L’Olympia, ses lettres en néons rouges et sa devanture sombre ; les codes couleurs des Stranglers semblent avoir trouvé, ce soir, l’hôte et l’accord parfaits. Du rock pur-sang mis en scène par les étrangleurs en noir ; maison anglaise fondée à Guilford, en 1974 !
Contemporains des Sex Pistols ou des Clash, The Stranglers ont fait du rouge et noir leur étendard et des thèmes mélancoliques et ténébreux, ses hymnes. On leur confèrera d’ailleurs très vite l’attribut de Melodic Post Punk, une qualification stylistique qui en vaut d'autres. Hugh Alan Cornwell est le leader historique de ce groupe et son éminence grise. Diplômé de biochimie, il donne naissance à un punk rock intellectualisé que ne renieront ni The Damned ni les groupes gothiques de la fin des 70’s comme Bauhaus. Avec son alter égo, Jean Jacques Burnel, le bassiste franco-anglais qui élèvera cette discipline au rang de sport de combat, le claviériste Dave Greenfield dont les cascades de notes synthétiques sont souvent comparées à celles de Ray Manzarek et le batteur Jet Black, Hugh Cornwell a écrit quelques-uns des titres mythiques des années 80s, dont
Golden Brown ou
No More Heroes.
Pour l’avoir souvent chanté, The Stranglers savent ce que le statut de star veut dire et ce que son cortège d’alcool, de drogues et d’égos en proie aux désabusements ou aux excitations les plus ultimes peut colporter dans son sillage : ruptures, désaccords, dépassement de ce peut supporter un être humain confronté à un succès et à une exposition médiatique trop importante dans une époque pas encore fliquée. Comme d’autres, The Stranglers en ont fait les frais et, avec trois membres remplacés, dont le chanteur leader lui-même, en 1990, Jean Jacques Burnel reste le pilier immuable du groupe depuis bientôt quarante ans.

Étrange de constater l’engouement que suscite pourtant le concert de ce soir, même si le groupe n’est plus que l’ombre de lui-même avec seulement deux membres considérés comme issus du groupe originel. Jet Black, batteur historique, a rejoint un hôpital Anglais après un abus de vodka et de cocaïne (dixit JJ Burnel) il y a peu. Paul Roberts, qui a remplacé Hugh au chant en 1990, claquera la porte du groupe en 2000 pour être remplacé par le chanteur de ce soir, Baz Warne, guitariste du groupe sur le tard. Plus proche physiquement de Billy Corgan (The Smashing Pumkins) que de Hugh Cornwell, Baz Warne se tire néanmoins du rôle périlleux avec bravoure et, même, un certain talent que conforte un timbre de voix parfois proche de celui du membre fondateur.
Joueur de guitare sans faille et force de la nature, il déroule les riffs et mélodies de son aîné avec rage et sans fausse note (ce qui arrivait parfois du temps de Hugh Cornwell). Les claviers du vénérable Dave Greenfield s’amusent à distordre certains de ses thèmes mondialement connus à côté du jeune batteur - nouveau venu de 28 ans, dont le seul défaut est son âge (toujours dixit JJ Burnel) – qui n’a pas à rougir de sa performance dans un des groupes les plus connus de la planète jouant dans une des plus fameuses salles de rock. Un exercice qui pourrait en intimider plus d’un.
La véritable épine dorsale des Stranglers reste, encore et toujours, JJ Burnel, lequel évolue quasiment en terres conquises et s’amuse à discuter, en français, avec un public dont la moyenne d’age affole ce soir les compteurs : « Nous sommes The Stranglers, pas vous ! ». Avec sa basse frappée comme un marteau, sa chemise ouverte, ses jambes écartées pour plus de stabilité et se balançant de gauche à droite tout en avançant, menaçant vers le premier rang, tel un boxeur en immersion dans son round, JJ Burnel en impose encore malgré son age et, pour notre plus grande joie, affiche une attitude aussi engagée et déterminée qu’aux premières années.

Un frisson envahit soudain l’assistance. Et si Hugh Cornwell avait interdit à ses anciens partenaires de jouer les titres écrits avec eux ?
Golden Brown,
The European Female ou l’hymne scandé en chœur par tout l’Olympia,
Always The Sun, viennent rapidement contredire la rumeur et contenter la foule, sans avoir à attendre un hypothétique rappel. Les rappels, il y a en aura deux pour quatre titres de plus et une attente, vaine, d’une des ballades les plus emblématiques, mélancoliques mais aussi mystérieuses du groupe,
Midnight Summer Dream.
Deux heures de concert ou presque, le contrat est largement rempli pour cette prestation de sages du punk rock qui ont porté au panthéon du rock la déconstruction mélodique et les rythmiques sépulcrales.
Mais, parce que le rock ne peut se nourrir exclusivement d’éloges sous peine de devenir un sous produit paresseux de la rébellion mollassonne, nous ressortons de là avec le sentiment que tout cela était un poil trop propret, un tantinet trop géométrique pour un groupe né dans le chaos et l’anarchie des émeutes blanches anglaises !