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Mike Joyce

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 18 novembre 2021

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Certaines interviews n'ont pas le même impact que d'autres sur l'existence. Si toutes sont différentes, toutes n'ont pas la même portée, surtout à titre personnel. Bien sûr, l'émotion est présente à chaque fois mais il arrive que d'autres ont un je ne sais quoi de plus. Échanger avec Mike Joyce fut un moment majeur pour moi. Certes, cette rencontre n'a eu lieu qu'à distance via Zoom, et pourtant ce fut quelque chose de vraiment magique. Oui, ce fut bien une véritable chance d'avoir pu m'entretenir un samedi midi avec le batteur de The Smiths, quelques jours avant son passage à Paris à l'occasion d'un DJ set au Supersonic pour une soirée Madchester. Retour sur cet instant où Mike Joyce s'est confié sur The Smiths, sa carrière de DJ ainsi que son nouveau projet musical.

Quand tu as commencé la batterie, tu étais très jeune. Qu'est ce qui t'a donné cette envie de jouer de cet instrument ?

Je n'étais pas spécialement jeune. Bon nombre de batteurs commencent à jouer à l'âge de quatre ou cinq ans. Je pense que j'en avais quatorze ou quinze. Je suis allé voir les Buzzcocks et je suis tombé amoureux d'eux, surtout de John Maher. C'était une des choses les plus incroyables que j'avais jamais vues. Sa manière de jouer m'a littéralement émerveillé. Et à partir de là, j'ai su que je voulais devenir batteur.

Être le batteur des Smiths fut probablement le plus grand moment de ta carrière dans le domaine de la musique. As-tu un souvenir, par exemple, du morceau le plus difficile à jouer ?

En live, je pense que c'est Shakespeare's Sister, car c'est une chanson rockabilly avec un beat ultra rapide. Je me souviens quand on l'a enregistrée, il y avait ce rythme très cadencé et cela sonnait vraiment très bien, même si c'était vraiment difficile à jouer. Quand on la jouait live, je ne voulais pas jouer cette difficile figure rythmique. Normalement quand on est batteur, cela ne va pas jusque 160 ou 170 en termes de vitesse. Mais là c'était vraiment hyper rapide. Je trouvais que recréer la version en live était sacrément dur, mais en studio elle était déjà très compliquée. Heureusement la chanson dure moins de deux minutes. (Rires).

Johnny Marr a déclaré que s'il avait eu Mike Joyce et Andy Rourke dans son groupe, Elvis Presley aurait été encore plus célèbre. Qu'est-ce que tu en penses ?

Wow ! Que puis-je ajouter à cela ? Tu sais, certains aiment ma manière de jouer, d'autres pas. C'est un peu comme pour une photo, une peinture ou un livre. Certains aiment, adorent, n'aiment pas voire détestent. Il y a un véritable degré d'acceptation. A propos des Smiths, quelqu'un m'a dit que j'étais son batteur préféré de tous les temps. Mais à côté de ça, j'ai reçu un tweet un jour d'une personne qui n'aimait aucune des morceaux de Smiths à cause de ma manière de jouer de la batterie car celle-ci ne se démarque jamais. Je l'ai remercié du compliment, car en fait je n'ai jamais cherché à me démarquer. Je cherche simplement à incorporer celle-ci à la musique de la chanson et rien d'autre. Mais pour revenir à ta question, c'est vraiment un sacré compliment, c'est même probablement un peu trop, mais ça me fait énormément plaisir.

Je ne sais pas si tu as suivi les rééditions de Warner, notamment l'intégrale en coffret et l'édition deluxe de The Queen Is Dead, mais sais-tu s'il existe encore des morceaux inédits des Smiths et s'ils sortiront un jour ?

Je ne pense que Rough Trade Records et Warner ne disposent plus de choses inédites. Je possède des démos en studio qui ne sont jamais sorties. J'ai transféré ces K7 sur mon disque dur et je pense que je suis le seul à avoir ces chansons. Mais je ne souhaite pas que quelqu'un soit fâché avec la sortie de ces morceaux. J'en ai parlé à Warner il y a de nombreuses années et ils ont refusé de les publier. En tout cas, ça ne sortira pas en bootleg, ni sur Mike Joyce Records ou sur un vinyle marbré. Je ne veux surtout pas que les choses s'aggravent avec les autres membres des Smiths. Je sais que certains aimeraient écouter ces chansons mais tout restera dans le coffre.

Pourquoi certaines chansons des Smiths n'ont jamais été enregistrées en studio ? Certaines existent uniquement sous la forme de sessions radio, comme par exemple William, It Was Really Nothing ou Handsome Devil ?

Je pense que parfois nous avions une version définitive alors même qu'elle n'était qu'une session radio. Nous ne voulions pas avoir une version maxi remixée. Ce fut le cas pour This Charming Man mais le remix de François Kervorkian n'étais pas fameux. Ça sonnait un peu comme une version assez mal jouée par le groupe, surtout en ce qui concerne la batterie. Donc parfois, quand on sentait que LA version enregistrée était la bonne, ça ne semblait pas être une bonne idée de la retravailler, même en studio. Johnny était très prolifique dans l'écriture des chansons. De ce fait, nous n'avions pas besoin de retoucher les anciens morceaux. Si l'écriture de Morrissey et de Johnny avait flétri, nous serions probablement revenus vers certaines chansons, mais là ce n'était pas du tout nécessaire. Tu te rends compte que How Soon Is Now est une chanson composée au titre de face-b du maxi William, It Was Really Nothing ? Et c'est devenu une sorte d'hymne... Pour beaucoup de monde c'est devenu une chanson extraordinaire. Je pense vraiment qu'il n'était pas nécessaire de changer quoi que ce soit à ces chansons. Nous avons enregistré des Peel Sessions, des Kid Jensen Sessions... C'était nécessaire, et pour pas mal d'entre elles, c'étaient dans des versions différentes, juste pour la radio. Elles étaient enregistrées live, même si ce n'était pas diffusé en direct. On ne pouvait pas juste se contenter de jouer le single. C'est pour cela qu'il existe des versions différentes de nos chansons.

Ta culture musicale est plutôt punk. Comment devient-on DJ pour une soirée Madchester avec cette culture ?

J'aime différents types de musique. Hier, je regardais une émission de télévision sur Blondie qui présentait chacune de leurs chansons individuellement. Il y avait de nombreux artistes qui s'exprimaient à propos de ce qu'ils ressentaient à propos du ce groupe et de l'importance que celui-ci avait exercé sur eux. Iggy Pop a été interviewé à ce sujet. Il a écouté Heart Of Glass de manière très professionnelle et a trouvé que c'était vraiment une excellente chanson, et pas uniquement parce que ce fut un tube. De la même manière, je pourrai choisir des milliers de disques que j'aime parce que ce sont vraiment d'excellents disques. Mais mon DJ set ne dure qu'une heure ou heure et demie. De ce fait j'ai besoin de faire quelque de cohérent. J'aime Chandelier de Sia, The Passenger ou Nightclubbing d'Iggy Pop et il faut que les morceaux fonctionnent entre eux. Si je passe les Sex Pistols, je passe également Marvin Gaye ou Abba et ensuite The Exploited (Rires). Je ne propose jamais le même DJ set. Je peux aussi jouer The Stranglers ou Chic, mais c'est très difficile de garder la piste de danse remplie pendant toute la soirée quand tu choisis des morceaux aussi différents.

Est-ce que tu joues les Smiths parfois ?

Oui, ça m'arrive. Tu sais, je ne me prends pas pour un DJ professionnel. Je passe juste la musique qui me plait. Au début je ne choisissais pas du tout de chansons des Smiths, car je ne pensais pas que les gens avaient envie de les entendre. Et puis un soir, une fille est venue me demander si je pouvais mettre un de nos morceaux. J'étais un peu surpris mais je l'ai fait et la piste est devenue hors de contrôle. Une personne est venue me voir ensuite et m'a dit que ce n'était pas cool que je passe un morceau des Smiths. Ce à quoi j'ai répondu : « Je ne sais pas ce qui est cool ou pas cool ». Quelqu'un m'a demandé ça, mais ça aurait pu être Bauhaus ou The Clash, et ça ne changeait rien. Cette fille est revenue me voir pour que j'en joue une autre. Elle voulait entendre Panic. J'ai accepté et la piste de danse était une nouvelle fois surexcitée. Et ce type est revenu me dire que ça fait deux fois que je joue des chansons des Smiths et que ça ne lui plaisait pas. Alors je lui ai répondu : « Si ça ne te plait pas, va-t-en ! Je ne donne pas un DJ set pour toi ce soir ». Je passe des chansons des Smiths parce que j'estime que ce sont des bonnes chansons, c'est tout. Je ne passe pas un album dans son intégralité, je ne les passe pas pendant une heure, mais c'est sympa d'entendre nos chansons dans un club, même pour moi.

Qu'est-ce qui t'a donné envie de devenir un DJ ?

Un de mes amis possède le Smile, un club de Manchester, et il m'a demandé si j'étais capable de passer dans sa boîte un disque, puis un autre, à la suite. Je lui ai répondu que oui. Il m'a alors annoncé que je pouvais devenir DJ. C'est aussi simple que ça. J'y suis donc allé un soir, j'ai passé des disques que j'aimais et tout est parti de là. Ce fut vraiment très plaisant, même si j'ai ressenti un peu de pression car lui joue là-bas tous les week-ends et il sait très bien ce qui plait aux gens qui fréquentent son club. Je ne voulais pas qu'ils ne soient pas contents de la musique que j'allais jouer. Mais ça s'est bien passé, et il m'a demandé si je voulais revenir le mois suivant. J'ai accepté et j'ai donc assuré quelques sets. Et puis un soir quelqu'un est venu me demander si je voulais jouer dans son club et tout s'est ensuite enchaîné. C'est vraiment sympa de croiser à ces soirées des gens qui ont vu les Smiths sur scène ou d'autres qui n'ont pas pu car ils étaient trop jeunes.

Dave Haslam va également donner un DJ set le même soir que toi au Supersonic. Vous vous connaissez ?

Je connais Dave depuis de nombreuses années. Nous avons déjà mixé ensemble. En fait, c'était à Paris, il y a une dizaine d'années. C'est un excellent DJ. C'est un pro, lui ! (Rires) Il était déjà DJ quand j'étais dans les Smiths. Il sait comment animer une soirée et s'adapter à son audience. C'est vraiment un plaisir pour moi de rejouer avec lui.

Il était DJ à l'Haçienda. C'est un endroit que tu as fréquenté ?

Oui, tout à fait. J'y suis allé avant, pendant et après les Smiths. Je pense que j'ai dû y aller jusqu'en 1990, donc pas jusqu'à la fermeture du club. Je me souviens y avoir joué avec Julian Cope. C'était devenu, avec la dance music, un endroit très différent par rapport à ce que c'était au début des années 80.

Tu as joué avec d'autres artistes après les Smiths : Sinead O' Connor, Julian Cope, P.I.L., les Buzzcocks... Quel fut le groupe ou l'artiste avec lequel tu as le plus aimé jouer ?

Il n'y en a pas vraiment un en particulier. J'ai vraiment pris du plaisir à jouer avec chacun d'entre eux. J'ai joué avec eux pour le plaisir, et non pas juste pour être payé. Mais bien sûr, le jour où j'ai reçu un appel de Steve Garvey pour me demander de venir jouer avec les Buzzcocks, j'ai cru à une blague. Mais c'était bien réel. Ils allaient partir en tournée mondiale et ils m'ont proposé de les rejoindre. Je n'en revenais pas de me retrouver à tourner avec ce groupe qui m'a donné l'envie de devenir batteur.

J'ai appris que tu avais contribué vocalement à un morceau d'A Certain Ratio. Était-ce facile pour toi de passer de la batterie au microphone ?

Ce ne fut pas si compliqué que ça. Tout simplement parce que je ne chante pas à proprement parler sur ce morceau. Je suis capable de chanter, pas très bien c'est vrai, comme la plupart des gens. Et crois-moi, dans la douche, ça rend super bien (Rires). J'ai assuré des chœurs pour les Smiths. J'ai également fait ça avec Pete Wiley et The Christians ; je ne parle pas de la religion mais bien du groupe de Liverpool (Rires). J'ai une voix grave mais je ne peux pas devenir chanteur, ça c'est une certitude. Ce serait vraiment ridicule et ça n'arrivera jamais.

Morrissey et Johnny Marr donnent beaucoup de concerts. Est-ce que ça te manque de partir en tournée ?

Ça fait un moment que je ne suis pas monté sur scène. Je pense que Vinny Peculiar est le dernier artiste avec lequel j'ai dû tourner il y a une dizaine d'années, peut-être même plus. Je pense que j'ai vraiment à nouveau cette envie d'être sur scène à chaque fois que je vois un groupe jouer live. La dernière fois que j'ai joué sur scène il y a quelques années, cela ne s'est pas super bien passé. J'ai un problème de nerf bloqué dans l'épaule et ça m'a beaucoup handicapé. La douleur a fini par disparaitre mais j'ai la crainte que cela puisse revenir. C'est ce qui m'a décidé de ne plus jouer de la batterie, même si ça me plairait énormément de reprendre. Un de mes amis, Rick Hornby, un guitariste qui vivait à Londres et que je connais depuis de nombreuses années, a déménagé à Manchester il y a un an de cela. Il m'a fait écouter certaines de ses compositions et j'ai trouvé ça vraiment fantastique. Comme j'ai un petit studio dans mon sous-sol, j'ai commencé à rejouer de la batterie très tranquillement en lien avec ses chansons et cela lui a beaucoup plu. De ce fait, nous travaillons ensemble depuis maintenant environ six mois. Bien sûr, le COVID-19 a compliqué les choses, mais la situation est un peu moins difficile en ce moment au Royaume-Uni. Je suis vraiment très content de ce que nous avons déjà produit, même si ce sont uniquement les débuts. Je croise les doigts pour que cela voit le jour dans le futur même si ça prendra le temps que ça doit prendre. Ça nécessitera peut-être six semaines, six mois ou deux ans, mais je tiens à ce que ce soit parfait. C'est vraiment le nouveau projet auquel j'ai envie de me consacrer.