon, ce qui a forgé notre son. Dans Muse, chaque instrument, chaque musicien se doit d'avoir et de porter une forte identité dans tous les titres. Quand Chris joue de la basse, le son qui en sort est très lourd. Quand Matt joue de la guitare, on dirait trois guitaristes jouant les mêmes notes. Nous jouons tous en mode « amplifié ». Finalement, nos restrictions dues à notre trio se sont avérées des qualités musicales. Et puis, à titre personnel c'est tout simplement la manière avec laquelle nous aimons jouer. Chaque musicien dans chaque groupe à un son qui lui est propre.

Muse est un des groupes les plus connus et les plus célèbres au monde aujourd'hui et vous avez célébré vos vingt ans de carrière l'année dernière, mais y a t-il encore un rêve que vous n'avez pas pu réaliser ?

Je pense qu'il y a encore beaucoup de rêves qui nous restent à concrétiser. Par exemple, nous n'avons encore jamais joué en Inde (rires) ! Il nous reste quelques pays à visiter et où jouer... Nous irons d'ailleurs jouer en Chine cette année, pour la première fois. Une chose me tient particulièrement à cœur, c'est de modifier assez radicalement, d'une manière ou d'une autre, notre style et notre son et j'ai quelques idées à ce sujet. Ce sera sûrement pour le prochain album. Quelque chose qui sonne nouveau, mais dans un sens positif. Le champ des possibles musicalement est si large, il est presque infini pour un groupe. Heureusement, en marge de notre succès, il nous reste des buts artistiques à atteindre !

Quand aurons-nous la chance de voir à nouveau Muse jouer à Paris ? Cela fait un certain temps que vous n'avez plus joué dans la capitale...

Je n'ai pas de date précise, mais ce sera sûrement pour 2016. Nous avons quelques festivals de programmés en France cette année, mais pas de concerts propres. Mais que le public Français se rassure, nous serons de retour à Paris et très certainement aux alentours du printemps 2016.